lundi 30 juin 2008

Pétition or not pétition? Le cas de la base élèves.

En ouvrant cet après-midi le site de Libération, j'ai pu découvrir qu'une nouvelle pétition était lancée par deux éminents chercheurs: Dominique Glasman, enseignant à l'université de Savoie, et Stéphane Beaud, éminent sociologue spécialiste des ouvriers et professeur à l'école normale supérieure. Je sais ce que tu vas tout de suite me balancer, cher lecteur: encore deux crypto-communistes qui lancent une pétition à la con qui ne sert à rien sur les sans-papiers ou contre la réforme des retraites. En fait, pas du tout, cette pétition concerne l'école, et particulièrement la fameuse Base élèves.


Qu'est-ce que c'est encore que ce machin, vas-tu me dire, cher lecteur épuisé par une harrassante journée de travail? La base élèves est une idée qui macère depuis longtemps dans l'Education nationale, mais qui a été mise en oeuvre sous Luc Ferry, durant le premier gouvernement Raffarin. L'idée était de créer un logiciel permettant de mettre en place une base de données informatisée sur chaque gamin qui rentre dans le système scolaire. Cela devait permettre d'attribuer à chacun un numéro d'élève, et de suivre ensuite toute sa carrière de la maternelle jusqu'au baccalauréat. En effet, jusque là, l'administration faisait passer d'un établissement à l'autre un dossier papier de plus en plus volumineux, qui avait une lourde tendance à se perdre d'ailleurs, lorsque les directeurs d'école transféraient vers le collège, ou les principaux vers les lycées. Tout cela avait donc un objectif à priori purement pratique, mais aussi économique car permettant d'optimiser le temps de travail des administrations et de retrouver l'information plus facilement.


Mais, seulement voilà, les syndicats enseignants se sont opposés à ce système. Eh oui, encore une fois, les privilégiés ont tenté de bloquer le train de la réforme et du progrès. Là, à priori, tu pourrais te dire, cher lecteur agacé, que nous sommes décidément prompt à contester n'importe quoi, y compris des réalisations qui ne nous concernent pas et ne touchent pas nos conditions de travail. En fait, l'inquiétude portait plutôt sur ce qu'il y avait d'inscrit dans cette base de données, et sur les usages qu'on pouvait en faire:


  • La première crainte concernait les critères qui devaient être renseignés sur chaque gamin. Le ministère avait imaginé demander de nombreuses informations, comme les problèmes de santé, la nationalité, la situation des parents, la religion... Bref, des données qui auraient pu amener à des conséquences nocives pour les gamins: tout cela tombait en plein au début des gesticulations de Sarkozy, jeune ministre de l'intérieur, à propos des sans-papiers. D'autre part, on a aussi eu peur que l'administration utilise cet outil pour faire de la sélection entre les élèves, en cas de relâchement de la carte scolaire, grâce aux nombreuses informations contenues.

  • La deuxième était liée au parcours de l'élève. En effet, dans le système actuel, un élève qui reçoit des sanctions et des avertissements est blanchi au changement d'année scolaire, car la sanction est pédagogique. Les feuilles de sanction sont alors ôtées du dossier scolaire et passées à la broyeuse. Or, avec le numérique, lourde était la crainte de voir de toutes petites choses coller aux élèves, y compris peut-être après le bac.

  • A cela s'est ajouté le délire (une fois de plus, me diras-tu, cher lecteur) de Sarkozy que l'on pouvait identifier les futurs délinquants dès trois ans en 2004. Là encore, on a pensé que les fichiers seraient interconnectés et qu'il y avait des risques réels pour la vie privée de nos élèves.

Je te rassure, cher lecteur, les profs n'ont pas été les seuls à protester. La CNIL avait émis de nombreuses réserves sur ce système à cause du droit d'accès et de rectification des familles et de la crainte que d'autres administrations puissent y accéder aisément.

Or, depuis son arrivée, Darcos a complètement changé de direction, et a fait annuler une grande part des aspects de la base élèves. Certaines informations qui étaient auparavant demandées ne le sont plus d'ailleurs, comme le métier des parents ou la nationalité des gamins.

C'est justement là-dessus que Beaud et Glasman s'insurgent. Pourquoi, vas-tu me dire? Les deux sociologues s'inquiètent du fait que l'Education nationale a cessé par là-même de collecter des données, empêchant de réelles recherches scientifiques sur les années récentes et sur les années à venir. Les deux chercheurs exigent donc que l'on rétablisse certains critères dans cette base pour que les chercheurs puissent bosser.

Voilà, cher lecteur étonné, une sacrée contradiction. Que doit-on privilégier? La vie privée des élèves? La crainte des fichiers informatisés? La demande des intellectuels? Là, franchement, je suis à sec sur cette discussion.

Je n'avais déjà pas signé les pétitions contre la base élèves parce que je doutais vraiment des protestations, et, dans le doute, j'ai préféré m'abstenir. Là encore, je m'abstiendrai, mais je t'encourage, cher lecteur militant, à te positionner.

NB: je te signale par la même occasion, dans le même Libé, cette très intéressante interview de Pierre Larrouturou sur le temps de travail et l'évolution des salaires.

dimanche 29 juin 2008

Et si on parlait de la réforme constitutionnelle? Le président de la République devant le Parlement.

Cher lecteur, aujourd'hui, en ce beau dimanche ensoleillé, une jolie balade dans Paris et un repas pantagruélique avec un de mes amis m'ont donné envie de te parler de la réforme constitutionnelle que le Parlement tente de faire, avec beaucoup de difficultés. Tu vas me dire que tu ne vois pas bien le rapport, mais en regardant mon mi-cuit au chocolat tout à l'heure, je me suis mis à penser à Nicolas Sarkozy. J'admets que je n'arrive pas encore bien à saisir le lien, et il faudrait que j'en parle à un psychanalyste pour débrouiller le tout.
L'un des aspects de cette réforme qui a suscité le plus de commentaires est la possibilité offerte au président de s'adresser directement à la Chambre, sans débat contradictoire ensuite. Au départ, je dois te dire que les autres aspects de la réforme me semblaient largement plus importants que celui-là. Qu'en est-il aujourd'hui? Actuellement, le président ne dispose pas du droit de se rendre dans l'enceinte du Parlement. Il y a là une vieille trace de notre passé historique: en novembre 1799, le général Bonaparte pénétrait dans l'enceinte du conseil des cinq-cents. Expulsé de l'Assemblée par les parlementaires en colère, il utilisa cette scène pour pousser son régiment à disperser les pauvres parlementaires, permettant sa prise de pouvoir. Depuis, le Parlement est théoriquement indépendant du pouvoir exécutif, et est d'ailleurs protégé par une garde indépendante qui doit éviter autant la pression de l'exécutif que celle du peuple sur les parlementaires. Depuis 1873, le chef de l'Etat ne peut plus se rendre dans l'enceinte du Palais-Bourbon ou du palais du Luxembourg.


Malgré tout, le président peut communiquer avec les parlementaires. Tout d'abord, l'article 18 permet au président de s'adresser au Parlement par la lecture d'un message. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne différencie trois types de message: des messages de courtoisie, en début de mandat généralement, des messages de commémoration (en fait, il n'y en a eu qu'un seul lors du centième anniversaire de la naissance de Robert Schuman) et des messages politiques (annonces de référendum ou de politique internationale). Il s'agit de l'un des seuls actes que le président peut faire sans le contreseing du premier ministre, ce qui empêche le Parlement de mettre en cause le gouvernement dans ce cadre, et qui évite le risque de la motion de censure.
En effet, il y a une logique à tout cela. Le premier ministre est l'interlocuteur principal du Parlement dans la relation entre exécutif et législatif. La raison en est simple: il est responsable devant lui et peut être renversé par une motion de censure. C'est donc lui qui répond aux questions du Parlement, qui défend (parfois) les projets de loi et qui mène les relations avec les parlementaires. Le président, lui, par définition, est irresponsable et ne rend des comptes que lors des élections suivantes s'il se représente. De Gaulle avait considéré que le président pouvait se relégitimer par des référendums ou par les élections législatives (tous les cinq ans à l'époque alors que le président restait sept ans), mais la pratique de Mitterrand et de Chirac, et la mise en place du quinquennat en 2000 ont fait du président un personnage qui ne se légitime plus que par l'élection présidentielle: lors de la défaite du référendum de 2005 sur le TCE, Chirac n'a même pas envisagé de quitter le pouvoir.


Le président ne manque cependant pas de moyens de pression sur les parlementaires. D'abord, il maîtrise, par l'intermédiaire de son premier ministre, l'ordre du jour et le travail de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ensuite, il nomme en réalité seul le premier ministre (depuis la dissolution de 1962, provoquée par la seule motion de censure votée par l'Assemblée contre Georges Pompidou, la Chambre se tient à carreau là-dessus). Enfin, en cas de conflit, il peut dissoudre, ce que les députés détestent par dessus tout. On voit bien sur ce débat constitutionnel qu'il a moins d'influence sur le Sénat, qui dans une réforme constitutionnelle est indispensable, à cause de l'article 89 qui impose un vote identique sur le même texte des deux chambres. Sarkozy pourrait toujours utiliser l'article 11 et faire un référendum sur la question, mais je doute que le contexte politique y soit propice.


Alors, pourquoi vouloir venir directement devant la chambre? J'y vois deux facettes. La première est une référence à la constitution américaine. Dans ce système politique, le président adresse chaque année au Congrès le State of the Union, qui est censé résumer son bilan et les axes de la politique à suivre. Il le fait en personne, mais, attention, le contexte n'est pas le même. Dans ce système, et c'est peu connu en France, le Congrès est le premier pouvoir dans la constitution, et, comme le président et le gouvernement ne sont pas responsables devant lui (selon la stricte séparation des pouvoirs tirée des oeuvres de Montesquieu), il s'agit d'un moyen fort de contrôle du pouvoir législatif. En France, si le Parlement n'est pas content, il peut demander des comptes au premier ministre et virer le gouvernement, ce qui est amplement suffisant. En 1986, la nouvelle majorité de droite avait même imaginé refuser toutes les nominations de premier ministre faites par Mitterrand pour le pousser dehors, mais Chirac s'y est opposé (bien mal lui en a pris à l'époque!).
J'y vois une autre stratégie. Comme je le signalais dans un billet précédent, Sarkozy a encore envie de rendre les choses visibles. Plutôt que d'intriguer par derrière et de laisser le premier ministre faire son travail de fusible, il veut se mettre en avant et apparaître comme le seul auteur de la politique de l'exécutif. De plus, montrant ainsi sa mégalomanie, il veut briser ce garde-fou et venir lui-même se montrer devant la Chambre: aucun lieu ne peut se protéger de lui. Déjà qu'on l'a sans arrêt chez nous sur les médias, même les parlementaires, qui en étaient préservés, vont devoir le supporter en personne, sans jamais pouvoir lui répondre officiellement.


