Un des traditionnels reproches contre le système éducatif français est une baisse régulière de niveau dont il serait passablement responsable. Étant professeur en histoire-géographie depuis seulement huit ans, il est assez difficile pour moi d'avoir un peu de recul sur cette question. L'impression qui domine plutôt est la stagnation, autant dans l'expression écrite et orale que dans le travail fourni. Cependant, je peux quand même, malgré mon expérience limitée, tenter d'apporter ma petite pierre à l'édifice.
En effet, cher lecteur, il y a tout de même quelques éléments que je peux t'apporter. Je vais me référer à un objet précieux qui est indispensable à mon raisonnement: mon vieux cahier de terminale. Eh oui, cher lecteur, en tant que bon historien de formation, je garde les vieilles cochonneries. En faisant un peu de rangement, j'ai retrouvé cette antiquité: j'avais en terminale un prof que j'adulais littéralement, qui était en même temps prof en fac et qui y est parti à temps plein depuis, en tant que spécialiste d'histoire contemporaine. J'ai donc pu réexplorer un peu mon passé d'élève.
Une première chose m'a frappé qui est fondamentale. J'ai parcouru rapidement le cours sur la Guerre Froide que j'avais reçu à l'époque. Nous faisons toujours ce chapitre en terminale aujourd'hui, mais les choses ont considérablement changé. Je sais que mes élèves se plaignent beaucoup de la masse de connaissances consignée dans leur cahier d'histoire. Pourtant, une chose est sûre: mon cours de terminale sur la Guerre Froide était bien plus dense que celui que je donne aujourd'hui. Le volume-horaire devait être beaucoup plus important sur ce seul chapitre, et je reste impressionné du nombre d'événements que j'ai dû, à l'époque, ingurgiter. Indéniablement, sur cet aspect-là, les choses ont changé.
Immédiatement, quelque chose d'autre m'a sauté aux yeux. J'avais toujours trouvé les cours de cet enseignant passionnant. Il m'a en particulier appris qu'enseigner l'histoire, c'était aussi savoir, parfois, raconter des histoires, et je me souviens encore de certaines anecdotes croustillantes glanées tout au long de cette année-là sur notre passé. Cependant, ce cours était, et je m'en rends compte aujourd'hui, un long récit des événements de la Guerre Froide. Le changement est donc là: actuellement, nous travaillons beaucoup plus sur le sens des événements, sur les tendances qu'ils cachent, que sur les événements en eux-mêmes. Nous avons donc transformé considérablement nos pratiques de transmission de la discipline.
Le choc est encore plus brutal en géographie. Je suis sûr que tu te souviens, cher lecteur, de la manière dont tes enseignants ont traité en terminale les Etats-Unis ou le Japon. On t'a asséné une première partie sur l'agriculture, puis tu as consciencieusement analysé la structure industrielle et on t'a achevé par la vision générale des services. Si cette structure se retrouve encore parfois dans mes cours (elle a l'avantage de rassurer les élèves), elle a cependant changé en aboutissant à des approches qui prennent en compte la révolution qu'a connu cette discipline depuis 30 ans: approche multi-scalaire, travail sur l'espace perçu, abandon des considérations uniquement économiques, approche aussi de la géostratégie.
Au total, il y a donc eu une réorientation réelle de l'enseignement de mes disciplines, devenu beaucoup moins quantitatif et beaucoup plus qualitatif. La baisse de la quantité de connaissances demandée pourrait faire passer nos élèves comme moins cultivés qu'il y a dix ou quinze ans. Cependant, qu'avons-nous retenu de nos cours-fleuves de terminale, ou des cinq mois durant lequel, en seconde, nous avons étudié la révolution française? Moi qui était passionné, beaucoup, mais est-ce le cas de la majorité des élèves?
Reste à savoir si le niveau baisse à cause de cela. Aujourd'hui, l'histoire-géographie reste la matière qui a les résultats les plus mauvais. On tourne autour de 9 de moyenne au baccalauréat, alors que les autres matières sont entre 10 et 11. Les inspecteurs nous trouvent trop sévères et nous le disent systématiquement, nous menaçant régulièrement d'une hypothétique exclusion des épreuves du bac. Pourtant, on aurait pu s'attendre à ce que la baisse de la quantité de connaissances à acquérir facilite une hausse des résultats.
