Je me suis toujours passionné pour la construction européenne, cher lecteur. Je sais que le thème peut sembler totalement rébarbatif et complexe, mais l'idéal est beau et il peut facilement réunir autour de lui de nombreux courants politiques démocrates. Il a aussi permis d'assurer la paix à notre société européenne et a contribué, à sa manière, à faire chuter le totalitarisme soviétique en attirant les peuples de l'Est de l'Europe. L'idée européenne est à l'évidence un facteur de progrès de nos sociétés.
Et pourtant, cher lecteur, sous tes yeux ébahis, l'Europe est encore arrivée à un point de ridicule dont elle a le secret. Je résume la situation pour que tu sois au point. L'an dernier, notre joyeux président est arrivé comme un sauveur de l'UE. Réunissant ses comparses, il a poussé à la rédaction d'un nouveau traité visant à réviser l'usine à gaz de Nice. Les chefs d'Etat sont parvenus à un texte bâtard, qui élude la plupart des questions importantes, basarde les grandes questions soulevées par les référendums français et néerlandais et reprend les grands traits de l'organisation de la constitution européenne. Les chefs d'Etat ont fait à ce moment-là preuve de leur vision démocratique des choses en considérant que ce traité ne devait pas être adopté par référendum, pour être sûr qu'il passe. Électeurs, vu que vous êtes irresponsables, que vous n'êtes pas capable de prendre les bonnes décisions, passez votre chemin, on va faire tout cela entre nous. Les dirigeants politiques français ont repris en coeur ce couplet, le PS et le Modem acceptant la ratification par le congrès sans repasser devant des électeurs pénibles et dangereux.
Or, voilà qu'un problème se dresse devant les dirigeants européens: la petite Irlande doit constitutionnellement faire un référendum. Nom de Dieu!!! Il y a un pays dans ce fichu continent où on demande systématiquement l'avis du peuple. Au départ, cette étape ne devait pas poser problème, mais voilà: le non monte régulièrement dans les sondages et menace de l'emporter. La presse française a réagi à cela de manière scandaleuse. Le Monde accuse les Irlandais de vouloir simplement défendre leurs intéressants statuts fiscaux qui ont contribué à leur croissance. Le Figaro y ajoute la crainte de voir l'avortement légalisé. Libération indique que c'est la crainte de voir le pays perdre sa neutralité qui prime. Au total, les Irlandais, dans toute la presse, apparaisse comme des ignobles égoïstes, qui vont jouer l'avenir de l'Europe sur de simples aspects locaux...
Cela ne vous rappelle rien? Non? Moi, si! Cela me rappelle 2005 et tous les reproches que nos élites ont infligés aux Français à propos de notre choix majoritaire de voter non sur la constitution. Nous aussi, nous avons été égoïste. Et pourtant, cher lecteur, j'ai ce souvenir d'avoir vu la population française vraiment s'intéresser à ce débat à l'époque, et j'ai toujours le sentiment que nous avons choisi en conscience sur le texte plus que sur le contexte intérieur et le rejet de Chirac. En clair, on nous culpabilise alors qu'on a fait un choix responsable, et cela me gonfle. Si on s'est planté, j'assume, mais qu'on arrête de nous culpabiliser.
Peut-on cependant s'étonner que les peuples voient l'intérêt européen à leur aune, si on continue d'individualiser systématiquement le débat? Pourquoi les 4 millions d'Irlandais sont-ils les seuls à avoir le droit d'en débattre? Pourquoi n'y a-t-il par un référendum partout? Pourquoi tout cela ne se déroule-t-il pas à la même date dans toute l'Europe, pour nous aider à prendre conscience de l'échelle continentale de l'enjeu? Pourquoi cette difficulté à faire de l'Europe une démocratie réelle???
Je vais te donner mon opinion là-dessus. Jusqu'à maintenant, les leaders européens ont construit une Europe de l'économie, de la liberté des échanges, une Europe centrée sur les affaires et pas sur le reste. Cette Europe-là n'a pas besoin de la démocratie, car lorsqu'on y fait entrer le peuple, le risque est fort que l'on change les politiques, dans des intérêts différents de ceux de nos dirigeants. Il y a donc un rejet de la démocratie à l'échelle européenne, qui seule pourrait nous permettre de nous construire une vraie identité européenne et de prendre conscience que nous avons un nouvel outil à grande échelle pour améliorer nos vies. J'espère qu'un jour, on comprendra en haut qu'on ne peut pas faire une Europe populaire sans la rendre vraiment démocratique. C'est ensuite à la population de décider si elle veut une Europe libérale ou socialiste, une Europe social-démocrate ou conservatrice. Mais qu'on nous laisse choisir, bon sang!!!!