De nombreuses personnalités s'inquiètent de cette décision, craignant un président de plus en plus omnipotent. Franchement, cher lecteur, est-on encore en 1799 ou en 1873? Peut-on imaginer de voir le président faire en personne un coup de force contre l'Assemblée? Il lui suffirait de la dissoudre. Je pense que tout cela va encore affaiblir la fonction de président déjà malmenée par Sarkozy. De plus en plus, le chef de l'Etat se met en avant, assumant toutes les politiques impopulaires menées par l'exécutif. Lorsque ce président sera totalement impopulaire, qu'en fera-t-on? Les précédents chefs de l'Etat avaient la possibilité de faire sauter le premier ministre, ce que Sarkozy pourra, à mon avis, faire, mais sans impact réel sur l'opinion...
Alors, je vais faire un pari avec toi, cher lecteur. Je te parie que Sarkozy utilisera cette possibilité une ou deux fois, mais jamais sur des sujets importants: il viendra faire des politesses, mais c'est tout. Ses successeurs ne se rendront plus devant le Parlement, tout simplement parce que c'est un signe de faiblesse, et ils laisseront le premier ministre se faire dézinguer comme d'habitude. Intéressons-nous plutôt aux autres points de cette réforme. La prochaine fois que je verrai un met qui me fera penser au président, j'essaierai de t'en reparler.


Je dois admettre, cher lecteur, que la capacité de Sarkozy à se tirer des balles dans les pieds m'étonne toujours autant...

samedi 28 juin 2008

Le pouvoir voudrait-il même encadrer les blogs politiques?

Depuis quelques jours, la blogosphère bruisse d'un nouveau scandale. Un jeune blogueur de 20 ans, Louis, est attaqué par le maire UMP de Loudéac. Ce jeune homme était candidat sur la liste socialiste de la commune aux dernières municipales. Je ne connais pas tous les tenants de cette affaire. Si vous souhaitez plus d'informations, n'hésitez pas à consulter les blogs de Didier et de Nicolas. Personnellement, je n'en dirai pas plus car je ne souhaite pas m'exprimer sur une affaire judiciaire en cours.
Cependant, cher lecteur, cette affaire est inquiétante. Il y a eu récemment de nombreuses attaques lancées par des élus locaux, majoritairement de droite, contre des blogs abordant la politique locale. Cette situation se réfère pour moi à mon billet précédent. A mon avis, un politique fort n'a pas besoin de s'attaquer à ses opposants. Il est tout simplement légitime par la qualité de son action et n'a pas besoin de contester un adversaire, et d'autant plus un petit blogueur de 21 ans, militant socialiste de surcroît. Le maire aurait simplement pu dire que les socialistes ne reculaient devant rien, comme d'habitude, pour le traîner dans la boue, et s'arrêter là. Il n'y a que des hommes politiques en difficulté qui en arrivent là. Si vous êtes un opposant, que vous avez fait un travail sérieux et que vos affirmations sont étayés par des faits réels et que vous êtes attaqué en justice, réjouissez-vous, chers blogueurs (quand bien même l'épreuve est difficile), c'est que vous avez touché juste quelque part et que votre cible est faible...
Maintenant, je pense aussi que les blogueurs et les commentateurs de tout poil doivent s'inquiéter. Lorsque le pouvoir est trop faible, il pourrait être tenté de légiférer pour se débarrasser de ces opposants gênants. Personnellement, j'apporterai tout mon soutien à tout blogueur attaqué en justice alors qu'il n'a pas pratiqué d'insultes ni de diffamation injustifié. Courage, Louis et tous les autres, les blogueurs politiques sont peu nombreux mais ils sont là...

vendredi 27 juin 2008

Une autre question sur les médias: peut-on vraiment les séparer du politique?

Depuis hier matin, les articles sur l'annonce de Nicolas Sarkozy sur la télévision publique ont fleuri dans les journaux autant que sur les blogs politiques de droite comme de gauche. Je vous en livre quelques-uns que j'ai trouvé assez intéressant: CaRéagit, le Chafouin, Partageons mon avis, ou encore Toréador, et je pense qu'il y en a bien d'autres.
Je voudrai tenter, cher lecteur, de poursuivre un peu les multiples réflexions entamées dans ces débats, en ajoutant ma petite pierre à l'édifice. La télévision a toujours été un problème de lutte politique en France, contrairement à d'autres pays où elle semble être une question relativement apaisée, comme aux Etats-Unis où le privé a tout contrôle, sans discussion sur le sujet. Fondée par l'Etat en 1946, la TV est restée réellement sous contrôle du gouvernement jusqu'au début des années 1980. Le général de Gaulle considérait d'ailleurs normal que la TV reflète les opinions du gouvernement, même s'il admettait qu'un temps d'antenne soit réservé à l'opposition. Aujourd'hui, hors campagne électorale, le temps télévisuel se divise en trois: un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité et un tiers pour l'opposition parlementaire. Cependant, la politique à la télévision ne se résume pas à l'intervention des militants, mais aussi au travail des journalistes. La TV a été exploitée à fond par le pouvoir gaulliste et son ministre de l'information Alain Peyrefitte. Cette situation a amené la gauche en 1981 à remettre en cause le contrôle direct de la TV par le pouvoir.
A partir de cette date, deux visions se développent régulièrement:
  • la première consiste à créer des autorités indépendantes du gouvernement pour contrôler l'ensemble de la sphère médiatique, et obliger le pouvoir à s'éloigner de ce champ d'intervention. Le CSA en est le dernier avatar (1988) et il est celui qui a duré le plus longtemps.
  • L'autre stratégie a consisté à introduire des médias privés pour qu'ils puissent concurrencer le secteur public, voire à privatiser une partie de celui-ci, en considérant que la propriété privée devrait protéger l'information de la mainmise du pouvoir politique. Chirac n'a pas présenté autrement la privatisation de TF1 en 1987.

Ces deux stratégies ont été autant appliquées par la gauche et par la droite. On oublie souvent que Canal+ a été fondée par des amis de Mitterrand et que la défunte Cinq devait introduire l'empire berlusconien sur le PAF français. Au total, il y a donc eu une véritable réflexion sur ce problème de l'autonomie des médias. Il est d'importance, car le citoyen a besoin d'une information fiable pour pouvoir prendre en son âme et conscience ses décisions. Pourtant, malgré ce processus régulier d'éloignement du pouvoir, les médias ne sont finalement pas plus crédibles au niveau de l'objectivité qu'auparavant. Souvenons-nous que TF1 a maintenant un directeur des programmes qui a auparavant dirigé la campagne de Sarkozy, que les Français sont persuadés qu'ils ne peuvent pas faire confiance à la TV et que le citoyen est toujours sûr que le journaliste est systématiquement du camp opposé au sien.

Il est vrai que Sarkozy revient en arrière. Personnellement, je pense qu'il fait une vraie erreur de stratégie politique. Tout le monde sait qu'il est déjà omniprésent, et que le fait qu'il nomme le PDG de France Télévisions ne changera pas grand-chose à cela. Il s'agit même d'un aveu de faiblesse, car il prend le contrôle au grand jour et il sera d'autant plus facile à ses opposants de le critiquer là-dessus: lorsque le roi est nu, il se met en danger. Sarkozy excelle dans ce type de choix: effacer le premier ministre, être partout dans les médias, traiter de tous les thèmes, prenant le risque de s'affaiblir un peu plus chaque jour (Si tu ne crois pas en cette idée, vois le tollé suscité par l'annonce de la nouvelle: cela aurait été bien plus calme s'il avait simplement viré de Carolis et mis un pote à la place...). En plus, il sait très bien que le Parlement ne refusera jamais sa nomination, car le président peut dissoudre l'Assemblée nationale, et les députés n'aiment pas devoir rejouer leurs sièges trop souvent...

Le vrai problème n'est pas là. Avec le CSA, la TV publique (au moins) pouvait espérer être un peu tranquille et avoir une certaine latitude de manoeuvre. Elle l'aura sans doute toujours, mais la nomination directe par le président de son chef va tout simplement décrédibiliser l'information diffusée. Voici donc le topo: les chaînes privées sont soupçonnables à cause de leurs liens avec les hommes politiques au pouvoir, les chaînes publiques le sont aussi parce que le pouvoir nomme le chef. Reste-t-il au citoyen un moyen télévisuel pour s'informer sans devoir être méfiant?

Contrairement à d'autres blogueurs, je crois que la TV a une réelle importance pour la démocratie, car c'est, pour une majorité de nos concitoyens, le seul média utilisé, et Sarkozy s'emploie à rendre l'ensemble de l'information qu'elle diffuse ambiguë et floue.

Contrairement à ce qu'affirmait Libé hier, je pense que le CSA n'était pas la panacée. Vu la structure inégalitaire de notre société, séparer les médias des pouvoirs, qu'ils soient économiques ou politiques relève de la gageure. L'important est de tout faire pour que les pouvoirs de décision ne puissent pas complètement contrôler l'information, mais que cette information reste potentiellement crédible pour le citoyen. Sans information fiable, la dictature est proche, car on peut toujours s'imaginer que la TV dit n'importe quoi, et se sentir totalement démuni devant les choix qui sont devant nous.

Que faudrait-il faire alors? Je plaide pour la création d'établissements publics indépendants pour les chaînes publiques, dans lesquels le pouvoir exécutif n'aurait pas de possibilité d'intervention. Pourquoi ne pas imaginer que cela soit le Parlement qui nomme le PDG de France Télévisions, sur proposition du CSA, à la majorité des 3/5e. Ce même Parlement allouerait les crédits, gérerait la question de la pub, tout en cadrant les types de programme et les objectifs culturels. Pour les chaînes privées, à part les nationaliser, ce dont je ne vois pas l'intérêt, il n'y a rien à changer, car on connaît déjà leurs positions... Pitié, laissons le président hors de cela...

mardi 24 juin 2008

L'absentéisme à l'école responsable de la délinquance???

