mardi 29 avril 2008

Cette histoire d'heures supp, j'ai du mal...

Vous l'avez sans doute entendu: le président de la République a enfin pris en compte la réclamation des enseignants d'une hausse de pouvoir d'achat. "Je leur donne des heures supplémentaires", a dit en substance le chef de l'État. La présentation des heures supplémentaires comme moyen d'augmenter les salaires me pose des problèmes, que ce soit dans l'enseignement ou ailleurs.

La notion d'heures supplémentaires est liée à l'existence même de l'idée de temps de travail. Le temps de travail fixé existe en France depuis 1919. Il est actuellement de 35 heures par semaine et n'a cessé de diminuer depuis le début de la révolution industrielle. Il varie en fonction des pays mais tourne autour des 40 heures dans les pays développés. Dans les entreprises, la notion d'heure supplémentaire est censée permettre de pallier, à des moments précis, à des coups de bourre qui ne nécessitent cependant pas l'embauche de salariés supplémentaires à plein temps. Elles sont donc conjoncturelles: si elles deviennent permanentes, cela signifie que l'activité s'est développée et qu'il faut alors embaucher, soit des temporaires, soit des permanents. Les entreprises sont d'ailleurs limitées dans l'emploi de ces heures, pour favoriser l'emploi. Dans la fonction publique (FP), les heures supplémentaires fonctionnent de la même façon. Par exemple, dans l'Éducation nationale, elles permettent d'assurer les quelques heures qui dépassent parfois des temps de service fixés par les statuts des différents collègues, sans recourir à un remplaçant placé sur plusieurs établissements ou à des vacataires précarisés. Cependant, pour protéger les enseignants d'un surcroît d'activité, un chef d'établissement ne peut imposer qu'une heure supplémentaire par semaine, dont le paiement est majorée. Les autres sont données avec accord du prof concerné, mais sont un peu moins bien payées. Enfin, le chef d'établissement dispose d'une réserve d'heures qu'il peut distribuer durant l'année pour payer des travaux exceptionnels (soutien, examens blancs, activités périscolaires, projets) ou des remplacements courts (dispositif Fillon depuis 2005).

Jusqu'à maintenant, le paiement des heures supp. était lié aux statuts des fonctionnaires ou aux conventions collectives dans le privé. Parfois, elles sont payées, pour les profs par exemple. Parfois, elles sont rétribuées en rattrapage de congés, comme dans la fonction publique territoriale ou dans les entreprises de la grande distribution. Parfois, elles ne sont pas payées, comme pour les cadres qui doivent les rattraper. Au total, on est là dans l'exceptionnel, ce qui est cohérent dans tout système : il y a toujours besoin de souplesse pour que les choses marchent.

N. Sarkozy, en arrivant au pouvoir, s'est heurté et se heurte toujours à la question du pouvoir d'achat, dans un contexte de hausse des prix mais de chômage en baisse du fait du début des départs massifs à la retraite des soixante-huitards. Imprégné de l'idéologie néolibérale, il est sans doute persuadé du danger de l'augmentation des salaires, du fait des risques inflationnistes, mais aussi du refus complet d'un patronat imprégné des mêmes idées d'envisager une hausse générale des salaires. Or, l'électorat réclame des hausses de pouvoir d'achat. Le président a donc imaginé de transformer l'heure supp. (HS), système exceptionnel, en une donnée permanente de l'économie. Allons, mes chers concitoyens, jetons-nous sur ces HS et enrichissons-nous ! En plus, on ne touche pas au 35 heures officiellement et cela satisfait le peuple...