En fait, vu ce qu'on fait maintenant, je reste persuadé que ce n'est pas possible. On essaie de s'approcher plus de la vraie histoire et de la vraie géographie que l'école ne le faisait auparavant, et là, pour moi, il y a incontestablement une hausse d'exigence. Face à cela, les élèves ont certes moins de travail de digestion de connaissances, mais ils doivent beaucoup plus manier l'espace et le temps et ont à maîtriser des concepts nouveaux que nous n'avions pas réellement besoin de traiter à notre époque. Des choses comme les ruptures chronologiques ou le changement d'échelle leur posent de vrais problèmes. En plus, on leur demande maintenant de créer un questionnement à partir d'un sujet et de faire un plan qui y répondre, ce qui reste très difficile pour beaucoup d'entre eux à cet âge-là. Piaget disait d'ailleurs que ce type de raisonnements se mettaient en place en moyenne à 16 ans chez un enfant, ce qui signifie que la moitié peuvent le faire après. Pour comparaison, on commence dès 15 ans, en seconde, voire même au collège, à un âge où le cerveau à des difficultés à le faire.
Donc, je crois qu'on a élevé le niveau d'exigence globalement. Avant, l'élève apprenait, et cela pouvait lui suffire pour réussir: or, nombreux étaient ceux qui ne pouvaient déjà pas franchir cette étape-là. Maintenant, on les fait apprendre moins, mais on les fait raisonner beaucoup plus. C'est à mon avis très difficile, mais aussi beaucoup plus passionnant pour les enseignants et les élèves qui s'en sortent. Reste à savoir, cher lecteur, et à toi de me dire ce que tu en penses, si l'école est faite pour transmettre une culture générale, ou si elle doit aussi transmettre des façons de raisonner. C'est un vieux débat qui est loin, je crois, d'être tranché...
En effet, cher lecteur, il y a tout de même quelques éléments que je peux t'apporter. Je vais me référer à un objet précieux qui est indispensable à mon raisonnement: mon vieux cahier de terminale. Eh oui, cher lecteur, en tant que bon historien de formation, je garde les vieilles cochonneries. En faisant un peu de rangement, j'ai retrouvé cette antiquité: j'avais en terminale un prof que j'adulais littéralement, qui était en même temps prof en fac et qui y est parti à temps plein depuis, en tant que spécialiste d'histoire contemporaine. J'ai donc pu réexplorer un peu mon passé d'élève.
Une première chose m'a frappé qui est fondamentale. J'ai parcouru rapidement le cours sur la Guerre Froide que j'avais reçu à l'époque. Nous faisons toujours ce chapitre en terminale aujourd'hui, mais les choses ont considérablement changé. Je sais que mes élèves se plaignent beaucoup de la masse de connaissances consignée dans leur cahier d'histoire. Pourtant, une chose est sûre: mon cours de terminale sur la Guerre Froide était bien plus dense que celui que je donne aujourd'hui. Le volume-horaire devait être beaucoup plus important sur ce seul chapitre, et je reste impressionné du nombre d'événements que j'ai dû, à l'époque, ingurgiter. Indéniablement, sur cet aspect-là, les choses ont changé.
Immédiatement, quelque chose d'autre m'a sauté aux yeux. J'avais toujours trouvé les cours de cet enseignant passionnant. Il m'a en particulier appris qu'enseigner l'histoire, c'était aussi savoir, parfois, raconter des histoires, et je me souviens encore de certaines anecdotes croustillantes glanées tout au long de cette année-là sur notre passé. Cependant, ce cours était, et je m'en rends compte aujourd'hui, un long récit des événements de la Guerre Froide. Le changement est donc là: actuellement, nous travaillons beaucoup plus sur le sens des événements, sur les tendances qu'ils cachent, que sur les événements en eux-mêmes. Nous avons donc transformé considérablement nos pratiques de transmission de la discipline.
Le choc est encore plus brutal en géographie. Je suis sûr que tu te souviens, cher lecteur, de la manière dont tes enseignants ont traité en terminale les Etats-Unis ou le Japon. On t'a asséné une première partie sur l'agriculture, puis tu as consciencieusement analysé la structure industrielle et on t'a achevé par la vision générale des services. Si cette structure se retrouve encore parfois dans mes cours (elle a l'avantage de rassurer les élèves), elle a cependant changé en aboutissant à des approches qui prennent en compte la révolution qu'a connu cette discipline depuis 30 ans: approche multi-scalaire, travail sur l'espace perçu, abandon des considérations uniquement économiques, approche aussi de la géostratégie.
Au total, il y a donc eu une réorientation réelle de l'enseignement de mes disciplines, devenu beaucoup moins quantitatif et beaucoup plus qualitatif. La baisse de la quantité de connaissances demandée pourrait faire passer nos élèves comme moins cultivés qu'il y a dix ou quinze ans. Cependant, qu'avons-nous retenu de nos cours-fleuves de terminale, ou des cinq mois durant lequel, en seconde, nous avons étudié la révolution française? Moi qui était passionné, beaucoup, mais est-ce le cas de la majorité des élèves?
Reste à savoir si le niveau baisse à cause de cela. Aujourd'hui, l'histoire-géographie reste la matière qui a les résultats les plus mauvais. On tourne autour de 9 de moyenne au baccalauréat, alors que les autres matières sont entre 10 et 11. Les inspecteurs nous trouvent trop sévères et nous le disent systématiquement, nous menaçant régulièrement d'une hypothétique exclusion des épreuves du bac. Pourtant, on aurait pu s'attendre à ce que la baisse de la quantité de connaissances à acquérir facilite une hausse des résultats.