Aujourd'hui, pendant que je surveillais le bac, j'ai eu la chance de me retrouver avec un collègue de droite, et... Euh, oui, je sais, cher lecteur, tout de suite, tu considères que mon billet n'est pas crédible, mais je te rassure tout de suite, il existe bien des profs de droite. Aux dernières présidentielles, 40% des enseignants ont voté Sarkozy, et cette proportion augmente régulièrement. Il faut donc revenir sur ton idée préconçue que tous les profs sont des infâmes gauchistes: le fait que je sois moi de gauche ne signifie rien du tout.
Enfin, bref, donc, je disais que la présence de mon collègue de droite m'avait permis de feuilleter quelque chose que je n'achète jamais: le Figaro!!! Eh oui, cher lecteur, je ne paie jamais pour avoir le Figaro. Je le lis en ligne parfois, rien que pour me marrer en lisant le courrier des lecteurs, qui contient des morceaux d'anthologie (mais ceux du Monde et de Libé ne valent pas beaucoup mieux...). Aujourd'hui, le Fig titrait en une sur le palmarès des villes les plus dangereuses de France. Voilà encore un beau classement, fait pour effrayer l'ensemble de la population, et qui insistait sur la croissance des violences gratuites, liée à un climat social déterioré... Pour une fois que le Figaro semble émettre une critique sur la politique du gouvernement, même minime, je ne boudais pas mon plaisir.
Très vite, mon attention a été attirée par une interview d'Alain Bauer, président de l'Observatoire International de la délinquance. Les conclusions ne semblaient pas très originales, jusqu'à la dernière question, qui demandait quelles étaient les éventuelles solutions à l'augmentation des violences gratuites. Pour les jeunes, Bauer signale qu'il faut lutter contre l'absentéisme scolaire, qui entraînerait les violences!!! Ah ben, là, je suis tombé de ma chaise et j'ai émis un râle qui a fait sursauter les candidats du bac. En clair, voilà que ce joyeux sociologue impute à l'école la délinquance des jeunes!!! Évacuées, la pauvreté, les responsabilités des familles, la vie des jeunes en dehors de l'école, la souffrance de l'adolescence!!! Seule l'école est responsable. Il est d'ailleurs intéressant de voir que cet intellectuel considère l'absentéisme comme une cause alors que nous le voyons comme une manifestation d'une souffrance, qui nous permet à nous de tenter des remédiations ou de signaler l'élève aux services compétents. Il a sans doute plusieurs causes, et parfois une rupture avec l'école, mais de là à considérer le système scolaire comme responsable de la délinquance, il y a un pas qui est franchi très rapidement.
Mais ce joyeux drille ne s'arrête pas là. Voilà qu'il affirme que l'école a une part de responsabilité en excluant les élèves durs. Alors là, on touche le fond. C'est vrai que les règlements intérieurs prévoient l'exclusion définitive de l'élève comme sanction ultime. Dans mon bahut dit "difficile", nous avons exclu un seul élève cette année, alors que nous recensons chaque jour des incidents. Pour nous, il ne s'agit pas d'une sanction en réalité, mais plutôt d'une mesure de protection qui évite à un jeune d'être dangereux pour ses camarades et de repartir ailleurs du meilleur pied. Nous ne virons que lorsque nous n'avons pas le choix, et, en plus, un élève exclu est immédiatement réinscris dans un autre bahut. Alors, Alain Bauer, carton rouge!!!
En clair, que demande le sociologue? Qu'on enferme les gamins délinquants dans l'école, et qu'on ne règle surtout pas le problème de fond. Le gai luron oublie-t-il que l'école s'arrête en fin d'après-midi, qu'il n'y en a pas le week-end et durant les vacances? Il faudrait trouver quelque chose à faire pour les loubards pour qu'ils n'aillent pas faire des violences gratuites: des stages d'été? Non, franchement, on touche le fond...

lundi 23 juin 2008

Inventons un marché faussement concurrentiel: le cas de la carte scolaire.

Comme tu as pu le lire dans ma présentation, j'enseigne dans un bahut difficile. C'est un lycée de secteur de l'une des communes les plus pauvres de France, qui regroupe des sections générales et techniques et peut accueillir 1030 élèves. C'est donc ce qu'on appelle un lycée moyen, car il en existe de bien plus gros. Ce lycée est le seul de la ville, et pourtant, comme de nombreux autres établissements du département 93, c'est le lycée que les familles du coin veulent absolument éviter. Or, à moins de connaître le député, le recteur, ou quelqu'un à la commission des affectations académiques, il était quasi-impossible à une famille locale d'éviter de placer son chérubin là.


Heureusement, débarquant avec ses gros sabots, le ministre Darcos, symbole d'honnêteté, comme je le disais dans mon dernier post, a trouvé la solution miracle à ce gros problème : la suppression de la carte scolaire. Ce dispositif porte pour les libéraux une vraie charge symbolique : il est le symbole de l'État arbitraire qui impose à l'individu de mettre ses enfants à un endroit précis. Et pourtant, à l'origine, le dispositif était bien plus pragmatique : il s'agissait de répartir relativement équitablement les flux d'élèves entre les différents bahuts, en fonction de leurs tailles et des quartiers qui les entouraient. En fait, Darcos a allégé la carte scolaire existante : les familles sont affectées dans l'établissement du secteur mais elles peuvent demander une dérogation et tenter de partir ailleurs, en fonction des places disponibles.

Alors, cher lecteur, pour une fois, je vais être un peu réaliste. C'est vrai que la carte scolaire ne permettait pas réellement la mixité, d'abord parce que les communes, dans notre beau pays, ne sont souvent pas mixtes, et de moins en moins. De plus, les familles sont persuadées qu'un bon bahut est un bahut où l'équipe pédagogique est bonne, alors que c'est plutôt lié au public qui s'y trouve. Les enseignants ont les mêmes diplômes partout, et se ressemblent beaucoup. Il y a aussi une croyance forte que les enfants de pauvres ou d'immigrés abîment les autres: cette pensée semi-classiste, semi-raciste, traverse malheureusement de nombreuses familles et a entraîné de nombreuses stratégies d'évitement, allant parfois jusqu'à des déménagements. En ce moment, nous cherchons à acheter un logement, et, une fois sur deux, l'agent immobilier vante la présence à proximité d'un 'bon" collège ou d'un "excellent" lycée.

Alors, Darcos et Fillon proposent aux familles le libre-choix de l'établissement. L'idée, très libérale dans l'esprit, est de permettre à chaque élève de choisir son bahut. Ils répondent donc au désir de beaucoup de Français, y compris des enseignants d'ailleurs qui étaient souvent les premiers à détourner le système. Pour le moment, une commission dans chaque académie attribue les places, sur des critères qui restent finalement assez obscurs. Ensuite, on suppose que ce sont les chefs d'établissement qui choisiront leurs élèves, lorsque l'autonomie des établissements sera réalisée. Le recteur de Créteil a récemment affirmé que les demandes étaient très peu nombreuses, mais les échos que nous avons des chefs d'établissement sont bien différentes. Des rumeurs remontent de Saint-Denis et d'Aubervilliers, disant que presque la moitié des élèves sortant de 3ème ont demandé des changements de lycée. C'est donc un vrai mouvement de fond.

Et pourtant, cher lecteur, et pourtant, les familles sont dupées. En effet, comment toutes les familles pourraient-elles obtenir ce qu'elles veulent? On pourrait certes déplacer les personnels assez facilement, d'une année sur l'autre. Par contre, il est impossible d'élargir les murs en trois mois. Les constructions seraient considérables dans certains bahuts, tandis que d'autres déjà construits se videront : voilà un magnifique gâchis des moyens de l'État déjà dépensés. Sur ce point, les administrations sont d'ailleurs sensibles : en ce moment, le conseil général du 93 est en train de vérifier les places de chaque collège, pour éviter qu'un principal trop zélé attribue plus de places que disponibles pour satisfaire le ministère. Si jamais un accident se produisait ensuite, le conseil général en serait responsable: Claude Bartolone se protège donc, assez légitimement je trouve.

Dans cette configuration, c'est donc les commissions qui vont attribuer les élèves, et pas l'inverse, sans aucune possibilité pour les familles de contrôler. Ensuite, ce seront les chefs d'établissement, et eux prendront les meilleurs, ou les connus. Il y aura une cascade ensuite, et si ton gosse est moyen ou faible, il ira dans le bahut de secteur, avec tous ses congénères. Voilà donc une liberté de choix pour les établissements, et la formation future de ghettos de bons et de "mauvais élèves". Pour une soi-disant liberté de choix, on construit un système tout aussi cloisonné, avec comme critère de choix le piston ou les notes des gamins. Quelle liberté de choix ici? Je n'en sais rien, ou je ne parviens pas à la voir.

Cela pose aussi de nombreux problèmes à l'Éducation Nationale: il est maintenant impossible de prévoir le nombre d'élèves d'une année sur l'autre. Il va donc falloir créer des classes en catastrophe dans certains endroits sans avoir les profs pour les assumer, ou choisir la surcharge d'élèves. En septembre dernier, au lycée Jean Jaurès de Montreuil, les 2nde étaient à 40 par classe, juste au moment où Thomas Piketty démontrait qu'une classe moins chargée réussissait mieux qu'une classe chargée. Pour y pallier, l'Éducation Nationale embauche des vacataires sans expérience et sous-payés, risquant d'en faire des enseignants catastrophiques.

Avec un réforme purement idéologique et populiste, voilà qu'on invente une véritable usine à gaz qui créera des ghettos sociaux. C'est marrant, parce que le Royaume-Uni vient de remettre en place une carte scolaire et les États-Unis et la Belgique en parlent. Comme quoi, comme d'habitude, nos hommes politiques ont 20 ans de retard...