Pour que ce système puisse fonctionner, encore faudrait-il qu'il soit en adéquation avec le système économique et le poids du travail en tant que tel. Il faut, pour cela, la collaboration de deux acteurs fondamentaux :
  • L'employeur doit d'abord avoir des HS à donner. Dans l'entreprise, on ne peut pas créer artificiellement ces heures, sans qu'il y ait une activité économique qui le nécessite. En plus, ce système peut épuiser les salariés. On pourrait en profiter pour générer des activités nouvelles mais, si elles se pérennisent, elles devraient aboutir à des embauches, et faire disparaître les fameuses HS. Je sais que les patrons sont plutôt de droite, mais je sais aussi qu'ils sont cohérents quand ils gèrent leurs affaires. Dans l'État, à cause de cette politique, on invente des HS là où il n'y en avait pas. Dans l'Éducation, les suppressions de postes permettent de créer des HS, puisque, pour le moment, aucune heure n'est supprimée en parallèle pour les élèves. On invente donc de l'exceptionnel qui est en fait du permanent, soi-disant dans l'intérêt des profs, et on gagne un peu d'argent, car les HS sont moins bien rémunérées que les heures de poste.
  • Pourtant, un autre acteur doit être présent pour que tout cela marche: le travailleur. Là est finalement la question centrale : avez-vous envie, chers concitoyens, de travailler plus ? Le président est persuadé que nous sommes tous en train de nous ennuyer chez nous et de réclamer des heures, bloqués que nous sommes par les 35 heures. On se demande alors pourquoi elles sont si populaires, ce qui fait que même Sarkozy ne les abroge pas. Je sais que chez les profs, nous sommes nombreux à nous dire qu'on est déjà bien crevé en rentrant le soir, et que, franchement, on aime bien nos élèves mais faut pas abuser quand même. Certains feront ces heures, mais le système tournera-t-il malgré tout ? Et dans le privé, peut-on demander à tous ces salariés qui font des métiers pénibles de travailler toujours et encore plus ?
Au total, ces HS ressemblent, au mieux, à une belle usine à gaz qui risque de créer de nombreux problèmes ou, au pire, à une vaste fumisterie dans laquelle les Français, et c'est tout à leur honneur, ont l'air de ne pas tomber. Pourvu que cela dure...

jeudi 24 avril 2008

La société "Fat free"

En ce moment en voyage aux États-Unis, je me livre à l'un de mes moments favoris lorsque je fais du tourisme: je rentre dans les supermarchés.


Vous allez me dire: en voilà une drôle d'idée. Pourquoi ne vas-tu pas plutôt voir les grands monuments historiques, les sites touristiques, les quartiers anciens?? Je le fais aussi, rassurez-vous. En tant que bon enseignant chiant, je me dois bien de voir toutes ces choses dont vous me parlez. Mais le supermarché, là, y a pas à dire, c'est l'un de mes grands moments. Dans notre société de consommation ultra-puissante, ultra-croissante et ultra-mondialisée, il est toujours intéressant de constater que les supermarchés, lieux fondamentaux de la vie moderne, sont encore différents dans chaque pays que je peux visiter.


Au premier abord, on a pourtant tendance à penser le contraire. Les rayons se ressemblent exactement. A l'entrée du supermarché Stop and Shop d'Arlington, Massachusetts, on trouve un rayon fruits et légumes assez important d'ailleurs, puis les rayons boucherie, charcuterie et fromagerie, avec tous les produits frais. Enfin, on traverse toutes les catégories habituelles de rayons que l'on trouverait dans n'importe quel Intermarché de nos campagnes françaises.


Au deuxième abord, pourtant, les différences sautent aux yeux. Dès le rayon fruits et légumes, et constate des changements: tous les fruits sont gros, mais surtout, ils brillent!!! Mais oui, je vous assure. On a l'impression que les ouvriers mexicains qui les ont récoltés les ont frottés avec du polish pour qu'ils apparaissent les plus lisses possibles, sans aucune aspérité et sans aucune trace de pourriture ou d'altérité. Ces différences se retrouvent dans tous les rayons. Les céréales sont de toutes les couleurs possibles et imaginables, les sauces de toute genre tentent d'attirer votre regard, et sont aussi, d'ailleurs, colorées des manières les plus improbables. On se dit tout de suite que le secteur agro-industriel américain use de tous les E possibles pour teinter ses produits des couleurs les plus exotiques, et souvent les plus flashantes. Même le consommateur français le plus malbouffeur ne pourrait pas acheter des produits à l'apparence aussi "chimique" (désolé, chers collègues de physique-chimie, je sais que vous détestez cette expression, mais c'est la seule qui me vient...).

Au troisième abord, une dernière chose me saute aux yeux. Sur la moitié des produits se trouve écrit l'inscription suivante: Fat free. Ces produits sont de toutes les sortes, de la fausse viande végétale aux céréales en passant par la majorité des sodas. Voilà donc des produits qui sont à l'évidence hyper-manufacturés mais qui seraient entièrement neutres au niveau des graisses. Lorsqu'on saisit de l'un d'entre eux, on constate d'ailleurs qu'il y a encore plus de composants aux noms incompréhensibles du commun des mortels, et que les ingrédients naturels apparaissent en général à partir de la sixième position dans la sacro-sainte liste.

