jeudi 28 février 2013

La loi d'amnistie des syndicalistes : une opération à somme nulle.

Le Sénat a adopté la loi sur l'amnistie des syndicalistes. Tu en trouveras, cher lecteur, le texte ici. Immédiatement, la blogosphère s'est saisie du sujet : la droite râle, le FdG trouve que l'on ne va pas assez loin, certains blogueurs socialistes considèrent que ce sujet n'est pas au centre des préoccupations des Français. Globalement, on n'échappe nulle part à tous les clichés habituels sur l'action syndicale.

En tant que syndicaliste moi-même, je trouve le sujet tout à fait intéressant. Il pose en fait la question du délit qui n'est pas motivé par la volonté du délinquant de s'enrichir personnellement mais de défendre une cause. En clair, on considère souvent, dans le monde syndical, que des décisions iniques légitiment des actions illégales (cette différence entre légitimité et légalité est primordiale). A droite, on estime que la délinquance des syndicalistes est un problème de fond, aussi grave que celui de la délinquance classique, et bien plus que la délinquance des entreprises qui, elles, ont les moyens de se payer des juristes pour mener des actions illégitimes en toute légalité. Rappelons que la droite trouvait normal que des maires refusent de mettre en œuvre la loi votée il y a encore quelques semaines ou qu'on lit régulièrement, dans la blogosphère de droite, le fait que les droits sociaux sont des entraves à la liberté : aucune raison de rentrer dans ce débat face à cette mauvaise foi totalement assumée.

D'expérience, on sait que l'action syndicale peut amener à enfreindre la loi. C'est une évidence, et il me semble important que chaque syndicaliste en ait une pleine conscience. Lorsque l'on fait un acte illégal mais qu'on estime légitime, on prend ainsi ses responsabilités, d'autant plus que l'on sait que la justice, surtout durant les dix dernières années mais encore aujourd'hui, est particulièrement sévère. Après, je l'ai souvent écrit : le fait de résister aux pouvoirs amène à prendre des risques. On se doit de faire avec. C'est bien pour cela que la droite, très globalement attaché au respect de la loi (surtout lorsque cela protège ses intérêts), estime que les syndicalistes doivent être particulièrement sanctionnés. Cependant, pour relativiser, c'est en général l'opinion dans son ensemble qui décide et qui légitime, ou pas, des actions syndicales illégales. Les actions contre les OGM, menées par la Confédération paysanne, ont souvent le soutien des Français, mais elles sont exclues de la loi. Xavier Mathieu a aussi gagné une image positive du fait du comportement de son entreprise, bien plus méprisable. Par contre, l'opinion s'est souvent montrée sévère avec la CGT du Port de Marseille ou de la SNCM, ou encore avec la CFDT de Brittany Ferries.

Quand on analyse le texte voté par le Sénat (en rappelant que l'Assemblée nationale doit encore s'en saisir et peut largement l'élaguer, car le FdG ne peut rien faire dans cette institution), on constate que seuls les petits délits sont amnistiés. En soi, je pense que ce n'est pas plus mal. Et puis, les grévistes de 1948 bénéficient enfin d'une amnistie, ce qui répare, en l’occurrence, une vraie injustice. S'il devait rester quelque chose de ce texte, c'est bien ce premier article.

Pour le reste, même si le FdG en a fait un marqueur de son action politique, je reste assez d'accord sur le fait que la population se moque complètement de cette loi. En gardera-t-elle un mauvais souvenir ? A droite, oui, on l'utilisera comme un hochet pour effrayer l'électeur, mais on s'en fout : on ne fait pas de la politique pour satisfaire des gens avec qui on est en désaccord et qui viennent de perdre les élections. Par contre, je pense que l'électorat socialiste s'en fichera. Quand à l'électorat FdG, ce n'est pas ce texte qui le fera changer d'avis sur le PS. En clair, politiquement, l'opération est à somme nulle.

Reste que le PS tente quand même de séduire les militants syndicaux, dont certains sont membres de ce parti. Là encore, je doute du succès.

Est-ce que l'existence de ce texte changera quelque chose à l'exercice de mon action syndicale ? Non. D'abord parce que je n'ai pas eu l'occasion d'enfreindre la loi (en tout cas pas suffisamment gravement pour qu'on m'en tienne rigueur) depuis sept ans que je milite, et ensuite parce que j'ai milité sous Sarkozy alors que cela pouvait être dangereux, sans trouver que cela ait pu avoir une quelconque importance.

lundi 25 février 2013

Rythmes scolaires : les enseignants peuvent-ils encore communiquer en France ?

La situation de la réforme des rythmes scolaires dans le premier degré illustre les difficultés de plus en plus grandes dans lesquelles se trouvent les enseignants pour faire passer un quelconque message positif.

