Il y a quelques jours, un compère blogueur de mon ancienne commune des Lilas me demandait (avec une certaine exigence) de m'intéresser aux propositions de Bruno Julliard concernant l'éducation.
J'ai traîné, d'abord parce que les propositions des partis politiques sont en général extrêmement décevantes sur ce sujet depuis que je travaille, et ensuite parce que le PS a de plus en plus tendance à suivre les idées des libéraux ou celles des réactionnaires sur l'aspect éducatif. Et là, dans le programme Julliard, ce sont les premiers qui tiennent la corde.
Bon, tu vas me dire, cher lecteur, que Julliard ne propose pas de privatiser le système éducatif, ce qui montre un libéralisme très modéré. J'en conviens (je suis gentil aujourd'hui, tu remarqueras). Il cède cependant à l'une des propositions-phares des politiciens depuis dix ans sur le système éducatif : l'autonomie des établissements.
Je te résume le concept rapidement. Dans l'esprit de nos politiciens, l'Education nationale est un système sclérosé par sa rigidité et sa centralisation. D'autre part, elle souffre d'un encadrement trop fort, lié aux idées égalitaristes marquées par un marxisme d'un autre âge, qui l'empêche de s'adapter aux réalités du terrain et de traiter les élèves qu'elle a en face d'elle.
Pour résoudre cette difficulté, aucun problème ! Il faut de la liberté pour les établissements. Chaque bahut devrait pouvoir, en toute liberté, définir ses projets et mettre en place les actions nécessaires pour aider les élèves à s'en sortir le mieux possible. Ainsi, si une école devient très bonne, elle concentrera plus d'élèves qu'auparavant, alors que les mauvais établissements, eux, fermeront progressivement. D'autre part, cela permettra aux enseignants de faire ce que l'économiste bon teint appelle de l'innovation, ce qu'ils ne pourraient pas faire maintenant.
Cette conception vise, à mon sens, à installer de la concurrence entre les écoles, les collèges et les lycées. Elle répond à l'idée que la concurrence fonctionne toujours mieux que le monopole, et qu'elle produira donc davantage de richesses. L'idée est très belle en soi, mais elle me semble totalement erronée si on l'applique à un système éducatif.
Reprenons donc les idées dans l'ordre. Tout d'abord, la soi-disant extrême centralisation n'en était pas une au plan des enseignants. Au contraire, la tendance a plutôt été au renforcement du contrôle sur les pratiques des profs. Dans les années 1980, les programmes étaient relativement vastes et finalement assez ouverts. De plus en plus, les exigences ont été de plus en plus corsetées, que ce soit sous la gauche ou sous la droite. Le ministère a commencé à minuter les programmes, à vouloir imposer des problématiques (excluant la recherche et ses questionnements) et même, très récemment, des exemples à traiter obligatoirement en cours. Finalement, la liberté des profs de mettre en oeuvre leurs idées n'a pas cessé de se réduire, en tout cas dans les cours, sous l'impulsion des politiciens eux-mêmes.
En mettant en place l'autonomie, les politiciens souhaitent réformer le système de notation des profs et mettre le chef d'établissement aux commandes, voire le créer dans le primaire. Celui-ci sera sans doute capable de parfaitement gérer les budgets et la masse salariale. Par contre, s'il est un ancien DRH d'une entreprise ou un ancien prof de maths, comment pourra-t-il évaluer la validité de mon travail en histoire et en géographie ? Certes, il entendra les ragots des élèves (toujours sujets à caution), les éventuelles plaintes des parents (qui ne se déplacent que lorsque les problèmes sont vraiment importants) mais il n'aura pas le fond scientifique pour juger du contenu. Alors, il est à craindre qu'il adoptera d'autres critères comme le copinage, la soumission, le nombre d'heures supplémentaires faites ou l'absence d'engagement syndical...
Ensuite, et c'est un second point, il est vrai que les établissements n'ont pas la pleine liberté de leur gestion financière. Actuellement, les établissements gèrent deux choses : ils votent un budget de fonctionnement matériel en répartissant les dotations de la collectivité territoriale et ils répartissent les heures d'enseignement transmises par le ministère en s'appuyant sur le cadrage national. Or, en réalité, la fameuse autonomie existante est plutôt l'autonomie du chef d'établissement face à aux profs, tout en restant soumis aux volontés de l'administration centrale. Je ne fais aucune confiance au PS pour faire évoluer une situation qu'il a lui-même contribuée à mettre en place.