La société américaine ajoute donc un paradoxe de plus à son arc. C'est vrai que les Américains sont plus gros que les Européens. Cependant, contrairement à une idée souvent répandue en France, ce phénomène est relativement récent: l'explosion de l'obésité date du milieu des années 1980. Les économistes, médecins et géographes expliquent ce brutal changement par une évolution des recettes utilisées par l'industrie, mais aussi par des transformations des modes de vie (introduction massive de la précarité dans le travail qui bouleverse la vie familiale, hausse du temps de travail, stagnation des salaires...). Il y a pourtant des choses plus simples que cela que n'importe quel touriste pourrait constater en se baladant dans ce pays, et qui ne cessent pas de m'étonner:
  • Lorsqu'on regarde la composition des produits les plus simples, on ne peut que constater que le secteur agro-alimentaire américain passe son temps à trafiquer les produits qu'il fabrique. Par exemple, si on achète une brique de lait frais, certifié organic (ce qui correspond au bio français) et low fat, on constate qu'ils n'ont pu s'empêcher de rajouter des vitamines de plusieurs types, au moins deux en général. De la même façon, j'ai consommé hier de l'eau qui avait d'abord été nettoyée et, ensuite, reminéralisée de manière artificielle. Il y a donc en permanence des transformations qui sont faites, pour des raisons finalement assez incompréhensibles, quand on sait que le lait est déjà un produit riche en soi.
  • A côté de cela, les vrais produits frais et de qualité, qui sont bons pour la santé, sont horriblement chers. Les fruits et légumes, par rapport aux salaires moyens ici, coûtent le double de ce qu'ils valent en France. Le phénomène est d'autant plus marqué qu'il n'y a pas de marchés pour faire baisser les prix, très peu de magasins spécialisés, et que les consommateurs sont entièrement dépendants des grandes chaînes de distributeurs, sauf à faire deux heures de voiture pour trouver le bon vendeur. Et je ne vous parle pas des prix de la viande bio sans hormone...
  • Par contre, y a pas à dire, la merde est vraiment pas chère. Dans les fast-foods, vous pouvez avoir des quantités astronomiques de nourriture, sans rien débourser. Par exemple, dans la célèbre chaîne de hamburgers au grand M jaune, vous n'achetez pas un soda, vous achetez le verre à la taille qui vous convient, puis vous allez vous servir autant de fois que vous le souhaitez au distributeur automatique (on se demande d'ailleurs pourquoi la majorité des clients achètent le grand verre. Pour se lever le moins de fois possible peut-être...)
  • Les Américains se sont donc habitués à mal manger, car c'est moins cher et pratique, mais ont quand même globalement pris conscience de leur élargissement général. Qu'à cela ne tienne, l'industrie a trouvé une solution: le fat free. En clair, vous pouvez continuer à manger les mêmes cochonneries sans culpabiliser, puisque c'est sans conséquence sur votre organisme. Comme les prix des bons produits ne diminuent pas, vous pouvez continuer à manger pas cher. L'industrie continue donc à s'enrichir, voire même à accroître ses bénéfices, car les fat free sont souvent un peu plus cher et les consommateurs en mangent plus, parce que c'est sans graisse...
Voilà donc le grand succès de l'agro-industrie américaine: avoir désappris aux citoyens à bien manger pour vendre ses produits, puis, devant la prise de conscience, être parvenue à évacuer la logique du retour aux produits simples en inventant le fat free... Je ne considère pas les Américains comme des idiots: ils ne peuvent sortir de ce paradoxe du fait des prix exorbitants des bons produits. Je ne vois pas comment cette société pourrait se sortir de cette impasse sans une vigoureuse intervention du politique, en réorientant complètement le soutien à l'agriculture et à l'industrie vers les produits de qualité. Mais bon, quand on sait que le lobby des agro-alimentaires est l'un des plus puissants du pays, on ne peut que douter de la possibilité de cette intervention...

mercredi 23 avril 2008

Supprimer 11200 postes dans l'Education nationale: pourquoi est-ce un problème?

Nicolas Sarkozy l'avait annoncé, il le fait: il faut dégraisser la fonction publique au maximum de nos possibilités. En effet, alors que le déficit public s'enfonce dans les tréfonds des abysses, notre État a besoin de liquidités pour financer les multiples aides et cadeaux fiscaux que la majorité actuelle a mis en place ou qu'elle continue de financer. Comme il est hors de question pour une majorité de droite d'envisager frontalement une hausse de la fiscalité, le jeu sur la masse salariale est un des moyens possibles pour tenter de comprimer les coûts.