Maintenant, cher lecteur, tu es aussi responsable que le ministre dans cette affaire, car c'est toi qui voit toujours ton intérêt personnel avant celui de la collectivité. Maintenant, je vais te poser quelques questions simples, et à toi d'y répondre:
  • Crois-tu vraiment que ton gamin sera meilleur à l'école en étant entouré d'élèves aussi bons voire meilleurs que lui? Ne vaudrait-il pas mieux que ton gosse voit aussi d'autres types de gens, des pauvres, des riches, des bons, des en difficultés? Après tout, c'est ça, la France.
  • Est-ce que tu es toujours persuadé que mettre ton gamin avec des pauvres, des Noirs et des Beurs, va faire baisser son niveau?
  • Franchement, tu es prêt à infliger deux heures de transport à ton gamin par jour pour une réussite toute hypothétique? Il ne serait pas mieux à côté, à profiter aussi un peu de son temps?
  • Est-ce qu'il ne vaudrait mieux pas que ton gosse fréquente les gosses de son quartier, et n'ait pas ainsi peur en permanence lorsqu'il sort de chez toi, plutôt que de s'enfermer dans un ghetto et d'être ensuite enfermé chez toi?

Je sais, c'est caricatural, mais ce sont des raisonnements de parents que je rencontre. A toi d'y réagir maintenant.

dimanche 22 juin 2008

Darcos, un modèle d'enseignant

Je vous communique ici un article réalisé par un autre blogueur sur une situation que nous connaissons tous dans l'Education Nationale, mais que les citoyens lambdas ignorent généralement.

Xavier Darcos a été accusé en 1982 d'avoir diffusé les sujets du bac de français qu'il avait proposé à la commission académique compétente sur ce sujet. En effet, ayant déjà proposé des sujets moi-même, nous avons obligation de garder secret l'ensemble de nos propositions, y compris plusieurs années après la proposition, car l'administration en ressort parfois des anciens. Cela fait partie de nos fameuses obligations de service qui fondent notre contrat de fonctionnaire.

Cette histoire a été diffusée dès l'arrivée de Darcos au ministère en 2002, lorsqu'il était secrétaire d'Etat de Luc Ferry. Les syndicats enseignants, et particulièrement le SNES-FSU, avait raconté cette anecdote aux syndiqués, car à l'époque, Darcos nous faisait des leçons de morale, ce qu'il fait toujours aujourd'hui d'ailleurs. Ce blogueur a retrouvé l'article de journal de l'époque qui évoque cette affaire. Je sais ce qu'il me reste à faire pour espérer un jour être ministre de l'Education...

Réponse publique à deux avis sur le fonctionnement du blog.

Pour une fois, cher lecteur, je vais répondre publiquement à deux avis sur mon blog que j'ai reçu. Tu vas tout de suite me dire: "c'est pas bien, privilégié! Si on t'écrit en privé, tu réponds en privé!" Je te rassure, je l'ai fait, mais les questions qui m'ont été posées méritent que je m'y attarde et que je te fasse partager mes questionnements.

Une première remarque m'a été faite qui est la suivante: Trouves-tu normal de t'exprimer en tant que professeur et de parler de sujets qui devraient être couverts par ton devoir de réserve??? C'est une question qui mérité peut-être d'être posée. Il y a sur la toile une multitude de blogs de profs, divers et variés. J'en ai mis quelques-uns dans ma colonne utilitaire, mais très peu, car je dois dire que je préfère autant lire des blogs politiques. Malgré tout, il faut préciser les choses. L'auteur du mail se référait à deux billets que j'ai écris précédemment, celui sur la structure de l'orientation et celui sur le dernier jour dans mon établissement. J'admets que je ne comprends toujours pas mon correspondant qui m'a affirmé que je pouvais être reconnu et peut-être vexer des élèves qui pourraient me lire. Je pense que mes élèves peuvent tout à fait me lire (c'est un risque à courir), mais je n'ai toujours pas l'impression d'avoir été clair sur l'établissement auquel j'appartiens, ni d'avoir dit quelque chose de négatif sur mes élèves. Si c'est le cas, cher lecteur attentif, n'hésite pas à me le signifier. De toute façon, les enseignants, comme l'ensemble des personnes qui s'expriment sur des blogs, ne peuvent évoquer nommément des personnes, que ce soit des élèves, des parents ou d'autres profs, sauf si la raison en est étayée et justifiée, au risque d'être attaqué pour diffamation. J'espère que j'arriverai toujours à m'en tenir à cette logique.
Le second avis m'a beaucoup plus remué. Apparemment, ce lecteur inopiné m'a trouvé par un blog libéral sur lequel je commente et m'a simplement expliqué qu'il ne voyait pas l'intérêt pour moi d'aller commenter sur les blogs libéraux, et qu'il ne comprenait toujours pas pourquoi les blogueurs de gauche essayait toujours de convaincre des doctrinaires. Là, j'admets que je ne parviens pas à comprendre. Pour moi, la démocratie n'a d'intérêt que si on peut débattre avec des gens qui ne pensent pas comme vous. On s'enrichit toujours des confrontations avec ses adversaires politiques, sauf si ceux-ci sont totalement idéologues et sans aucune capacité de discussion. J'admets que j'aime bien commenter chez René Foulon, mais aussi chez LOmiG, et que je lis d'autres blogs libéraux. Ces blogueurs ont des idées très ancrées, mais pas plus que moi, et le fait même qu'ils fassent des blogs prouvent aussi leur volonté de communiquer avec d'autres, y compris avec ceux qui ne sont pas du tout d'accord avec eux. J'admets cependant aussi que dans les réseaux libéraux, on trouve des gens à l'évidence très très doctrinaires, qui me rappellent nettement les pires idéologues de certains régimes politiques disparus. Allez sur le site du réseau LHC, explorez les blogs qui y sont référencés, cher lecteur de gauche, et vous me direz ce que vous en pensez...
C'est vrai que je commente peu chez les blogueurs de gauche, mais j'en lis. Cependant, je trouve toujours moins intéressant de débattre avec les gens avec qui je suis d'accord, parce que je sais globalement qu'on épuisera très vite la discussion. De plus, il y a une multitude de blogs de gauche totalement fermés à la discussion, et que je ne référencerai pas, de toute façon, parce que, contrairement aux blogs fermés des libéraux (qui ont tendance à m'amuser), ils me dépriment complètement.
Pour faire un blog, finalement, il faut quand même une certaine dose de narcissisme. Il faut se dire que ton avis sur les choses intéressera forcément pleins d'autres gens, parce que tu es très intelligent. Mais finalement, on doit être un tout petit nombre à explorer la blogosphère politique, et à tous se répondre mutuellement. Sommes-nous tous de narcissiques mythomanes? Huummm... Peut-être...
Désolé, chers correspondants, mais vos avis méritaient des réponses publiques, car ils me permettent de faire un point clair et de définir aussi ma démarche...

vendredi 20 juin 2008

La question des enfants de l'immigration par la chanson, ou comment ne pas résoudre le problème... Kery James, banlieusard.

Aujourd'hui, je ne suis pas de surveillance de bac. Voilà donc un jour de repos inopiné, que je me suis immédiatement employé à occuper: je me suis levé tard (environ 9h00), j'ai lu la presse en ligne, consulté quelques blogs, fait un peu de ménage et de rangement dans mon domicile. Ma conjointe travaillant, j'ai fini par m'étaler devant la télévision, ce que je fais très rarement en journée, et j'ai zappé nonchalamment sur les chaînes de la TNT. Je suis ainsi tombé sur un clip, sur la chaîne Virgin 17, qui m'a remué. Il s'agit d'une espèce de fusion entre le hip-hop et le rap. Le chanteur s'appelle Kery James, et le titre est Banlieusard. Je te conseille fortement de le regarder, même s'il dure plus de 8 min...

Voici donc un clip qui parle des difficultés des membres de la communauté immigrée dans notre beau pays. Travaillant moi-même dans ces quartiers, je suis sorti de ma somnolence pour écouter attentivement les paroles et observer la mise en scène. Globalement, le mot "souffrance" revient un nombre de fois incalculable dans le clip, mettant en avant les problèmes que rencontrent les immigrés et leurs descendants dans notre société. Plusieurs causes sont évoquées, autant la colonisation que l'assistanat, en passant par le racisme. Face à ces problèmes, le chanteur conclut de manière simple: toutes ces causes ne sont pas un poids en elles-mêmes, et si toi, jeune de banlieue, tu tombes là-dedans, c'est de ta propre responsabilité.

Cependant, le rappeur est bien conscient des difficultés que rencontrent en France les jeunes issus de l'immigration, en particulier ceux qui ont la peau foncée, puisqu'il énonce lui-même sa fierté de sa couleur de peau. Il reconnaît donc les problèmes, et met en avant une seule solution pour sortir de là: le travail ! Eh oui, c'est bel et bien le travail qui est la solution pour sortir la jeunesse immigrée de son trou. Dans quel but ? Là encore, la simplicité de la réponse me traverse: "faire de l'oseille". Voilà comment Kery James espère résoudre les problèmes de la société française et des immigrés. Le message est simple: enrichissez-vous, et vous démontrerez à tous ces racistes que nous valons quelque chose, puisque nous aurons accumulé l'oseille, symbole de notre réussite. Pendant que Kery James chante, de nombreuses personnes défilent, symbole de la réussite possible d'un homme ou d'une femme de ce milieu. Parmi elles, on peut voir passer quelques personnalités publiques comme Lilian Thuram, Omar Sy, Thomas Ngijol et plusieurs rappeurs et acteurs connus (dont Diam's et un des deux NTM), qui adhèrent donc à ce message.

Il y a dans tout cela des choses justes. Par exemple, je sais, et je le vois tous les jours chez mes élèves, que réussir ses études puis sa carrière professionnelle est plus dur en France quand on est immigré. Je sais aussi que les membres de ces communautés qui se plantent, tous pris individuellement, ont sans doute une part de responsabilité dans leur échec. Et pourtant, cher lecteur, et pourtant, ce message est inacceptable pour moi sur plusieurs aspects, et je vais tenter de te les définir.

Tout d'abord, le rappeur noie les causes profondes du problème dans la responsabilité de chacun des jeunes. Certes, dit-il, il y a du racisme, mais globalement, tu t'en fous ; vis ta vie, et réussis ! Mais, en tenant ce raisonnement-là, le chanteur efface d'un trait de plume toute possibilité d'organisation collective de lutte pour sortir l'ensemble des immigrés de la situation inégalitaire où il se trouve en France. Les individus sont-ils responsables du plus haut taux d'échec au bac ? Sont-ils responsables du refus plus importants des prêts bancaires ou des ventes et locations immobilières ? Sont-ils responsables du taux de chômage bien plus fort de leurs populations (presque 25% contre 10% en moyenne) ? Kery James répond à ce que pouvait dire Zebda (Je crois que ça va pas être possible) par le raisonnement suivant : "travaille et débrouille-toi. Tu vas souffrir beaucoup plus que les autres, et tu vas gagner."