Bonjour et bravo pour ton blog.
RépondreSupprimerJe te suis parfaitement sur le fond de ton article, l’Europe manque de débats populaires mais pas comme ça !
D’accord pour écouter la population sur un sujet comme les institutions, mais il faut bien avoir conscience que cela signifie l’arrêt de toute perspective d’avancement dans cette idée européenne comme « facteur de progrès de nos sociétés. »
L’Europe telle qu’elle est, certes imparfaite mais pourtant essentielle, c’est faite, laborieusement, à coup de consensus entre les dirigeants des pays qui la compose. Quelle possibilité de consensus y a t’il lorsqu’on demande aux populations de dire « oui » ou « non » ?
Quelle possibilité de consensus y a t’il lorsqu’on interroge des français qui veulent imposer leur magnifique modèle social, aux Anglais qui veulent imposer leurs magnifiques atlantismes et libéralisme, aux Polonais qui veulent imposer leur magnifique catholicisme etc etc ?
L’Europe est une belle idée mais pas une idée facile et ne nous leurrons pas, l’identité européenne n’existe pas ou pas suffisamment pour que l’on se permette de demander l’avis des populations au risque d’en bloquer le fonctionnement !
Et après tout, décider par voix parlementaire c’est aussi la démocratie et c’est même comme cela que fonctionnent toutes les démocraties !
Les pays, même les plus démocratiques, font rarement appel au référendum !
Je suis tout à fait d’accord avec toi sur le fait que pour que cette identité européenne prenne corps, il faut d’une manière ou d’une autre impliquer les population. Il faut effectivement les interroger sur la manière dont ils envisagent l’avenir de l’Europe mais pas par une question fermée à laquelle ils répondraient « oui » ou « non ».
Merci pour le compliment.
RépondreSupprimerPourquoi pas, mais à ce moment-là, le fonctionnement parlementaire doit changer. On ne peut laisser les parlements nationaux faire car ils se comportent comme les gardiens de leurs intérêts locaux. Le système actuel permet ensuite aux gouvernements d'agir tout en se planquant derrière l'UE.
Une seule solution viable: donnons au Parlement Européen, instance directement élue, le pouvoir de voter les décisions de l'UE, et supprimons le processus alambiqué actuel. Comme je te l'ai déjà dit, inventons une seconde chambre des Etats, mais laissons l'avantage à la première.
De cette manière, le peuple commencera progressivement à s'intéresser au débat, mais il faut sortir, dans tous les cas, de la complexité actuelle.
@ Mathieu L.
RépondreSupprimerJe savais bien qu'on serait d'accord un jour sur quelque chose !
Pour que l'Europe avance dans le bon sens, il faut en effet donner au Parlement Européen la réalité du pouvoir législatif. Quand on expliquera aux électeurs, avant les élections européennes, que ceux qu'ils vont élire décideront effectivement de leur avenir au quotidien, alors le sentiment de citoyenneté européenne verra enfin le jour.
Mais d'ici là, il est totalement vain de demander aux citoyens de chaque pays de cautionner tel ou tel traité par un "oui" ou par un "non". Ca ne leur parle absolument pas, et ils ne font qu'utiliser le référendum pour sanctionner ou cautionner, selon le cas, leurs dirigeants nationaux.
Je l'ai dit récemment sur mon propre blog : construire une démocratie ne se fait pas forcément par la démocratie. Quand l'Europe existera, quand les électeurs seront devenus des citoyens européens, alors on pourra leur demander démocratiquement leur avis sur la politique européenne. Pas avant.
@ René: Mais pourquoi pas, René. Entre démocrates, tout est possible...
RépondreSupprimerIl faut à mon avis que la mise en place du Parlement se fasse par un référendum global, partout et le même jour, car il s'agit d'une délégation de souveraineté. Pour le faire réussir, on pourrait proposer deux conditions: qu'au moins la moitié des Européens l'accepte et que la moitié des Etats ait une majorité.
Ensuite, le nouveau parlement se mettra au travail, et les Européens s'y intéresseront, j'en suis sûr.