Dans l'Education Nationale, cette politique se traduit par la suppression de 11200 postes à la rentrée 2008. Je voudrai tenter d'expliquer pourquoi ces suppressions commencent à poser de réels problèmes de fonctionnement quotidien dans les établissements.

On compte actuellement environ 850000 enseignants dans notre pays, pour un total approximatif de 10 millions d'élèves. Lorsque l'on voit les chiffres de cette manière, on peut en effet se dire que les chiffres de notre administration sont énormes. Si on fait un petit calcul rapide, cela fait un total d'un prof pour 11 élèves. Que demande alors les enseignants avec ces réclamations permanentes de moyens? En fait, plusieurs facteurs expliquent les frictions actuelles.

Tout d'abord, cette configuration de 11 élèves pour un prof ne se vérifie jamais. Il y a dans le primaire entre 24 et 27 élèves par classe dans une classe du primaire, et entre 24 et 35 dans une classe du secondaire. Certains lycées vont même plus haut que cela: dans les grands lycées parisiens, on trouve parfois 37-38 élèves dans une seconde générale. Pourquoi un tel écart entre les deux chiffres? Tout simplement parce que les enseignants sont spécialisés et qu'ils ont en réalité plusieurs classes. Chaque classe du secondaire a entre six et douze enseignants. Personnellement, j'ai face à moi une centaine d'élèves différents tout au long de l'année. Il ne faut donc pas se leurrer sur les chiffres, les suppressions jouent réellement sur des effectifs déjà très chargés.

Le ministre pourrait tenter de les surmonter en menant quelques réformes, et de nombreuses ont déjà été imaginées. Je vous en donne quelques exemples:

  • L'ancien ministre Luc Ferry avait imaginé une hausse significative du nombre d'élèves par classe, arguant de l'absence totale d'études sur l'efficacité des petits effectifs pour la réussite des élèves. Certes, les enseignants vous diront tous qu'on travaille mieux dans de petites classes que dans des grosses, mais ce n'est en rien suffisant. Or, en 2004, l'économiste Thomas Piketty a démontré sur les classes de primaire que la baisse des effectifs des classes faisait augmenter les moyennes générales, confirmant que la question des moyens avait un sens. Depuis, cette idée a plus ou moins disparue, survivant chez Darcos pour les classes des lycées à bons élèves.
  • Une deuxième consisterait à augmenter le temps de travail des profs, pour compenser la disparition des postes, en augmentant les salaires des fonctionnaires déjà en poste. Cette idée est évoquée dans le livre vert de la commission sur la revalorisation du métier d'enseignant (dite commission Pochard, du nom de son président). Aujourd'hui, un professeur des écoles ne peut augmenter son temps de travail sans augmenter celui des élèves. Par contre, les professeurs du secondaire ont des services qu'on pourrait augmenter (15 heures pour les agrégés, 18 heures pour les certifiés, soit 39,5 heures de travail hebdomadaire moyen selon le ministère en 2002) sans toucher au temps de travail des élèves. Pour cela, il faudrait affronter la contestation d'une partie des profs, qui n'ont aucune envie de passer plus de temps devant des élèves pénibles voire difficiles.
  • Une troisième voie pourrait être trouvée dans les heures supplémentaires. Aujourd'hui, un enseignant du secondaire doit accepter une heure supplémentaire si le chef d'établissement ne peut faire autrement. Au-dessus, il faut l'accord de l'enseignant. On pourrait imaginer d'augmenter cela à trois ou quatre heures, ce que la commission Pochard envisage d'ailleurs, et espérer que les chefs d'établissement connaissent bien les enseignants qui acceptent de bosser plus sans râler et se mettre en grève.
  • Un autre moyen est la réforme des diplômes, pour les raccourcir par exemple. En ce moment, plusieurs bacs professionnels passent de quatre à trois ans. On élimine ainsi un quart des heures, mais ce n'est pas possible partout et pour tous les diplômes.
  • Une dernière idée serait de réduire le nombre d'heures de cours des élèves. En effet, les petits Français sont les élèves des pays développés qui ont le plus d'heures de cours, en particulier au lycée général. Or, là, le ministre aurait un choix cornélien: quelles disciplines éliminer? Le latin et le grec, pourtant fondement de notre culture? Le sport, indispensable en ces périodes d'obésité? Les sciences, décidément coûteuses à enseigner? Les nombreuses langues optionnelles qui ne regroupent parfois que très peu d'élèves? Darcos a parlé mercredi 16 avril 2008 sur France inter de cette opportunité, sans donner plus de précisions.
Pourtant, une chose est sûre. Aujourd'hui, il n'y a absolument rien de changé dans le système. On supprime des postes en laissant les choses en l'état. Si le gouvernement faisait l'une des choses du dessus, cela pourrait être très contestable, mais, au moins, il y aurait une logique. Or, on ne change rien pour le moment, rien de rien. Cela met les établissements dans des situations pénibles: des enseignants ne sont plus remplacés, mais aussi des conseillers principaux d'éducation, voire des proviseurs. Cela arrive même pour des congés maternité pourtant largement prévisibles.
A la rentrée prochaine, comme rien ne change, les postes supprimés existent toujours. Ils vont être transformés, dans la plupart des cas, en heures supplémentaires. Il faudra alors que les profs acceptent de les faire, ce dont je doute pour la majorité d'entre eux. Ensuite, que se passera-t-il? Les rectorats embaucheront des vacataires mal payés et peu compétents, qui donneront des cours souvent plus mauvais à vos enfants que ne l'aurait fait un titulaire.