Il y a donc là une acceptation de la situation générale de la société française: ce pays est raciste, et il le restera. Malgré leurs qualités équivalentes à celles des autres, les descendants d'immigrés devront accepter cette situation et souffrir, mais travailler quand même. Bravo le progrès global, car je suis persuadé que le fait de voir jouer Lilian Thuram, d'entendre Omar Sy ou Thomas Ngijol nous faire rire ou Kery James chanter ne changera rien à la perception générale: les descendants des indigènes resteront des indigènes, et les descendants de colons des colons.

Mais ce n'est pas grave, car Kery James promet aux jeunes une chose simple: "l'oseille" qu'on va "prendre" aux Gaulois par nos succès. Je veux bien reconnaître que l'argent peut avoir un côté réparateur de certaines souffrances, mais franchement, cher lecteur, est-ce que tu crois que la position du Français moyen va changer même si certains immigrés deviennent riches, ce qui est de toute façon déjà le cas ? On dira ce qu'on dit depuis 20 ans : "Regardez, c'est formidable, ce Noir qui fait du théâtre, cela prouve bien que c'est possible !!", comme si quelqu'un pouvait douter qu'un Noir ne puisse pas faire de théâtre ou être chef d'entreprise. Et, pour un qui réussit et fait de l'oseille, les autres restent au même endroit.

A une époque, le milieu médiatique a eu, particulièrement dans le rap, un côté contestataire. Aujourd'hui, Kery James, soutenu par de nombreuses personnalités, dit aux jeunes : sois soumis, travaille, enrichis-toi, et ça ira mieux. Personnellement, j'ai une autre vision de la société française, et je trouve déprimant que nos rappeurs contestataires aient renoncé à faire bouger les choses et aient accepté la situation telle qu'elle est. C'est déprimant, cher lecteur, très déprimant...

Je ne dis pourtant pas que les jeunes de l'immigration ne doivent pas travailler. Le problème est qu'ils ne devraient pas avoir à le faire deux fois plus que les autres !!! C'est inacceptable, et nous ne devons jamais avoir à abandonner ce combat-là. En tant qu'enseignant, je ne peux pas m'y résoudre, et je ne m'y résoudrai pas !

mercredi 18 juin 2008

Structure de l'orientation dans mon lycée de banlieue dit "difficile"

En cette période de grand débat sur l'orientation, il me semblait intéressant de vous donner, cher lecteur, un état réel de l'orientation des élèves dans un lycée général de banlieue comme le mien. Je pense que la structure de l'établissement se retrouverait dans une multitude d'autres établissements des zones paupérisées de notre beau pays. J'en profite aussi, par la même occasion, pour te donner quelques éléments sur le fonctionnement réel, d'après mon avis totalement subjectif, de tout ce processus.

Dans mon bahut difficile, nous avons environ en seconde 300 élèves par an. Depuis plusieurs années, les mêmes moyennes se maintiennent, ce qui me permet de vous donner les éléments suivants. Sur ces 300, un tiers ne passe pas en première générale: 20% des élèves redoublent et 10% sont réorientés vers d'autres voies, particulièrement la voie professionnelle. Ces moyennes sont très fortes, bien au-delà des moyennes nationales. Sur les 200 élèves restant, 24 vont en 1ère littéraire, 48 en 1ère économique et sociale, 70 environ en 1ère scientifique, et les autres se répartissent entre les différentes filières techniques, mais particulièrement la 1ère Sciences et technique de la Gestion (STG), qui a remplacé la STT, anciennement bac G.

Pour t'expliquer cela, il faut d'abord que tu saches que 85% de mes élèves sont issus des groupes les plus pauvres de la population, et qu'ils sont déjà les meilleurs des collèges alentour. Il reste quelques membres des classes moyennes, et aucun bourgeois. Ces personnes choisissent donc très majoritairement la filière S, classe de l'élite par excellence, puis la filière ES, qui est généralement le second choix. Comme partout ailleurs en France, la filière L est délaissée, mais peut-être encore plus qu'ailleurs. Par contre, les classes techniques sont nettement surreprésentées. Cette structure, dans un lycée très marquée, est étonnante sur plusieurs points. Cela signifie d'abord que les élèves des quartiers pauvres font en priorité les mêmes choix que les élites, et tentent d'aller vers la S. Ils se répartissent ensuite vers la ES, s'ils ont les notes, ou les autres s'ils ne les ont pas. Les filières techniques plus marquées qu'ailleurs illustrent les difficultés scolaires de la zone.

En effet, ce qui me semble très important pour comprendre ce qui se passe ici, c'est de bien prendre en compte le côté utilitaire des choses. Mes élèves ont majoritairement pleinement intégré le côté très utilitaire de l'école, et, contrairement à ce qui se passe dans les lycées bourgeois de centre-ville, ils se déterminent dans ce qui sera le plus utile pour leur futur, plus que par les intérêts des enfants. La S semblant ouvrir le plus de portes, on se dirige par là tout naturellement, et il est toujours très difficile d'expliquer à un parent d'élève que son gosse serait mieux en L, en ES ou en STG ou STI. Ensuite, les choix se font par défaut, en réduisant de plus en plus les possibles. La réorientation vers le professionnel, pourtant souvent porteur d'emploi pour l'avenir, est toujours vécue par les élèves et leurs familles comme une humiliation et un échec collectif.

Et pourtant, contrairement à ce que dit le ministère, les enseignants ne cessent de tout faire pour balayer l'ensemble des choix possibles avec les élèves, mais le débat reste difficile. Les conseillers d'orientation-psychologues sont assez peu audibles, d'autant plus que leur consultation est loin d'être obligatoire (de toute façon, le ministère se prépare à les supprimer...). Au total, nous avons tous l'impression que notre travail là-dessus est inefficace, et cela s'explique en fait assez simplement.

Nous luttons contre des processus qui nous dépassent totalement, et je vais essayer de te faire comprendre pourquoi:
  • La série S domine parce que c'est la voie de sélection de l'élite. Tant que cela sera, nous ne pourrons pas empêcher que nos meilleurs élèves s'y dirigent naturellement, car les sélections se font sur ces sections. Cela explique aussi que beaucoup d'élèves de S se dirigent vers d'autres univers dans le supérieur car ils ont alors les moyens de faire ce qui leur plaît vraiment...
  • Nous sommes ensuite confrontés à la pression des familles. Contrairement à ce que l'on dit souvent, les élèves ne sont pas libres de leurs choix, et les familles jouent toujours un rôle moteur. Or, dans les milieux très populaires, l'objectif, avant l'intérêt de l'enfant, est l'ascencion sociale, même si on sait qu'elle est longue et difficile. Les sections générales s'imposent donc comme évidentes.
  • Enfin, et c'est loin d'être négligeable, l'orientation ne peut pas être libre si les notes restent un marqueur fort. Et elles le sont toujours, je peux te l'assurer. On hiérarchise donc ses voeux en fonction de ses notes, et cela aussi, c'est dramatique. La L est ainsi abandonnée parce que les voies d'orientation sont floues et peu nombreuses, et apparaissent très élitistes, et que beaucoup de mes élèves ont du mal en français écrit. De plus, la voie royale après une L est l'enseignement, voie aujourd'hui bien dévalorisée (M'sieur, prof, ça gagne pas!!!).
Nous voilà donc, nous enseignants, à devoir affronter des problèmes qui vont bien au-delà de la simple organisation des lycées. Tant que dans le supérieur, on pensera que l'élève de S est le meilleur, les choses ne changeront pas. Tant qu'il existera des voies d'élite, les choses ne changeront pas non plus. Et là, cher lecteur, pas d'inquiétude: si le gouvernement refond le bac, comme il prévoit de le faire, même s'il existe un tronc général commun à tous, on trouvera toujours quelques options bien placées qui permettront aux riches et aux meilleurs élèves de se retrouver ensemble. Je ne me fais aucune illusion là-dessus...

Dans un prochain billet, je te parlerai de l'orientation au moment du bac...

lundi 16 juin 2008

La crise de l'UE depuis le non irlandais

Comme je l'avais espéré inconsciemment, l'Irlande a voté non au référendum sur le traité de Lisbonne, comme les Français et les Néerlandais l'avaient fait en 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE). Ce nouvel échec ne peut avoir que du positif, en tout cas, c'est ce qui aurait dû être. Pourtant, depuis le référendum, la presse comme les politiques expriment leurs poignantes inquiétudes, et semblent signifier que nous allons, une fois de plus, nous passer de l'avis du peuple. Les blogueurs libéraux ne cessent de dire depuis la semaine dernière qu'il va donc falloir laisser le peuple de côté pour poursuivre la construction européenne, certains arguant même du fait que l'UE n'étant pas une démocratie en soit, car elle n'est pas un État et que ce n'est finalement pas bien grave.


Comme quoi, malgré les leçons tirées du passé, les élites européennes s'enfoncent dans le n'importe quoi. Ne trouves-tu pas scandaleux, cher lecteur, que nos dirigeants nous préparent à devoir renoncer à nos espoirs de contrôle démocratique parce que nous sommes des irresponsables qui ne savons pas prendre les bonnes décisions? Évidemment, dans ce cas précis, la bonne décision est d'accepter les textes qu'ils nous proposent. Belle preuve de démocratie qui s'étale depuis la semaine dernière dans l'ensemble de nos journaux, et sur l'ensemble des blogs que la toile compte.


Je suis atterré de ces comportements antidémocratiques. Il est vrai que les populations dans leur ensemble ont eu du mal à s'intéresser à cette question. Depuis 1979, les élections européennes mobilisent peu d'électeurs et se jouent généralement sur des questions nationales. De la même manière, je n'ai pas souvenir que la dernière présidentielle française ait été marquée par un débat de fond sur la question européenne. Et pourtant, cher lecteur, et pourtant, il y a plusieurs signes très positifs de l'intérêt de nos peuples pour l'UE: ce sont les différents référendums sur l'Europe qui ont déjà eu lieu. Dès le premier référendum en 1992, le taux de participation avait été très élevé, et les Français avaient dit oui à l'euro, permettant une avancée massive dans la construction européenne. Ce fut la même en 2005, et le débat, contrairement à ce que l'on a souvent affirmé à l'époque, a été de haut niveau. A chaque fois, les Français ont montré qu'ils ne dédaignaient pas cette question. Les Irlandais ont eu le même comportement cette fois-ci.