En fait, vu ce qu'on fait maintenant, je reste persuadé que ce n'est pas possible. On essaie de s'approcher plus de la vraie histoire et de la vraie géographie que l'école ne le faisait auparavant, et là, pour moi, il y a incontestablement une hausse d'exigence. Face à cela, les élèves ont certes moins de travail de digestion de connaissances, mais ils doivent beaucoup plus manier l'espace et le temps et ont à maîtriser des concepts nouveaux que nous n'avions pas réellement besoin de traiter à notre époque. Des choses comme les ruptures chronologiques ou le changement d'échelle leur posent de vrais problèmes. En plus, on leur demande maintenant de créer un questionnement à partir d'un sujet et de faire un plan qui y répondre, ce qui reste très difficile pour beaucoup d'entre eux à cet âge-là. Piaget disait d'ailleurs que ce type de raisonnements se mettaient en place en moyenne à 16 ans chez un enfant, ce qui signifie que la moitié peuvent le faire après. Pour comparaison, on commence dès 15 ans, en seconde, voire même au collège, à un âge où le cerveau à des difficultés à le faire.
Donc, je crois qu'on a élevé le niveau d'exigence globalement. Avant, l'élève apprenait, et cela pouvait lui suffire pour réussir: or, nombreux étaient ceux qui ne pouvaient déjà pas franchir cette étape-là. Maintenant, on les fait apprendre moins, mais on les fait raisonner beaucoup plus. C'est à mon avis très difficile, mais aussi beaucoup plus passionnant pour les enseignants et les élèves qui s'en sortent. Reste à savoir, cher lecteur, et à toi de me dire ce que tu en penses, si l'école est faite pour transmettre une culture générale, ou si elle doit aussi transmettre des façons de raisonner. C'est un vieux débat qui est loin, je crois, d'être tranché...
Il me paraît préférable, peut-être parce que c'est l'enseignement que j'ai reçu, d'orienter l'enseignement d'histoire-géo vers le raisonnement. Cette récurrence du travail par le raisonnemment permet dès l'entrée en seconde d'apprendre à structurer ses idées, à ordonner la pensée abstraite (selon Piaget toujours, bien qu'il considérait que le raisonnement apparaissait légèrement plus tôt que ce que vous avancez).
RépondreSupprimerEn ce qui concerne le niveau demandé par cette approche nouvelle, on peut évuellement admettre que l'exigence a crue depuis le temps de vos années lycée. Toutefois, je suis persuadé qu'une certaine partie des élèves de terminales trouveront plus aisé d'apprendre moins et réfléchir plus, plutôt que d'apprendre un volume d'informations plus important. On peut tout de même admettre que dans l'ensemble le niveau requis est légèrement élevé, c'est vrai.
Ce qui revient depuis plusieurs années et qui fait débat, c'est que le niveau du bac tendrait vers le niveau des élèves (et donc que leur niveau stagnerait voir diminuerait). Vous l'avez montré, en histoire-géo, ce n'est pas le cas, et je ne pense pas que ça l'est pour les autres matières. Je pense plutôt que l'accès au baccalauréat est facilité par la prolifération des matières optionnelles. Ces notes d'option peuvent atteindre le nombre de 3 en incluant les TPE, et au fil des années regroupent des catégories d'élèves de plus en plus larges par la diversité des matières proposées. Globalement, ce sont des matières où il est très facile de glaner des points et j'ai l'intime conviction que ce sont ces points qui permettent depuis quelques années à certains élèves d'accrocher le deuxième tour ou simplement le passage dès le premier tour.
Bonjour,
RépondreSupprimerCela resterait à démontrer. Les options permettent à des élèves qui sont parfois plus faibles dans les matières dites classiques, de montrer qu'ils ont aussi d'autres qualités. On peut ne pas aimer les maths ou la philosophie, mais avoir des dons d'acteur. Il n'est pas forcément mauvais que le baccalauréat permette à tous les types de compétences d'être valorisées. D'autre part, le poids des matières lourdes reste très largement prépondérant dans les sections générales.
Je mettrai juste à part le cas des Travaux Personnels Encadrés. On pourrait penser que c'est facile à obtenir et que les notes sont toujours larges: ce n'est pas forcément faux. Pourtant, c'est aussi la première fois, et la seule dans le secondaire, que les élèves travaillent un thème qui les intéresse, avec leurs démarches et leurs problématiques propres. Si cela n'était pas au bac, est-ce que les élèves s'y investiraient aussi sérieusement qu'aujourd'hui? Je n'en sais rien, mais je crois que la démarche en vaut la peine...