Darcos avait bien évoqué une réforme, pour la mi-mai, mais avec le mouvement en cours, dira-t-il quelque chose? Et si oui, quoi? Toutes les hypothèses évoquées ci-dessous sont des retours en arrière, mais il faudra bien que notre ministre exécute la politique de notre président et de sa majorité. On attend avec impatience...

Qu'est-ce qu'un enseignant performant??? Une question bien difficile à éclaircir...

Depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, un constat général s'est imposé à la sphère médiatique autant que politique: l'école publique n'est plus performante. Elle ne forme plus de bons citoyens, ni de bons travailleurs. Elle ne permet plus à la France de tenir son rang de grande puissance culturelle et scientifique. Elle ne cesse d'entraîner nos enfants dans les tréfonds des classements internationaux.

Face à ce désastre, le gouvernement a institué une commission chargée de revaloriser la condition du métier d'enseignant. Le rapport a été publié en mars, et on le trouve dans le lien joint.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire la lecture des journaux, les enseignants se questionnent beaucoup sur les résultats de ces études internationales, et sur nos performances réelles. Nous achoppons tous, en fait, sur ce qu'est une performance pour un enseignant. Dans d'autres professions, les choses semblent plus simples à définir: un salarié qui rapporte beaucoup de bénéfices à son entreprise est performant, un fonctionnaire des impôts qui trouve un maximum de fraudes en un minimum de temps est performant, mais un prof...

Notre gros problème est que nous sommes bien incapables de vérifier nos performances. Certes, je peux vous dire que X% de mes élèves ont eu le bac l'an dernier avec de bonnes notes dans ma discipline. Cependant, je ne peux pas vous dire s'ils réussiront ensuite leurs études, voire même ce qu'ils feront après. Et s'ils réussissent leurs vies professionnelles, est-ce lié à mon travail, à celui de mon collègue, à leurs cadres psychologiques, à leurs familles, à leurs milieux sociaux...
Pour éclairer votre lanterne, je peux vous donner un exemple simple: vous imaginez ce qu'ont pensé les professeurs de Nicolas Sarkozy?? En effet, notre président a passé le bac au rattrapage!!! Mais oui, vous avez bien lu!! Et pourtant, il est aujourd'hui président de la République. Cela signifie-t-il que ses professeurs ont été performants? En fait, vu ses résultats scolaires, on peut en douter.
Il faudrait donc, pour vérifier l'efficacité et la performance de l'école, le faire sur des grands nombres, et pouvoir suivre les citoyens tout au long de leurs vies pour valider des évolutions. Il faudrait aussi savoir quelle est la part de l'école dans ces vies, selon les citoyens, mais aussi selon d'autres critères que personne n'est aujourd'hui capable d'établir. N'oubliez pas qu'Einstein était un cancre mais que G. W. Bush l'était aussi.