Et pourtant, cher lecteur, c'est non, non et encore non pour une troisième fois. On a tendance à oublier que les peuples européens ne disent pas toujours non: en 2005, les Espagnols ont dit oui au TCE à une très large majorité, et n'oublions pas non plus les Français en 1992. Les journaux ont imputé le rejet irlandais à la crise qui touche en ce moment ce pays, mais, en 2000, les Irlandais avaient déjà dit non à Nice alors que la croissance était à ce moment-là en pleine forme. Ils étaient revenus sur leur choix l'année suivante, après moult culpabilisations. Il y a donc des cas où les Européens sont d'accord, et d'autres non, ce qui montre qu'on ne peut pas toujours dire que le peuple est en désaccord.
On peut donc s'accrocher au fait que les Européens sont des irresponsables qui disent toujours non. A ce moment-là, continuons la construction sans consulter jamais le peuple. Vu que les élites estiment avoir raison, devant le succès incontestable de la construction européenne, la situation de l'ensemble de l'Europe va s'améliorer progressivement et les peuples vont commencer à aimer cette Europe. A partir de là, nous pourrons commencer à envisager de démocratiser l'ensemble.
Prenons l'autre possibilité, et essayons de démocratiser maintenant. Cela implique d'abord de trouver des institutions qui puissent fonctionner, associant la mise en commun de domaines de manière démocratique tout en respectant l'identité de chaque État et de chaque peuple. C'est un défi formidable, car il implique d'inventer un système politique qui n'a jamais existé jusqu'à ce jour: la construction d'une structure fédérale entre des Etats-nations. En nous lançant là-dedans, l'UE deviendrait quelque chose d'unique, dont nous pourrions réellement être fiers. Pour réussir cela, je propose que nous arrêtions la construction, et que nous nous lancions démocratiquement dans le débat institutionnel.
Une fois les institutions construites, les peuples éliront des partis qui proposeront des programmes et commenceront à s'affronter pour le pouvoir. Ces partis nous donneront des voies différentes à suivre pour l'Europe, mais nous aurons au moins le choix, ce que la construction actuelle ne fait pas. Je ne crois en rien à la vision des libéraux dans cette affaire qui espère imposer une construction par le haut, en manquant, à mon avis, grandement de courage politique. Dans ce cas précis, pour que les peuples acceptent pleinement des renoncements importants de souveraineté, ils doivent s'approprier l'UE et se rendre compte qu'elle est leur, et pas seulement une construction réalisée par quelques élites déconnectées des réels désirs des peuples.
Alors, n'ayons pas peur, et allons-y!

dimanche 15 juin 2008

Comment dépenser inutilement vos impôts dans l'Education nationale: l'exemple des stages d'été.

Cher lecteur, en ce beau dimanche, je vais revenir à des méthodes pédagogiques plus traditionnelles et essayer de t'initier un peu à la manière dont notre gouvernement fonctionne par l'exemple. Je vais te montrer comment, à partir d'une idée apparemment bonne, on arrive à une situation totalement ubuesque dans l'Education nationale, et comment on se prépare à joyeusement jeter ton argent par les fenêtres.
Le vendredi 6 juin, dans mon lycée dit "difficile", nous avons appris que le ministère venait d'avoir une nouvelle idée tout à fait originale pour nos élèves: le stage d'été. L'ensemble de ce nouveau dispositif est détaillé dans le Bulletin Officiel de l'Education Nationale (BOEN) daté du 5 juin 2008. Si tu es vicieux à un point très élevé, je te fournis ici le lien pour que tu puisses le lire toi-même, et, comme je suis bien bon, cher lecteur masochiste, tu pourras directement aller à la page 1235:
Quelle est la logique de ce stage? Le ministre y constate l'échec d'une bonne partie de nos lycéens lorsqu'ils arrivent dans le supérieur. Il s'agit donc d'ouvrir deux semaines de stage pour permettre à nos jeunes bacheliers de prendre pied dans le système supérieur avec les meilleurs armes possibles. Ces stages devraient débuter le 15 août 2008 et s'étaler sur les 15 jours précédant le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire. Ces stages seront assurés, dans les 200 lycées concernés, soit par des enseignants volontaires, soit par des étudiants étant en deuxième année de master et se destinant à l'enseignement, soit à des étudiants étrangers pour l'entraînement aux langues vivantes.
Présenté comme cela, tout a tout l'air d'être une bonne idée. Pourtant, cher lecteur, rien qu'en regardant cette organisation, on est bien face à une belle usine à gaz. Alors, je sais ce que tu vas d'ores et déjà me dire: "Ah, cher privilégié, tu n'es pas content parce que tu vas devoir revenir de tes vacances, déjà trop longues, un peu plus tôt! Au travail, fainéant!!" Mais non, cher lecteur, mais non... Comme tu as pu le voir, ce sera fait par des enseignants volontaires, et si je n'ai pas envie d'y être, je n'y serai pas. J'ai plutôt envie de discuter du fond, pour une fois, et du sens de cette mesure.
Cher lecteur, comme tu le sais peut-être, nous sommes aujourd'hui le 15 juin. Le baccalauréat commence demain, et ses résultats ne seront pas connus avant le 4 juillet, sans compter la phase des oraux de rattrapage qui se dérouleront le lundi et le mardi suivant. Au total, le bac est généralement complètement bouclé juste deux ou trois jours avant le 14 juillet. Le BOEN indique qu'il faut faire la publicité auprès des élèves au début du mois de juin, alors qu'il sort le 5 juin et qu'une bonne partie de nos élèves ont déjà quitté le lycée et n'y reviendront que pour le bac, moment où on n'a pas envie de les embêter avec ça. Il faudrait donc trouver maintenant des élèves qui ont sans doute autre chose en tête que de se dire qu'ils vont revenir au lycée le 15 août, qui ont déjà des réservations pour des vacances ailleurs et qui ne seront tout simplement pas là.
D'autres problèmes se posent. Tout d'abord, contrairement à ce que tu penses peut-être, il y aura des enseignants, car ce dispositif sera payé en heures supplémentaires. En effet, les enseignants sont censés être en congé sans solde en août et s'ils viennent travailler, ils seront payés. Les problèmes de pouvoir d'achat vont sûrement beaucoup jouer sur les collègues les plus jeunes. Par contre, il n'y aura pas d'étudiants, car le laps de temps pour les embaucher est trop court. Surtout, je ne vois pas comment les autres personnels de l'établissement, nécessaires pour que la sécurité du bahut soit aux normes, pourront être là, car ils sont eux en congés payés: c'est le cas du proviseur et de son adjoint, des conseillers principaux d'éducation, des surveillants et des ouvriers. Il y a là une bonne source d'incidents en perspective, et je crains que les tribunaux administratifs n'aient du travail.
Mais non, ne soyons pas pessimistes, puisqu'il n'y aura pas d'élève sur place. On va donc payer des enseignants en heures supplémentaires à rien faire pendant plusieurs jours. Franchement, au plan personnel, je préfère largement partir en vacances que de rester seul dans mon lycée en plein mois d'août à lire le journal pendant toute la journée. Au plan général, je ne crois pas que cette idée soit si mauvaise que cela: après tout, pourquoi ne pas essayer d'aider les futurs étudiants, en particulier les élèves venant des bahuts difficiles. Mais là encore, le ministère agit dans la précipitation, sans prendre le temps de se poser de bonnes questions. Je me dis, cher lecteur, que je ne comprends pas comment un ministre qui est lui-même enseignant peut mettre en place des idées pareilles: c'est une preuve crasse autant de la méconnaissance de nos élèves que du fonctionnement de l'institution.
Alors, si on mettait ce stage en place, comment faudrait-il s'y prendre?
  • Tout d'abord, la période est mal choisie, car on punit une fois de plus les élèves des quartiers difficiles en leur proposant de venir alors que tous les autres sont en vacances, comme s'ils étaient de toute façon de mauvais étudiants en puissance. Pourquoi ne fait-on pas ce stage durant le mois de septembre, quelques jours avant la rentrée universitaire? Les étudiants auront largement eu le temps d'oublier en octobre ce qu'ils auront fait en août.
  • Les modalités sont à revoir aussi. Le lieu n'est pas bien choisi, car les lycées sont vides en août, et ils sont pleins en septembre. Alors quelque chose m'est tout de suite venu: pourquoi ne pas faire cela dans les universités, directement??? Après tout, les universitaires nous chargent suffisamment en ce moment, nous accusant d'être responsable des nombreux échecs de nos ex-élèves en licence. Si nous n'y arrivons pas, pourquoi ne le font-ils pas? De plus, les élèves ont eu le bac, et n'ont plus rien à faire dans un lycée. Ils sont dorénavant étudiants, et qu'ils aillent vivre leurs vies. Enfin, les universités disposent elles aussi, en septembre, de personnels enseignants en vacances, et donc disponibles en heures supplémentaires, mais les conditions de sécurité sont bien meilleures à cet endroit-là, à ce moment-là, car les facs sont ouvertes et sécurisées pour permettre aux examens de rattrapage de se dérouler.
  • Les personnels sont donc à revoir. Les enseignants du secondaire peuvent faire ce type de choses, comme les universitaires, puisque ce sont finalement les mêmes. Par contre, faire venir des étudiants en master qui sont encore dans les études est un vrai risque, car ces étudiants n'ont pas le recul suffisant de leurs pratiques pour déjà transmettre et manquent d'expérience. Ce n'est pas la première fois que le ministre actuel essaie de faire suppléer les enseignants par des étudiants, mais l'enseignement est un métier qui nécessite compétences et expériences. Il est dommage que l'on soit toujours le métier qui semble le plus interchangeable...

Au total, il est évident que lorsque l'Etat se lance dans des projets sans réfléchir convenablement et prendre en compte à la fois les objectifs, la réalisation et les modalités, le risque est fort de voir les moyens financiers dépensés sans réelle efficacité. Ce sont nos impôts, cher lecteur, ne l'oublions pas, et n'hésitons pas à dire à la République quand elle fait mal les choses...

vendredi 13 juin 2008

Un exemple du vide actuel de la gauche démocratique: l'exemple, apparemment sans intérêt, de la vidéosurveillance.

