Cher lecteur, en ce beau dimanche, je vais revenir à des méthodes pédagogiques plus traditionnelles et essayer de t'initier un peu à la manière dont notre gouvernement fonctionne par l'exemple. Je vais te montrer comment, à partir d'une idée apparemment bonne, on arrive à une situation totalement ubuesque dans l'Education nationale, et comment on se prépare à joyeusement jeter ton argent par les fenêtres.
Le vendredi 6 juin, dans mon lycée dit "difficile", nous avons appris que le ministère venait d'avoir une nouvelle idée tout à fait originale pour nos élèves: le stage d'été. L'ensemble de ce nouveau dispositif est détaillé dans le Bulletin Officiel de l'Education Nationale (BOEN) daté du 5 juin 2008. Si tu es vicieux à un point très élevé, je te fournis ici le lien pour que tu puisses le lire toi-même, et, comme je suis bien bon, cher lecteur masochiste, tu pourras directement aller à la page 1235:
Quelle est la logique de ce stage? Le ministre y constate l'échec d'une bonne partie de nos lycéens lorsqu'ils arrivent dans le supérieur. Il s'agit donc d'ouvrir deux semaines de stage pour permettre à nos jeunes bacheliers de prendre pied dans le système supérieur avec les meilleurs armes possibles. Ces stages devraient débuter le 15 août 2008 et s'étaler sur les 15 jours précédant le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire. Ces stages seront assurés, dans les 200 lycées concernés, soit par des enseignants volontaires, soit par des étudiants étant en deuxième année de master et se destinant à l'enseignement, soit à des étudiants étrangers pour l'entraînement aux langues vivantes.
Présenté comme cela, tout a tout l'air d'être une bonne idée. Pourtant, cher lecteur, rien qu'en regardant cette organisation, on est bien face à une belle usine à gaz. Alors, je sais ce que tu vas d'ores et déjà me dire: "Ah, cher privilégié, tu n'es pas content parce que tu vas devoir revenir de tes vacances, déjà trop longues, un peu plus tôt! Au travail, fainéant!!" Mais non, cher lecteur, mais non... Comme tu as pu le voir, ce sera fait par des enseignants volontaires, et si je n'ai pas envie d'y être, je n'y serai pas. J'ai plutôt envie de discuter du fond, pour une fois, et du sens de cette mesure.
Cher lecteur, comme tu le sais peut-être, nous sommes aujourd'hui le 15 juin. Le baccalauréat commence demain, et ses résultats ne seront pas connus avant le 4 juillet, sans compter la phase des oraux de rattrapage qui se dérouleront le lundi et le mardi suivant. Au total, le bac est généralement complètement bouclé juste deux ou trois jours avant le 14 juillet. Le BOEN indique qu'il faut faire la publicité auprès des élèves au début du mois de juin, alors qu'il sort le 5 juin et qu'une bonne partie de nos élèves ont déjà quitté le lycée et n'y reviendront que pour le bac, moment où on n'a pas envie de les embêter avec ça. Il faudrait donc trouver maintenant des élèves qui ont sans doute autre chose en tête que de se dire qu'ils vont revenir au lycée le 15 août, qui ont déjà des réservations pour des vacances ailleurs et qui ne seront tout simplement pas là.
D'autres problèmes se posent. Tout d'abord, contrairement à ce que tu penses peut-être, il y aura des enseignants, car ce dispositif sera payé en heures supplémentaires. En effet, les enseignants sont censés être en congé sans solde en août et s'ils viennent travailler, ils seront payés. Les problèmes de pouvoir d'achat vont sûrement beaucoup jouer sur les collègues les plus jeunes. Par contre, il n'y aura pas d'étudiants, car le laps de temps pour les embaucher est trop court. Surtout, je ne vois pas comment les autres personnels de l'établissement, nécessaires pour que la sécurité du bahut soit aux normes, pourront être là, car ils sont eux en congés payés: c'est le cas du proviseur et de son adjoint, des conseillers principaux d'éducation, des surveillants et des ouvriers. Il y a là une bonne source d'incidents en perspective, et je crains que les tribunaux administratifs n'aient du travail.
Mais non, ne soyons pas pessimistes, puisqu'il n'y aura pas d'élève sur place. On va donc payer des enseignants en heures supplémentaires à rien faire pendant plusieurs jours. Franchement, au plan personnel, je préfère largement partir en vacances que de rester seul dans mon lycée en plein mois d'août à lire le journal pendant toute la journée. Au plan général, je ne crois pas que cette idée soit si mauvaise que cela: après tout, pourquoi ne pas essayer d'aider les futurs étudiants, en particulier les élèves venant des bahuts difficiles. Mais là encore, le ministère agit dans la précipitation, sans prendre le temps de se poser de bonnes questions. Je me dis, cher lecteur, que je ne comprends pas comment un ministre qui est lui-même enseignant peut mettre en place des idées pareilles: c'est une preuve crasse autant de la méconnaissance de nos élèves que du fonctionnement de l'institution.
Alors, si on mettait ce stage en place, comment faudrait-il s'y prendre?
- Tout d'abord, la période est mal choisie, car on punit une fois de plus les élèves des quartiers difficiles en leur proposant de venir alors que tous les autres sont en vacances, comme s'ils étaient de toute façon de mauvais étudiants en puissance. Pourquoi ne fait-on pas ce stage durant le mois de septembre, quelques jours avant la rentrée universitaire? Les étudiants auront largement eu le temps d'oublier en octobre ce qu'ils auront fait en août.
- Les modalités sont à revoir aussi. Le lieu n'est pas bien choisi, car les lycées sont vides en août, et ils sont pleins en septembre. Alors quelque chose m'est tout de suite venu: pourquoi ne pas faire cela dans les universités, directement??? Après tout, les universitaires nous chargent suffisamment en ce moment, nous accusant d'être responsable des nombreux échecs de nos ex-élèves en licence. Si nous n'y arrivons pas, pourquoi ne le font-ils pas? De plus, les élèves ont eu le bac, et n'ont plus rien à faire dans un lycée. Ils sont dorénavant étudiants, et qu'ils aillent vivre leurs vies. Enfin, les universités disposent elles aussi, en septembre, de personnels enseignants en vacances, et donc disponibles en heures supplémentaires, mais les conditions de sécurité sont bien meilleures à cet endroit-là, à ce moment-là, car les facs sont ouvertes et sécurisées pour permettre aux examens de rattrapage de se dérouler.
- Les personnels sont donc à revoir. Les enseignants du secondaire peuvent faire ce type de choses, comme les universitaires, puisque ce sont finalement les mêmes. Par contre, faire venir des étudiants en master qui sont encore dans les études est un vrai risque, car ces étudiants n'ont pas le recul suffisant de leurs pratiques pour déjà transmettre et manquent d'expérience. Ce n'est pas la première fois que le ministre actuel essaie de faire suppléer les enseignants par des étudiants, mais l'enseignement est un métier qui nécessite compétences et expériences. Il est dommage que l'on soit toujours le métier qui semble le plus interchangeable...
Au total, il est évident que lorsque l'Etat se lance dans des projets sans réfléchir convenablement et prendre en compte à la fois les objectifs, la réalisation et les modalités, le risque est fort de voir les moyens financiers dépensés sans réelle efficacité. Ce sont nos impôts, cher lecteur, ne l'oublions pas, et n'hésitons pas à dire à la République quand elle fait mal les choses...
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