Reste cette histoire de saine concurrence. Depuis la suppression de la carte scolaire, elle existe déjà de fait. Or, elle ne s'appuie finalement pas sur ce qui est vraiment important : le cours et la réussite des élèves. Soyons clair, cher lecteur. L'école est un système collectif visant à distribuer des connaissances et des compétences à tous les enfants. Or, depuis que l'individualisme croît dans notre belle société, on s'intéresse bien plus à l'élève en tant qu'individu qu'aux élèves en tant que groupe. Le cours est de plus en plus délaissé : les classes sont au maximum (ma 1ère de cette année est à 36 élèves...), les bons élèves réussissent toujours mais l'équation est de plus en plus difficile pour les autres, le niveau des programmes et les exigences ne cessent de se réduire. Pour compenser ce désengagement pour le groupe, on propose de l'individuel : si votre gamin vient chez nous, il aura de belles sorties, de beaux projets culturels, il aura du soutien et des stages de vacances... Ce panel varie autant en fonction des idées des chefs d'établissement que des propositions des profs du coin.
Alors, que va-t-il se passer ? Si l'autonomie des établissements comme les politiques la conçoivent se met en place, les établissements vont s'adapter à minima à leurs élèves. Les lycées où se concentrent les meilleurs feront des choses très complexes et élevées, les lycées comme le mien feront du basique. Les écarts vont se creuser sans cesse entre pauvres et riches, alors qu'ils sont déjà très importants. La remise en cause du bac national, dont on va encore réduire nettement les exigences, ne fera qu'accroître cette tendance.
Alors, que faudrait-il faire, cher lecteur ? Faudrait-il abandonner l'idée de l'autonomie ? Je vais te répondre franchement : on s'en fout. L'autonomie est présentée comme un objectif en soi qui va tout résoudre, mais elle n'est qu'un moyen qui ne va nulle part. Ce qu'il faut, avant tout, c'est savoir où doit aller le système éducatif.
Pour moi, un programme de gauche doit viser à trois objectifs clairs et simples :
- L'école doit avoir des objectifs très élevés pour l'ensemble des élèves, avec un diplôme commun qui valide ceux-ci. Les gamins, d'où qu'ils viennent, ne sont nullement des idiots qui rejettent la culture. Ils aiment apprendre et je suis persuadé qu'ils peuvent aller très loin si on les y amène. Arrêtons de prendre les enfants pour des idiots, et nous n'en ferons plus des idiots.
- L'école est un système collectif qui doit amener des futurs citoyens au plus haut. Aussi, il est inacceptable qu'on fiche en l'air la formation collective pour payer des internats d'excellence aux meilleurs et/ou pour maintenir en classe le boulet qui pourrit l'ambiance générale. Ce qui devrait être au centre des préoccupations, c'est de tout faire pour que la transmission des compétences et des connaissances se passe pour le mieux pour tous les gamins.
- L'école est un système où la vraie liberté est celle de ses acteurs. Laissons les profs, les inspecteurs, les proviseurs, les documentalistes, les CPE travailler librement. Le politique doit être là pour fixer un cadre finalement assez simple et pour évaluer globalement les réussites et les échecs du système, c'est-à-dire :
- les programmes à traiter,
- la gestion financière,
- les conditions d'embauche des personnels,
- les conditions de progression de carrière et d'évaluation de ceux-ci,
- les enquêtes régulières à transmettre aux personnels pour montrer ce qui s'améliore et ce qui régresse et les amener à bouger dans leurs actions.
Dans ce cadre, l'autonomie devrait être celle de laisser des cadres faire leur boulot comme ils l'entendent. Ce serait une vraie progression.
Il faudrait que je fasse bien des billets pour revenir sur tout cela : je vais peut-être m'y atteler. Je reviendrai sans doute sur d'autres propositions du PS prochainement, si j'en ai le courage...
Vous devriez vous renseigner sur ce que font les Maisons Familiales Rurales (MFR) je pense que vous seriez surpris du résultat.
RépondreSupprimerIls acceptent des jeunes souvent en échec et ils les remotivent.
Bonne journée.
Merci Mathieu,
RépondreSupprimerMon "exigence" est largement comblée :-)
Excellent billet.
@ Anonyme : merci du conseil.
RépondreSupprimer@ Nico93 : de rien. J'espère que tu m'indiqueras tes réactions.
Je partage tout ce que tu viens d'écrire notamment le paragraphe sur l'individualisme croissant et les projets locaux.
RépondreSupprimerJe suis aussi assez troublé de voir que dans le débat sur l'éducation, certains arrivent vite à opposer l'intérêt des élèves à celui des profs, comme s'il fallait choisir un camp.
@ Nico93 : c'est la vision de droite, qui implique que les profs sont d'ignobles conservateurs marxistes qui font péricliter le système. Dommage qu'elle prospère au PS.
RépondreSupprimerL'école est aujourd'hui en échec total. Il lui faut une métamorphose comme le suggère depuis TRES longtemps Edgar Morin.
RépondreSupprimerLes réformes avec les mêmes programmes, les mêmes horaires, les mêmes calendriers, la même (non) formation des enseignants seront toujours vouées à l'échec
Amitiés
Christophe/wwww.profencampagne.com
@ Christophe : complet désaccord avec toi, mais il faudrait plusieurs billets pour y répondre. Ce qui compte, ce n'est pas le cadre mais la manière dont on arrive aux objectifs.
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