Pour le moment, on ne peut donc rien vérifier de très clair, car les études actuelles mesurent les niveaux des élèves à un instant T, mais ne peuvent rien préjuger de l'avenir de ces mêmes élèves. Combien d'entre vous, chers lecteurs, ont eu un parcours totalement insoupçonné de leurs professeurs? Combien ont encore en mémoire une remarque de leurs professeurs du type: "Toi, tu seras ingénieur en informatique" alors qu'ils sont aujourd'hui écrivain, enseignant ou postier?"

Alors, comment établir la performance d'un enseignant? Je vous livre quelques réflexions souvent entendues dans les salles des profs:
  • Un bon enseignant est quelqu'un qui respecte ses obligations de service: il fait ses heures de cours, arrive à l'heure, fait un certain nombre de contrôles tout au long de l'année qui permettent d'avoir une bonne vision de chacun, n'est jamais en retard ni absent, reste dans les murs des établissements pour être à la disposition des élèves, des parents et de la hiérarchie. Cette façon de voir à l'avantage d'être simple à mesurer. Par contre, elle évacue totalement l'intérêt des cours et le travail pédagogique, elle sanctionne les personnalités un peu hors-normes qui font souvent le bonheur des élèves (qui n'aimait pas son prof excentrique toujours en retard mais tellement passionnant) et oublie toutes les activités annexes des enseignants.
  • Un bon enseignant est quelqu'un qui est à la disposition de ses élèves, les écoute, les conseille, les aide à surmonter les difficultés autant scolaires que personnelles. Cette vision peut être positive, mais peut être très démolarisante pour l'enseignant qui risque les déceptions multiples dans les aides. De plus, on est pas des psys non plus!
  • Un bon enseignant est celui qui mène des activités pédagogiques innovantes et passionnantes pour ses élèves. C'est le grand truc du ministère de l'Education nationale en ce moment: faites des projets, et vous aurez des moyens! Là encore, reste la question de savoir ce qu'est un bon projet pédagogique. De plus, il est très facile de bidonner des projets qui n'apportent rien mais permettent à l'enseignant de gagner des heures supplémentaires sans trop se fouler.
  • Un bon enseignant est celui qui fait des cours denses et à la pointe de la recherche de sa discipline. C'est indéniable, mais avant d'être dense, un cours doit surtout être compréhensible, ce qui est la chose la plus difficile, et la moins mesurable. Tous les profs vous diront que mêmes les cours qui marchent le mieux laissent toujours une partie de la classe sur le bord du chemin.
  • Un bon enseignant est celui qui est apprécié par ses élèves. Il faut donc que les profs soient notés par leurs élèves. Là aussi, l'idée est belle sur le papier, mais reste à savoir comment un élève imagine un bon enseignant. Est-ce celui qui donne toujours des bonnes notes? Qui est sévère? Qui est juste? Qui est gentil? Qui est drôle? Qui est tout le temps absent? En plus, un élève est incapable d'évaluer le niveau d'un cours. De plus, il ne pourra jamais vous dire comment il a compris le cours d'un prof...
  • Je ne résiste pas à l'idée perfide de vous donner la vision du bon enseignant selon Xavier Darcos, parue dans Mon Quotidien, le journal destiné aux enfants du primaire, le 1er avril 2008: "Un bon prof est quelqu'un qui enseigne par ce qu'il est et non par ce qu'il dit. Quelqu'un qui râle, qui fait grève, est-il un bon modèle? Quand on est adulte, on se souvient surtout des profs sérieux, dévoués, qui se faisaient respecter." Voilà donc l'image d'un enseignant dont le contenu des cours n'est plus l'important, qui est un soumis à l'ordre en place, qui ne conteste pas, qui est sérieux (et donc non-gréviste) et qui passe surtout le plus clair de son temps à faire régner l'ordre dans sa salle de classe. Voilà une vision bien simpliste du prof: on se demande pourquoi on nous fait passer tous ces diplômes avant de nous faire enseigner. Ici, la performance semble plutôt dans l'apprentissage de l'ordre et du comportement personnel que de la connaissance et de la culture
Au total, cette performance est bien difficile à mesurer. Quand on est face à une telle difficulté à mesurer quelque chose, c'est qu'on est dans un débat qui est bien plus politique qu'autre chose, et dans lequel ce serait aux citoyens de nous dire ce que nous devons faire. A nous ensuite, enseignants, de tenter d'y parvenir. Il ne faut par contre surtout pas laisser les profs libres de décider. C'est à ce moment-là que l'école commence réellement à aller n'importe où. Citoyens, s'il vous plaît, indiquez-nous la voie à suivre!!! On fera notre possible.