jeudi 6 janvier 2011

Parlons sérieusement du temps de travail : et les profs ?

Les polémiques récentes ont ramené le temps de travail sur la table. Au-delà de la vague actuelle, il est intéressant de constater que cette question structure largement le champ politique français et qu'elle passionne nos concitoyens, quelle que soit leur position par ailleurs.

Dernièrement, le temps de travail des enseignants a largement occupé les médias. Le PS, dans ses récentes propositions, a repris l'idée de Ségolène Royal et proposé un réaménagement de notre temps de travail. La droite expérimente la hausse du travail par la suppression des personnels, obligeant les autres à travailler et anime un grand débat sur les vacances qui suscite de nombreuses réactions dans la profession mais aussi dans les lobbies touristiques.

Estimer le temps de travail réel qu'on utilise est réellement très compliqué. Cela doit être simple pour un salarié utilisant une pointeuse. Pour moi, je ne peux me baser que sur des estimations, forcément très personnelles et forcément très subjectives.

En théorie, notre boulot s'appuie sur différentes missions. Nous devons donner un certain nombre d'heures de cours en fonction de notre statut (15 heures ou 18 heures). Nous devons fournir des cours de qualité durant ces heures, s'appuyant sur la recherche universitaire actualisée (pas celle du moment où nous faisions nos études) et nous devons participer à toute une série d'examens, soit dans nos classes, soit dans des examens divers comme le brevet ou le bac. Notre temps de travail est calculé sur le temps de travail de 1950, qui était de 43 heures pour les salariés de l'époque. Pour moi qui suis agrégé, cela signifie que je suis censé travailler 2,86 heures pour une heure de cours effective. Nous avons de plus un certain nombre de semaines de vacances (j'exclus l'été car nous ne sommes pas payés sur cette période) durant lesquelles on travaille toujours un peu, mais évidemment bien moins que durant les 36 semaines de cours. Personnellement, je travaille beaucoup pendant les vacances de la Toussaint et celle de février, nettement moins en avril et quasiment pas durant les vacances de Noël.

J'avais estimé utiliser, en fonction des semaines travaillées, entre 30 et 45 heures. Ces variations importantes sont liées à l'organisation de l'année scolaire. Je travaille bien plus en début d'année (je prépare tous mes cours en les adaptant aux classes que je viens de découvrir) ou durant les périodes de conseil de classe et au moment des examens. Par exemple, une période assez calme est le mois de mai. On a tellement préparé de cours et on est tellement en retard sur le programme qu'on n'a plus grand-chose à faire en dehors des corrections.

Lorsqu'on interroge les collègues sur le sujet, ils affirment travailler beaucoup. Le billet de Cycee de ce matin en est un excellent exemple. Tous les profs vous diront que "c'est de plus en plus dur", que "les vacances sont encore loin" ou que "y en a marre de ce boulot lourd et si mal payé". En fait, quand on creuse, on constate que deux choses émergent nettement :

  1. ce sont finalement les heures de cours devant élèves qui sont citées comme étant réellement le moment usant du travail, surtout dans les bahuts difficiles, en particulier les collèges,
  2. et les enseignants ont le sentiment qu'on leur rajoute sans arrêt toute une série de trucs inutiles et sans intérêt, que ce soit dans les cours ou hors des cours, qui les éloignent de leur mission centrale qui est déjà assez difficile comme cela.
La droite est clairement vu comme responsable de cette dégradation : les suppressions de poste ont amené à une nette hausse des heures supplémentaires, certes bien payées, mais qui ont alourdi nettement la charge de travail. Elle a aussi contribué à toute une série de décisions qui n'ont cessé de faire penser aux profs qu'ils étaient mal considérés et qu'ils faisaient un peu tout et n'importe quoi.

Les propositions du PS ne sont pas vraiment mieux passés. Les socialistes proposent une diminution des heures de cours et une revalorisation salariale pour continuer à faire des économies en supprimant de nombreuses professions comme les surveillants, les conseillers d'orientation ou les CPE : les profs devraient ajouter bien d'autres missions à leurs arcs.

Je ne sais pas ce que souhaitent vraiment les profs, mais il y aurait deux bases pour discuter je pense :
  • que les changements dans notre temps de travail fassent du bien aux élèves (ce qui n'est pas le cas en ce moment, regardez les résultats de PISA),
  • que ces changements donnent l'impression (au moins) que l'on prend en compte le fait que notre travail premier (donner des cours) est important pour la société.
Si on s'appuie là-dessus, on pourra discuter. Sinon...