Lorsque Vincent Peillon a décidé de poursuivre la réforme des rythmes entamée par son prédécesseur, il était évident que le sujet serait très glissant. Il touche en effet de nombreuses personnes et de nombreux acteurs de notre société :
  • les parents qui doivent réadapter leurs emplois du temps,
  • les profs qui doivent changer leurs modes de vie, mais aussi tous les autres personnels travaillant dans les écoles,
  • les communes qui doivent éventuellement embaucher et/ou débaucher du personnel pour la semaine et pour les périodes de vacances,
  • les associations et clubs sportifs, les groupes d'activité artistique, les religieux qui font du cathé... : beaucoup d'entre eux voyaient les gamins les mercredis,
  • les entreprises du tourisme, si jamais on touche aux vacances et à leurs durées...
En clair, c'est très compliqué. Et sur ce sujet-là, personne, parmi les spécialistes auto-proclamés ou pas, n'est vraiment d'accord. Je l'avais déjà évoqué dans ce billet, et je ne vais pas y revenir.

De toute façon, le ministre, même s'il vient de se relancer sur la question des vacances, a finalement adopté une réforme a minima (redéployer une partie des heures de cours sur une matinée de plus, sans augmenter le temps effectif de cours ni toucher aux vacances). Il doit pour cela obliger les communes à embaucher des personnels. Certaines vont sûrement fermer les écoles plus tôt ou les ouvrir plus tard.

Globalement, pour résumer très schématiquement, les gamins vont avoir le même temps de cours (24 heures par semaine) contre 27 avant la réforme Chatel, mais avec une demi-journée de plus dans la semaine. Le temps dégagé sera occupé par les communes, qui feront ce qu'elles pourront.

Ayant pas mal de professeurs des écoles dans mon entourage, j'ai pu entendre des réactions très diverses. D'abord, avant les annonces, j'avais trouvé que les collègues n'étaient pas forcément mécontents de retravailler une demi-journée de plus, car les cours du samedi matin se passaient souvent très bien. La division apparaît plutôt sur la demi-journée à choisir : dans mes connaissances, un tiers sont pour le samedi et deux tiers pour le mercredi, mais c'est très schématique, parce que cela porte sur six personnes...

Par contre, l'arrivée des communes dans le temps scolaire obligatoire est très mal vécue, car cela va avoir des conséquences lourdes de deux façons différentes :
  1. d'abord, le principe est gênant, car, de fait, les enfants de tout le pays vont voir arriver tout et n'importe quoi, parfois de très bonnes choses, parfois n'importe quoi. Les collègues auraient souvent préféré revenir à 27 heures dans ce cas (le programme est très dur à tenir en 24h)...
  2. ...car les communes vont souvent mettre ces activités en place sur la pause de midi. En effet, elles avaient déjà des personnels pour surveiller les cantines sur ces moments-là. Elles ne seraient donc pas obligées d'embaucher. Par contre, les profs resteront toujours autant de temps (mais avec 2h15 libérées le midi au lieu de 1h30), ce qui fait qu'ils resteront autant de temps qu'aujourd'hui à l'école les quatre jours de la semaine, et il faudra y ajouter les trois heures de la demi-journée supplémentaire.
Personnellement, je pense que ce type de réforme aurait pu passer si les collègues pensaient que les gamins y gagneraient des choses. C'est l'avantage de la grande majorité des fonctionnaires : n'ayant pas le profit comme appât, nous sommes heureux quand le service est bien rendu. On pourrait donc faire passer une réforme allongeant le temps de travail, même si c'était difficilement, avec l'idée derrière d'un travail mieux fait.

Avec cette réforme, les profs des écoles pensent que les conditions d'enseignement ne changeront pas, que la qualité de l'enseignement ne sera modifiée qu'à la marge (programmes identiques, temps identiques, personnels identiques...), qu'ils resteront plus longtemps à l'école (autant les quatre jours + trois heures le mercredi) et que les gamins, pendant ce temps, feront un peu tout et n'importe quoi avec les personnels des communes.

Ce qui ressort de cette réforme, c'est que le gouvernement pense résolument, sans que je comprenne bien pourquoi, que les collectivités territoriales sont les solutions à tous les problèmes du système éducatif. J'en reparlerai.

Reste que les grèves sont arrivées, et qu'elles ont été très bien suivies, bien plus que sous Sarkozy. Les syndicats ont diffusé deux types de messages : soit il ne faut rien changer (FO, SUD, CGT), soit qu'il faut faire la réforme mais en mieux (SNUIpp-FSU, certaines sections du SE-UNSA). Globalement, ce dernier message n'est pas passé dans les médias.

