Le Sénat a adopté la loi sur l'amnistie des syndicalistes. Tu en trouveras, cher lecteur, le texte ici. Immédiatement, la blogosphère s'est saisie du sujet : la droite râle, le FdG trouve que l'on ne va pas assez loin, certains blogueurs socialistes considèrent que ce sujet n'est pas au centre des préoccupations des Français. Globalement, on n'échappe nulle part à tous les clichés habituels sur l'action syndicale.
En tant que syndicaliste moi-même, je trouve le sujet tout à fait intéressant. Il pose en fait la question du délit qui n'est pas motivé par la volonté du délinquant de s'enrichir personnellement mais de défendre une cause. En clair, on considère souvent, dans le monde syndical, que des décisions iniques légitiment des actions illégales (cette différence entre légitimité et légalité est primordiale). A droite, on estime que la délinquance des syndicalistes est un problème de fond, aussi grave que celui de la délinquance classique, et bien plus que la délinquance des entreprises qui, elles, ont les moyens de se payer des juristes pour mener des actions illégitimes en toute légalité. Rappelons que la droite trouvait normal que des maires refusent de mettre en œuvre la loi votée il y a encore quelques semaines ou qu'on lit régulièrement, dans la blogosphère de droite, le fait que les droits sociaux sont des entraves à la liberté : aucune raison de rentrer dans ce débat face à cette mauvaise foi totalement assumée.
D'expérience, on sait que l'action syndicale peut amener à enfreindre la loi. C'est une évidence, et il me semble important que chaque syndicaliste en ait une pleine conscience. Lorsque l'on fait un acte illégal mais qu'on estime légitime, on prend ainsi ses responsabilités, d'autant plus que l'on sait que la justice, surtout durant les dix dernières années mais encore aujourd'hui, est particulièrement sévère. Après, je l'ai souvent écrit : le fait de résister aux pouvoirs amène à prendre des risques. On se doit de faire avec. C'est bien pour cela que la droite, très globalement attaché au respect de la loi (surtout lorsque cela protège ses intérêts), estime que les syndicalistes doivent être particulièrement sanctionnés. Cependant, pour relativiser, c'est en général l'opinion dans son ensemble qui décide et qui légitime, ou pas, des actions syndicales illégales. Les actions contre les OGM, menées par la Confédération paysanne, ont souvent le soutien des Français, mais elles sont exclues de la loi. Xavier Mathieu a aussi gagné une image positive du fait du comportement de son entreprise, bien plus méprisable. Par contre, l'opinion s'est souvent montrée sévère avec la CGT du Port de Marseille ou de la SNCM, ou encore avec la CFDT de Brittany Ferries.
Quand on analyse le texte voté par le Sénat (en rappelant que l'Assemblée nationale doit encore s'en saisir et peut largement l'élaguer, car le FdG ne peut rien faire dans cette institution), on constate que seuls les petits délits sont amnistiés. En soi, je pense que ce n'est pas plus mal. Et puis, les grévistes de 1948 bénéficient enfin d'une amnistie, ce qui répare, en l’occurrence, une vraie injustice. S'il devait rester quelque chose de ce texte, c'est bien ce premier article.
Pour le reste, même si le FdG en a fait un marqueur de son action politique, je reste assez d'accord sur le fait que la population se moque complètement de cette loi. En gardera-t-elle un mauvais souvenir ? A droite, oui, on l'utilisera comme un hochet pour effrayer l'électeur, mais on s'en fout : on ne fait pas de la politique pour satisfaire des gens avec qui on est en désaccord et qui viennent de perdre les élections. Par contre, je pense que l'électorat socialiste s'en fichera. Quand à l'électorat FdG, ce n'est pas ce texte qui le fera changer d'avis sur le PS. En clair, politiquement, l'opération est à somme nulle.
Reste que le PS tente quand même de séduire les militants syndicaux, dont certains sont membres de ce parti. Là encore, je doute du succès.
Est-ce que l'existence de ce texte changera quelque chose à l'exercice de mon action syndicale ? Non. D'abord parce que je n'ai pas eu l'occasion d'enfreindre la loi (en tout cas pas suffisamment gravement pour qu'on m'en tienne rigueur) depuis sept ans que je milite, et ensuite parce que j'ai milité sous Sarkozy alors que cela pouvait être dangereux, sans trouver que cela ait pu avoir une quelconque importance.