22 commentaires:

  1. Intéressant. Vous faites le tour de la question.
    Deux remarques tout de même :
    1. Selon moi, il est faux de dire que la période d'été ne nous est pas payée. Voir par ex JM Astruc dans :
    http://www.neoprofs.org/t21542-prof-payes-10-mois-et-salaire-annualise
    2. A propos des heures sup, il est toujours possible d'en accepter qu'une. Le problème ne se pose pas de la même manière en collège et en lycée (où les quantités d'heures sup absorbées sont plus importantes). Les profs scient la branche sur laquelle leur voisin est assis. Parfois pour des bonnes raisons, souvent pour des mauvaises.
    En collège, les services des profs deviennent très morcelés (classes partagées entre plusieurs profs d'une même discipline par ex).
    Et surtout, en collèges et lycées, des profs sur 2 ou 3 bahuts à la fois.
    Cdt
    Manuel M

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  2. Le temps de travail des professeurs dépend certainement du profil de chacun. Certains dépensent beaucoup d'énergie à préparer chaque cours, d'autres ressortent les mêmes d'année en année, quelques uns ne préparent rien du tout et improvisent à la volée.

    Mais si le temps de travail hebdomadaire est certainement bien rempli pour la plupart, la question qui fâche avec pas mal de gens est généralement celle des vacances, avec 7 semaines au cours de l'année, plus les deux mois de l'été (l'histoire de l'étalement s'apparantant à une légende urbaine). A ce titre, quelque chose qui m'a étonné, c'est pourquoi les stages de formation ont tendance à être en période de cours, et non en période de vacances ?

    Sinon, le malaise des profs quant à leur perception dans la société est réel. Pour ma part, je pense qu'il s'agit en fait d'un cercle vicieux : d'un côté, les profs, mécontents de cette mauvaise perception, rouspètent et manifestent, de l'autre, la population, mécontente de ces manifestations à répétition, en ont une plus mauvaise image. Malheureusement, cela peut durer longtemps comme cela.

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    1. "A ce titre, quelque chose qui m'a étonné, c'est pourquoi les stages de formation ont tendance à être en période de cours, et non en période de vacances ?"

      Et vous allez en formation durant vos vacances vous?

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    2. Bravo Xerbia, le doigt a été posé ou ça fait mal... C'est donc 7 semaines plus l'été en congé ... Je suis technico commercial dans l'industrie du bois qui souffre en cette periode ... Et je travail pendant mes congés en visant mes mails et mon repondeur, afin de rater le moins d'affaires possibles... Pardonnez moi mais ce commentaire est vraiment ridicule... Philippe du 57.

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    3. @ Anonyme de 03:52 : personne ne nie ici que de nombreux salariés sont en difficulté, et vous ne trouverez aucun billet sur ce blog accusant les autres salariés de se la couler douce, et ce d'autant plus que je ne connais pas le travail des autres. J'ai bossé dans la grande distribution dans le passé, et c'est tout. Est-ce cependant en accusant les profs de tous les maux qu'on en sortira ? J'en doute...

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  3. D'accord avec xerbias, sauf sur la question de la formation. Pour quelle raison les profs n'auraient pas droit à une formation professionnelle durant leur temps de travail comme n'importe quel salarié ? Les stages en question sont limités à 5 jours par an. C'est peu. Et actuellement ils sont régulièrement annulés pour cause d'économies. Faux problème donc selon moi.

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  4. D'accord avec Mathieu.

    Manuel M,
    Il est difficilement possible de n'accepter qu'une heure supp : remettre en question notre emploi du temps (le jour de la pré-rentrée), c'est remettre en question l'emploi du temps de plusieurs classes, donc de plusieurs collègues... la veille de la rentrée !

    Personnellement, j'avais prévenu que je ne voulais pas faire plus que 2 h supp. J'en ai eu 4 !
    Et on m'a expressément demandé d'en faire 2 de plus (remplacement d'un collègue en dépression nerveuse). Je n'ai pas pu refuser, quelques semaines avant de recevoir ma note administrative !

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  5. Accepter ou non plus d'une heure sup, c'est dans la fiche de voeux en juin que nous avons à décider. En accepter 4, c'est faire plaisir au ministre qui doit supprimer des postes. Je ne dis pas cela pour donner des leçons. Ce sont des choix individuels. Mais il ne faut pas se raconter d'histoire : ces choix ont une incidence directe sur les postes et les effectifs dans nos classes.

