Dernièrement, le sujet de l'orthographe a occupé mes occupations blogosphériques. Manuel a commis un billet sur le sujet il y a quelques jours, et s'en est suivi une discussion très animée avec Didier Goux, Fabrice et Suzanne. De même, aujourd'hui, un commentateur m'a signalé, un peu abruptement, six fautes dans ce billet, que j'ai ensuite corrigées. Cependant, j'admets avoir ressenti un réel agacement, qui avait déjà surgi lors du billet de Manuel ou lors de la polémique avec les occidentalistes. Je m'explique. En tant qu'enseignant, et selon les instructions officielles, l'orthographe est l'une de mes priorités. Je tente donc de chasser les fautes dans les copies de mes élèves sans pour autant réellement parvenir à enseigner l'orthographe : je suis prof d'histoire-géographie et n'ai aucune compétence particulière dans cette tâche. Personnellement, j'ai toujours fait des fautes, certes pas très nombreuses, mais récurrentes. Certains cas me posent des problèmes sérieux. Ainsi, je cale toujours sur les participes passés et leurs difficiles accords et j'ai du mal avec le conditionnel. Ces fautes m'obligent à des relectures qui ne suffisent parfois pas, du fait de la rapidité du blogage. Tu trouveras ainsi davantage de fautes dans mes commentaires, rédigés vite, que dans mes billets. Tu trouveras aussi des fautes dans les billets d'ailleurs. Lorsqu'il m'arrive d'en faire une à l'école (qui s'affiche en gros sur le tableau), j'en profite pour entamer une discussion avec les gamins sur cette faute et sur sa cause. Cela donne parfois des débats très intéressants et fait avancer des gamins en difficulté sur ce point.
Or, et c'est assez intéressant, la place de l'orthographe s'est sans cesse réduite dans notre système éducatif. A l'époque de la IIIe République et de ses hussards noirs, l'orthographe était une priorité de l'école républicaine. On y passait un temps très long, dans une optique utilitaire. Si l'école de l'époque formait des citoyens, elle visait aussi majoritairement des populations pauvres qu'on n'allait pas porter jusqu'au bac. Pour ceux-là, l'apprentissage de l'orthographe permettait d'en faire de bons employés capable d'écrire des courriers ou de faire des tâches simples : de bons exécutants en somme. D'ailleurs, on n'enseignait que peu le sens de l'orthographe ; on s'appuyait plutôt sur des règles diverses que l'élève devait apprendre par cœur sans en saisir le sens. Toutes ces règles souffraient d'exceptions à propos desquelles nos chères têtes blondes rencontraient de grandes difficultés (pourquoi y a-t-il toujours une fichue exception à ces règles ? Sans doute parce qu'elles ne sont pas très cohérentes en elle-même). L'optique de l'école a changé depuis les années 1970, et, si l'orthographe reste importante, elle n'est plus la priorité. Actuellement, on a nettement élevé le niveau en abordant de nombreuses disciplines dans des démarches assez complexes pour les gamins, ce qui a diminué le temps attribué à l'orthographe.
Cependant, je considère que cela n'est pas le plus important : l'orthographe ne devient un réel problème que lorsque l'écrit est rendu incompréhensible par les difficultés. C'est le cas d'un petit pourcentage de personnes. A l'école, les vrais dysorthographiques sont peu nombreux, mais ils posent de vrais problèmes car l'institution ne peut rien pour eux. C'est alors aux orthophonistes et aux psychologues d'agir.
Or, dans la culture française, l'orthographe reste un moyen de discriminer. Manuel le disait déjà pour l'embauche d'un salarié du privé. Je peux te dire aussi que c'est le cas des copies de concours de la fonction publique. Cette situation entraîne aussi, en France, un abandon complet de l'oral comme moyen de sélection : c'est d'autant plus dommage que, dans les lycées dits difficiles, de nombreux élèves, un peu faible à l'écrit, sont transformés à l'oral. La France est le pays où des gens surdiplômés sont incapables de prendre la parole devant un public. Les diplômes devraient être à la fois oraux et écrits, et il est dommage que le baccalauréat ne retienne pas cette formule. De même, ce phénomène ressort régulièrement dans la blogosphère : de nombreux blogueurs considèrent que les fautes discréditent le propos, reproduisant le discours dominant sur l'orthographe. Ainsi, ils se détachent du fond et utilisent cet artifice pour massacrer des billets. Je reste très circonspect devant ces actes. Un billet doit d'abord être massacré sur le fond. Si on en vient à utiliser l'orthographe, c'est qu'on est démuni intellectuellement face au raisonnement que l'on affronte. De même, on peut écrire sans faute (on trouve des blogueurs ne faisant pas de fautes, quoique rarement) mais dire n'importe quoi : le discours en est-il légitimé ? Certains pensent que oui, mais pour moi, un con qui écrit sans faute reste un con…
Cette discrimination, toujours aussi prégnante, est dénoncée par les réactionnaires de tous bords qui aimeraient revenir en 1900. La baisse du niveau d'orthographe symboliserait la décadence de l'école. Il n'en est rien : cette baisse montre qu'on demande maintenant des choses différentes aux élèves. Vaut-il mieux qu'un enfant sache écrire sans faute mais ne sache que cela, ou qu'il ait une culture générale bien plus dense en faisant quelques fautes par-ci par-là ?
Alors, que faire, cher lecteur ? Je ne dis nullement qu'on ne doit pas enseigner l'orthographe, que l'on ne doit pas sanctionner son manque de respect ou que l'on ne doit pas signaler à un blogueur qui fait des fautes qu'il en fait. Il faudrait d'ailleurs en revoir la pédagogie et les aspects enseignés : pourquoi ne cherche-t-on jamais à faire comprendre aux gamins les ressorts de la langue ??? Cela les passionne quand on s'y met.
Je pense juste que l'orthographe ne suffit pas pour discréditer quelqu'un. Certes, lorsque je découvre des fautes traînant dans mes billets, je m'énerve, je les corrige, et je me fouette avec des orties fraichement coupées en espérant que cette faute ne sera plus jamais présente dans mes écrits. De même, un commentaire là-dessus me gène car il me prouve que je ne parviens toujours pas à résoudre le problème. Par contre, je suis bien plus atteint lorsqu'un blogueur ou un commentateur parvient à me démonter et à me convaincre que je me suis perdu. L'idée est bien le centre de notre activité, comme elle est le centre de ce que les élèves apprennent. Essayons, cher lecteur, de ne pas l'oublier.
PS : pour parer à toute éventualité, il est évident qu'il y a des fautes dans ce billet. N'hésite pas, cher lecteur, à me les signaler, mais que cela ne t'empêche pas de répondre sur le fond.