J'ai lu ces derniers jours dans la presse que le Royaume-Uni se posait en ce moment de vraies questions sur sa politique de sécurité, en particulier à propos de la multitude de caméras installées partout dans le pays. J'ai trouvé sur le site du Quid le nombre hallucinant de 4,2 millions de caméras au Royaume-Uni, soit environ 1 pour 14 habitants! La France, à côté, est totalement en retard dans ce processus, puisqu'elle n'en totalisait en 2006 que 300 000, soit 1 pour 203 habitants. Ce thème a occupé de nombreuses communes durant la campagne électorale qui vient de s'écouler, et je m'en suis d'ailleurs beaucoup étonné. Le thème de la sécurité avait pourtant semblé quitter progressivement le champ politique national. Je ne dis pas que la délinquance a disparu, je dis juste qu'on s'y intéresse, au niveau général, beaucoup moins. Les municipales ont montré qu'il n'en est rien, et que nos concitoyens sont toujours occupés par ce thème, en particulier dans les banlieues des grandes villes. Ces problématiques ont été avancées par la gauche comme par la droite.


Il faut donc se demander si cela a une quelconque efficacité. Dans l'ensemble, quand on se rend sur le site Eurostat, on constate d'abord que la criminalité a globalement commencé à diminuer dans l'ensemble des pays de l'Ouest de l'Europe au début des années 2000, même si, paradoxalement, le nombre de faits recensés par les différentes polices a augmenté. Là, la vidéosurveillance ne semble pas réellement avoir un impact fort, car, avant cette période, l'augmentation était régulière depuis les années 1970, alors que les caméras ont été massivement installées au Royaume-Uni dès cette période. Eurostat souligne pourtant la précaution très importante qu'il faut avoir en analysant ces statistiques, car les critères sont variables selon les pays. D'ailleurs, il est intéressant de constater qu'en France, la criminalité baisse depuis... 2002!! Sans doute la triomphale élection de Jacques Chirac a-t-elle incité les criminels de tout poil à rentrer chez eux, à moins que ce ne soit l'arrivée de Sarkozy au ministère de l'intérieur...


Il n'y a donc rien, ou pas grand-chose, qui permet de dire que les caméras sont des outils efficaces qui permettent réellement de faire diminuer la criminalité. Dans un billet précédent, j'avais évoqué les problèmes que rencontraient les chauffeurs de bus de l'Essonne avec les fraudeurs. Les articles consultés à l'époque nous indiquent que, si l'installation de caméras dans les bus de la RATP a fait chuter les incidents à l'intérieur du bus, ils se sont reportés sur ses marges, dans les stations et les arrêts. Nous avons là un des gros aspects du problème: une caméra, comme une serrure, un code, un verrou ou un gardien, peut être déjouée par des gens malins qui la localisent et trouvent les moyens de la contourner. Il faudrait massifier complètement la vidéosurveillance pour qu'elle soit un peu efficace, et là, cela me fait peur.
Pourquoi? Je suis pourtant un honnête citoyen et je n'ai pas vraiment de raison de craindre la vidéosurveillance. Et pourtant, je ne la supporte pas, et je vais t'expliquer pourquoi, cher lecteur dubitatif:
  • En tout premier lieu, une caméra ne me rassure pas. Comme je viens de te l'indiquer, un criminel malin peut la contourner sans difficulté. Personnellement, je préfère voir un lieu public avec du monde, qui me rassure tout simplement par la présence de mes concitoyens, qu'une caméra qui ne peut de toute façon rien faire pour moi. Tu vas me dire, lecteur critique, que la caméra est faite pour dissuader en filmant le criminel, et je suis d'accord, mais cela n'empêche pas le crime d'être commis.
  • En second lieu, une caméra peut avoir d'autres effets que celui de filmer les criminels. Elle peut aussi permettre la mise en place d'une surveillance de l'ensemble de la population et des citoyens dans leur globalité. A priori, si je suis filmé, ce n'est pas grave puisque je ne suis pas un délinquant. Je ne supporte juste pas l'idée que qui que ce soit puisse retracer, en regardant simplement quelques films, ce que j'ai fait de ma journée. Pourquoi devrai-je être observé en train de faire mes achats, de me balader dans les rues et les parcs, de conduire, de me moucher ou de me mettre les doigts dans le nez, de me gratter les fesses dans la rue... Même si les caméras sont souvent signalées, ce n'est pas toujours le cas et il y a là une remise en cause réelle de notre intimité. Elles pourraient ainsi permettre aussi une vaste surveillance politique de la population. Qui te dit, lecteur inquiet, que les Renseignements Généraux n'ont pas un accès libre à l'ensemble des films, et ne te surveillent pas en permanence si tu as une quelconque activité publique. Je sais, j'ai trop lu 1984, et trop étudié les totalitarismes avec les élèves, et cela me déforme...

Alors, je vais venir au centre de mon propos. Globalement, les caméras ne servent que peu et ne permettent pas de répondre efficacement au défi de l'insécurité, si tant est qu'il existe. Les mettre en place peut aussi faire penser au citoyen que, si elles n'existaient pas avant, le fait qu'on les installe est une preuve que l'endroit est devenu dangereux: il peut donc y avoir une croissance de la psychose à cause d'elles. Enfin, alors que le traitement de ce problème nécessite plutôt des personnels, policiers en particulier, surtout dans les banlieues difficiles, la caméra est un moyen peu coûteux pour les élus locaux, mais aussi pour l'Etat, de se défausser sur ce sujet sans engager des moyens importants.

Cependant, cher lecteur, je peux te dire que je ne suis pas surpris que des maires de droite, traditionnellement sécuritaires, s'emparent de ce type de mesures. Par contre, la gauche, qui a avancé ce thème dans de nombreux coins de Paris et du 93, ne devrait pas se lancer là-dedans. Il réduit le thème de l'insécurité à son aspect pratique et ne règle pas vraiment le problème. En plus, si on pourrait le comprendre dans une cité chaude, pourquoi parler de cela dans le 11ème arrondissement de Paris, si ce n'est pour récupérer des voix sans aborder le programme de fond? La gauche doit se poser des questions sur cela avec ses propres problématiques, avec son mode d'analyse et ne pas reprendre les visions de la droite. Laissons la vidéosurveillance et son échec flagrant, malgré un abandon de libertés, aux Anglo-Saxons, et traitons le problème par du personnel, des politiques sociales, de formation et d'éducation, et des moyens. Le policier reste en France un vrai moyen de dissuasion de la criminalité. Remettons de l'humain dans notre vie sociale, et cela, au moins, nous rassurera.

jeudi 12 juin 2008

Ah, que parfois, nos élites sont peu démocrates...

Je me suis toujours passionné pour la construction européenne, cher lecteur. Je sais que le thème peut sembler totalement rébarbatif et complexe, mais l'idéal est beau et il peut facilement réunir autour de lui de nombreux courants politiques démocrates. Il a aussi permis d'assurer la paix à notre société européenne et a contribué, à sa manière, à faire chuter le totalitarisme soviétique en attirant les peuples de l'Est de l'Europe. L'idée européenne est à l'évidence un facteur de progrès de nos sociétés.
Et pourtant, cher lecteur, sous tes yeux ébahis, l'Europe est encore arrivée à un point de ridicule dont elle a le secret. Je résume la situation pour que tu sois au point. L'an dernier, notre joyeux président est arrivé comme un sauveur de l'UE. Réunissant ses comparses, il a poussé à la rédaction d'un nouveau traité visant à réviser l'usine à gaz de Nice. Les chefs d'Etat sont parvenus à un texte bâtard, qui élude la plupart des questions importantes, basarde les grandes questions soulevées par les référendums français et néerlandais et reprend les grands traits de l'organisation de la constitution européenne. Les chefs d'Etat ont fait à ce moment-là preuve de leur vision démocratique des choses en considérant que ce traité ne devait pas être adopté par référendum, pour être sûr qu'il passe. Électeurs, vu que vous êtes irresponsables, que vous n'êtes pas capable de prendre les bonnes décisions, passez votre chemin, on va faire tout cela entre nous. Les dirigeants politiques français ont repris en coeur ce couplet, le PS et le Modem acceptant la ratification par le congrès sans repasser devant des électeurs pénibles et dangereux.
Or, voilà qu'un problème se dresse devant les dirigeants européens: la petite Irlande doit constitutionnellement faire un référendum. Nom de Dieu!!! Il y a un pays dans ce fichu continent où on demande systématiquement l'avis du peuple. Au départ, cette étape ne devait pas poser problème, mais voilà: le non monte régulièrement dans les sondages et menace de l'emporter. La presse française a réagi à cela de manière scandaleuse. Le Monde accuse les Irlandais de vouloir simplement défendre leurs intéressants statuts fiscaux qui ont contribué à leur croissance. Le Figaro y ajoute la crainte de voir l'avortement légalisé. Libération indique que c'est la crainte de voir le pays perdre sa neutralité qui prime. Au total, les Irlandais, dans toute la presse, apparaisse comme des ignobles égoïstes, qui vont jouer l'avenir de l'Europe sur de simples aspects locaux...
Cela ne vous rappelle rien? Non? Moi, si! Cela me rappelle 2005 et tous les reproches que nos élites ont infligés aux Français à propos de notre choix majoritaire de voter non sur la constitution. Nous aussi, nous avons été égoïste. Et pourtant, cher lecteur, j'ai ce souvenir d'avoir vu la population française vraiment s'intéresser à ce débat à l'époque, et j'ai toujours le sentiment que nous avons choisi en conscience sur le texte plus que sur le contexte intérieur et le rejet de Chirac. En clair, on nous culpabilise alors qu'on a fait un choix responsable, et cela me gonfle. Si on s'est planté, j'assume, mais qu'on arrête de nous culpabiliser.
Peut-on cependant s'étonner que les peuples voient l'intérêt européen à leur aune, si on continue d'individualiser systématiquement le débat? Pourquoi les 4 millions d'Irlandais sont-ils les seuls à avoir le droit d'en débattre? Pourquoi n'y a-t-il par un référendum partout? Pourquoi tout cela ne se déroule-t-il pas à la même date dans toute l'Europe, pour nous aider à prendre conscience de l'échelle continentale de l'enjeu? Pourquoi cette difficulté à faire de l'Europe une démocratie réelle???
Je vais te donner mon opinion là-dessus. Jusqu'à maintenant, les leaders européens ont construit une Europe de l'économie, de la liberté des échanges, une Europe centrée sur les affaires et pas sur le reste. Cette Europe-là n'a pas besoin de la démocratie, car lorsqu'on y fait entrer le peuple, le risque est fort que l'on change les politiques, dans des intérêts différents de ceux de nos dirigeants. Il y a donc un rejet de la démocratie à l'échelle européenne, qui seule pourrait nous permettre de nous construire une vraie identité européenne et de prendre conscience que nous avons un nouvel outil à grande échelle pour améliorer nos vies. J'espère qu'un jour, on comprendra en haut qu'on ne peut pas faire une Europe populaire sans la rendre vraiment démocratique. C'est ensuite à la population de décider si elle veut une Europe libérale ou socialiste, une Europe social-démocrate ou conservatrice. Mais qu'on nous laisse choisir, bon sang!!!!

mercredi 11 juin 2008

C'est le dernier jour, et l'ambiance est étrange

Aujourd'hui, cher lecteur, dans mon lycée difficile de banlieue, c'est le dernier jour. Déjà, vas-tu me dire? Eh oui, le baccalauréat commence lundi prochain, avec la très symbolique épreuve de philosophie, et l'administration a besoin de quelques jours pour préparer les salles et mettre en place ce grand événement qui polarise nos vies d'enseignants. Dans quelques jours, nous allons passer de longues heures à surveiller nos élèves, puis, nous prendrons nos copies et nous lancerons dans le marathon des corrections.