Ceux-ci, imbus de leurs idées anti-profs nantis, ont répercuté une seule idée : les profs se fichent des gamins et ne veulent simplement pas bosser plus. Et bien sûr, plutôt que d'aller interviewer des personnes qui réfléchissent à tout cela et qui ont des pensées nuancées, on va pêcher n'importe quel guignol dans une manifestation, on coupe l'interview pour qu'on entende simplement "touchez pas à mon mercredi !", et pendant que le pays s'effondre dans le marasme, on construit la vision d'un monde éducatif arc-bouté sur le temps de travail, sans aucune réflexion derrière et qui se moque de la situation des autres citoyens de ce pays.

Les médias ont été pitoyables, et les politiques pourtant de gauche au pouvoir aussi, avec des gens qui ont pourtant voté François Hollande à 75% au premier tour.

Globalement, ce qui ressort tout de même, c'est que les syndicats des profs du premier degré, pourtant mieux vu en général que ceux du second, n'arrivent pas à faire passer un quelconque message à travers le plafond de verre des médias.

Un dernier point : le SNUIpp-FSU, syndicat majoritaire, ne voulait pas faire grève sur ce sujet, justement à cause du piège médiatique potentiel et des risques pour l'image des collègues. Cela démontre bien les difficultés pour les syndicats, même pour les plus gros, de communiquer. Or, il y a été forcé par sa base. Des copains du SNU m'ont raconté que les AG avec les personnels avaient été très tendues, et qu'ils auraient eu de gros problèmes s'ils n'avaient pas choisi d'appeler.

En ce moment, on peut vraiment dire que l'on se mord la queue...

jeudi 21 février 2013

Fin du jour de carence : l'exemple d'une mesure inefficace pour les finances publiques mais symbolique pour gagner (ou perdre) des élections.

Les Echos l'annoncent ce matin : au dernier trimestre de l'année 2013, le jour de carence pour les fonctionnaires, lorsqu'il y a prise d'un arrêt-maladie, sera abrogée.

Depuis quelques temps, dans l’Éducation nationale, on voyait bien les effets de la mesure. D'abord, il est certain que cela avait un impact à priori positif pour le gouvernement : la nette diminution de la participation aux journées de grève. Cela s'était vu lors de la journée de grève du 31 janvier 2013, pourtant appelée pour refuser le jour de carence, qui avait amené peu de monde dans les rues dans l’Éducation nationale. Plusieurs collègues, dans mon lycée dit difficile, évoquèrent les deux ou trois jours de carence déjà assumés depuis le début de l'année scolaire, interdisant de fait la perte d'un trentième supplémentaire.

Par contre, la mesure avait aussi un réel côté pervers. Depuis le début de l'année, j'ai aussi entendu, venant de plusieurs salles des profs, l'idée que, si on pouvait avoir tendance autrefois, par conscience professionnelle, à réduire les arrêts au minimum (un jour de repos suffit souvent, il faut bien le dire), pourquoi se limiter lorsqu'on vous sucre un jour de carence ? En clair, une fois un jour perdu, autant accepter quand le médecin vous propose trois jours et qu'on avait autrefois le réflexe de n'en demander qu'un. Du fait de ses grosses difficultés de remplacement, l’Éducation nationale ne pouvait que souffrir de ces évolutions, particulièrement dans le premier degré où il faut qu'il y ait un adulte devant une classe. On peut donc espérer que le retour à la situation antérieure fera disparaître ces comportements nuisibles aux finances du système de santé comme au système éducatif.

Reste que la mesure reste en place dans le privé, où on sanctionne les salariés qui sont malades. Certes, dans les grosses boites, les mutuelles prennent en charge (les jours de carence étant alors un simple transfert de charge de la Sécurité sociale aux mutuelles), mais il reste sans doute au moins 40% des salariés français du privé qui sont ainsi sanctionnés, entraînant un refus de leur part de s'arrêter en cas de petites maladies, et donc, de fait, une dégradation globale de leurs conditions de vie.

Cette mesure reste assez incompréhensible, car un travailleur qui refuse de se soigner s'abime, devient moins efficace et finalement, nuit au fonctionnement de son entreprise ou de son service public comme à lui-même.

La droite avait mis en place cette mesure pour satisfaire son électorat, une partie de celui-ci étant persuadé que les fonctionnaires passent leur temps en arrêt-maladie. La gauche, après avoir arrosé l'électorat de droite avec cadeaux fiscaux aux entreprises et au MEDEF (alors qu'il ne votera jamais pour lui), semble enfin se souvenir de ses électeurs. On peut déplorer ces mesures à courte vue et uniquement à but électoraliste. Les politiciens feraient mieux de trouver de vraies solutions plutôt que de s'amuser à flatter tous les côtés bas et mesquins de leurs clientèles.

Il ne reste plus maintenant qu'un petit pas à franchir : faites sauter les jours de carence dans le privé (et les franchises médicales par la même occasion), laissons nos concitoyens se soigner en paix, et vous verrez qu'on observera une amélioration globale des conditions de santé de nos concitoyens, voire même une diminution des déficits de la Sécurité sociale.