C'est très tôt dans l'année, car, automatiquement, le lycée ferme. L'ensemble des enseignants est en effet mobilisé dans la surveillance et l'organisation. Les élèves de première vont attendre leur épreuve de français, tandis que les secondes sont maintenant en vacances, jusqu'au 2 septembre prochain. Cela signifie, cher lecteur, que les profs ne font plus cours car ils sont mobilisés ailleurs. Le ministère teste en ce moment dans une quinzaine de départements de province des dispositifs pour permettre aux secondes d'avoir cours jusqu'à fin juin, mais on en est qu'à l'expérimentation, et de gros problèmes de logistique restent posés.

La vraie fin d'année est marquée par la fin des conseils de classe du troisième trimestre. Depuis ce moment, vendredi dernier, les élèves ont toujours l'obligation scolaire mais ne viennent plus que par intermittence en cours. Personnellement, je continue à faire cours ce qui met rapidement en fuite la majorité de mes classes.

L'ambiance du lycée est alors totalement différente. Les terminales sont dans la dernière ligne droite et sont très angoissés. Ils viennent encore en cours pour poser les dernières questions et revoir les méthodes des différents types d'exercices qu'ils auront à traiter. Le baccalauréat reste encore pour eux, dans un lycée pourtant marqué par l'échec scolaire, quelque chose de vraiment marquant et important. Ils savent très bien que ce diplôme est le même que celui des gamins des grands lycées centraux de Paris, et ils se disent qu'ils auront peut-être des meilleures notes qu'eux.

Cette fin d'année, durant laquelle le rythme a changé, est aussi un moment d'émotions pour les enseignants. Même si nos élèves sont souvent durs, nous investissons beaucoup en eux. La majorité d'entre nous est bienveillante, et a mis en eux beaucoup de choses, une petite partie de nous-mêmes. Chaque jour, j'essaie de m'imaginer ce que mes élèves deviendront plus tard, et je me dis que j'ai peut-être aidé un ou deux d'entre eux à vivre mieux sa future vie. Il y a toujours le fantasme d'être un de ces enseignants dont on se remémore quelques années plus tard, plutôt qu'un de ceux dont le nom est oublié deux ans après le bac. Cela fait partie de l'égo, mais aussi de la satisfaction du travail bien fait.

Ce matin, à ma grande surprise, j'ai vu arriver à 8h30 une douzaine d'élèves de ma seconde. M'étonnant de leur présence, alors qu'ils ont commencé à déserter le lycée depuis la fin de la semaine dernière, mon cours y compris, ils m'ont affirmé être venu pour me revoir une dernière fois et me saluer avant les longues vacances qui s'avancent. Je sais que je râle souvent sur la difficulté de mon métier et les conditions de plus en plus dures qui l'entourent, mais ce type de moments vaut toutes les souffrances et les moments de déprime de l'année. C'est la même chose pour mes élèves de terminale qui m'ont remercié lors du dernier cours. Parfois, on ne se nourrit pas que d'argent, et heureusement encore!

mardi 10 juin 2008

Le niveau baisse? Est-ce si sûr?

Un des traditionnels reproches contre le système éducatif français est une baisse régulière de niveau dont il serait passablement responsable. Étant professeur en histoire-géographie depuis seulement huit ans, il est assez difficile pour moi d'avoir un peu de recul sur cette question. L'impression qui domine plutôt est la stagnation, autant dans l'expression écrite et orale que dans le travail fourni. Cependant, je peux quand même, malgré mon expérience limitée, tenter d'apporter ma petite pierre à l'édifice.

En effet, cher lecteur, il y a tout de même quelques éléments que je peux t'apporter. Je vais me référer à un objet précieux qui est indispensable à mon raisonnement: mon vieux cahier de terminale. Eh oui, cher lecteur, en tant que bon historien de formation, je garde les vieilles cochonneries. En faisant un peu de rangement, j'ai retrouvé cette antiquité: j'avais en terminale un prof que j'adulais littéralement, qui était en même temps prof en fac et qui y est parti à temps plein depuis, en tant que spécialiste d'histoire contemporaine. J'ai donc pu réexplorer un peu mon passé d'élève.

Une première chose m'a frappé qui est fondamentale. J'ai parcouru rapidement le cours sur la Guerre Froide que j'avais reçu à l'époque. Nous faisons toujours ce chapitre en terminale aujourd'hui, mais les choses ont considérablement changé. Je sais que mes élèves se plaignent beaucoup de la masse de connaissances consignée dans leur cahier d'histoire. Pourtant, une chose est sûre: mon cours de terminale sur la Guerre Froide était bien plus dense que celui que je donne aujourd'hui. Le volume-horaire devait être beaucoup plus important sur ce seul chapitre, et je reste impressionné du nombre d'événements que j'ai dû, à l'époque, ingurgiter. Indéniablement, sur cet aspect-là, les choses ont changé.

Immédiatement, quelque chose d'autre m'a sauté aux yeux. J'avais toujours trouvé les cours de cet enseignant passionnant. Il m'a en particulier appris qu'enseigner l'histoire, c'était aussi savoir, parfois, raconter des histoires, et je me souviens encore de certaines anecdotes croustillantes glanées tout au long de cette année-là sur notre passé. Cependant, ce cours était, et je m'en rends compte aujourd'hui, un long récit des événements de la Guerre Froide. Le changement est donc là: actuellement, nous travaillons beaucoup plus sur le sens des événements, sur les tendances qu'ils cachent, que sur les événements en eux-mêmes. Nous avons donc transformé considérablement nos pratiques de transmission de la discipline.

Le choc est encore plus brutal en géographie. Je suis sûr que tu te souviens, cher lecteur, de la manière dont tes enseignants ont traité en terminale les Etats-Unis ou le Japon. On t'a asséné une première partie sur l'agriculture, puis tu as consciencieusement analysé la structure industrielle et on t'a achevé par la vision générale des services. Si cette structure se retrouve encore parfois dans mes cours (elle a l'avantage de rassurer les élèves), elle a cependant changé en aboutissant à des approches qui prennent en compte la révolution qu'a connu cette discipline depuis 30 ans: approche multi-scalaire, travail sur l'espace perçu, abandon des considérations uniquement économiques, approche aussi de la géostratégie.

Au total, il y a donc eu une réorientation réelle de l'enseignement de mes disciplines, devenu beaucoup moins quantitatif et beaucoup plus qualitatif. La baisse de la quantité de connaissances demandée pourrait faire passer nos élèves comme moins cultivés qu'il y a dix ou quinze ans. Cependant, qu'avons-nous retenu de nos cours-fleuves de terminale, ou des cinq mois durant lequel, en seconde, nous avons étudié la révolution française? Moi qui était passionné, beaucoup, mais est-ce le cas de la majorité des élèves?

Reste à savoir si le niveau baisse à cause de cela. Aujourd'hui, l'histoire-géographie reste la matière qui a les résultats les plus mauvais. On tourne autour de 9 de moyenne au baccalauréat, alors que les autres matières sont entre 10 et 11. Les inspecteurs nous trouvent trop sévères et nous le disent systématiquement, nous menaçant régulièrement d'une hypothétique exclusion des épreuves du bac. Pourtant, on aurait pu s'attendre à ce que la baisse de la quantité de connaissances à acquérir facilite une hausse des résultats.

En fait, vu ce qu'on fait maintenant, je reste persuadé que ce n'est pas possible. On essaie de s'approcher plus de la vraie histoire et de la vraie géographie que l'école ne le faisait auparavant, et là, pour moi, il y a incontestablement une hausse d'exigence. Face à cela, les élèves ont certes moins de travail de digestion de connaissances, mais ils doivent beaucoup plus manier l'espace et le temps et ont à maîtriser des concepts nouveaux que nous n'avions pas réellement besoin de traiter à notre époque. Des choses comme les ruptures chronologiques ou le changement d'échelle leur posent de vrais problèmes. En plus, on leur demande maintenant de créer un questionnement à partir d'un sujet et de faire un plan qui y répondre, ce qui reste très difficile pour beaucoup d'entre eux à cet âge-là. Piaget disait d'ailleurs que ce type de raisonnements se mettaient en place en moyenne à 16 ans chez un enfant, ce qui signifie que la moitié peuvent le faire après. Pour comparaison, on commence dès 15 ans, en seconde, voire même au collège, à un âge où le cerveau à des difficultés à le faire.

Donc, je crois qu'on a élevé le niveau d'exigence globalement. Avant, l'élève apprenait, et cela pouvait lui suffire pour réussir: or, nombreux étaient ceux qui ne pouvaient déjà pas franchir cette étape-là. Maintenant, on les fait apprendre moins, mais on les fait raisonner beaucoup plus. C'est à mon avis très difficile, mais aussi beaucoup plus passionnant pour les enseignants et les élèves qui s'en sortent. Reste à savoir, cher lecteur, et à toi de me dire ce que tu en penses, si l'école est faite pour transmettre une culture générale, ou si elle doit aussi transmettre des façons de raisonner. C'est un vieux débat qui est loin, je crois, d'être tranché...