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  6. @ Manuel M : l'histoire des deux mois non-payés est un serpent de mer. J'entends totalement l'argumentaire d'Astruc, mais il faut voir aussi, tout de même, qu'il y a un vrai décalage entre ce que nous touchons et un cadre A de la fonction publique d'Etat. Pour les agrégés, cet écart correspond assez étonnamment à deux mois de salaire brut... Sur le reste, assez d'accord avec vous.

    @ Xerbias : je pense que cette relativité du temps de travail fonctionne partout, à la fois à cause des différences entre individus et des manières de voir le travail.

    Ce cercle vicieux existe sans doute : ce sont les politiques qui l'entretiennent aussi. Il les arrange bien. Sur la formation, je rejoins Manuel M.

    @ Thierry : je sais qu'il est parfois très difficile de refuser des HS, mais j'aurais tendance à dire qu'il faut le faire. C'est un véritable acte militant et individuel. Cela n'enlève pas sa difficulté.

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  7. Je lance quelques idées iconoclastes... et tant pis pour les coups de bâton que je vais recevoir
    - 16 H cours/ semaine + 3H ( réunions,tutorat, soutien...) pour les profs enseignant 2 matières.(En collège)
    - 17 H +3 pour les autres. Majoration de 1 H pour Arts Plastiques et Techno (moins de correction et de responsabilité vis à vis des parents.)
    - 2 matières obligatoires pour les prochains nouveaux enseignants et obligation de passer 3 ans sur un poste.
    - Pour le lycée, une seule matière et 17 H cours + 2 H "administratives".
    - En collège, Principal, Adjoint et CPE soumis à environ 4 H d'enseignement par semaine (Collège)
    - Les inspecteurs sont des enseignants soumis à un quart temps avec un contrat de 4 ans renouvable 3 fois.
    - Primes de bonification selon les matières enseignées de façon à tenir compte de la charge de travail réelle.
    Ceci dit je ne suis pas personnellement impliqué mais je tiens compte de ce que j'ai pu observer à l'étranger et qui me paraissait positif...
    Bon maintenant vous pouvez me taper dessus!

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  8. @ Nouvel Hermès : ce commentaire mériterait un billet entier. Je m'y attaque dès que possible.

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  9. On compte en heures de cours mais pour les autres professions, compte-t-on les heures de travail réel ou les heures de présence? Ce qui n'est pas exactement la même chose...
    Dorénavant je ne dis plus: "Aujourd'hui j'ai 5 heures de cours" car c'est très réducteur et suscite toujours des réactions du type "Ah quelle chance moi je bosse bien plus etc."; en effet, entre mes heures de cours, je travaille aussi (corrections, préparations, photocopies, réunions,...) et je suis présente toute la journée dans mon établissement, pas seulement durant quelques heures.
    Faisons comme les autres salariés, prenons en compte le temps de présence sur notre lieu de travail!

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  10. Mais tu écris peu ces temps ! trop de travail ? ;)courage.

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  11. @ Nouvel Hermès : j'espère bien ! Je m'y attelle dès que possible.

    @ Delphine : dans notre cas, la présence suffit-elle ? Personnellement, je travaille beaucoup chez moi pour corriger et préparer mes cours. Dans votre vision, cela ne serait pas pris en compte.

    @ Romain : beaucoup de boulot et peu de motivation en ce moment. Cela reviendra peut-être...

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  12. Le ministre Luc Chatel répond, point par point, au micro France Info de Raphaëlle Duchemin, et confirme la signature d’un accord avec les syndicats de principaux et de proviseurs : les salaires des chefs d’établissement intègreront une part variable.

    Primes sur objectifs :

    Le ministre de l’Education confirme sur France Info la signature d’un accord avec les syndicats de chefs d’établissements (proviseurs de lycées et principaux de collèges). Accord qui met en place une prime sur objectifs pouvant aller jusqu’à 6.000 euros tous les trois ans. "Le gouvernement a décidé de développer une rémunération variable liée aux performances de nos cadres, comme cela existe dans l’immense majorité des entreprises de notre pays".

    http://www.france-info.com/chroniques-les-invites-de-france-info-2011-01-25-des-primes-au-merite-versees-aux-chefs-d-etablissement-confirme-511258-81-188.html

    Cette phrase de Luc Chatel sera la phrase la plus importante de l’année 2011 :

    "Le gouvernement a décidé de développer une rémunération variable liée aux performances de nos cadres, comme cela existe dans l’immense majorité des entreprises de notre pays".

    Cette phrase de Luc Chatel résume la "philosophie" de l’UMP : tout doit être privatisé.

    Tout doit devenir une entreprise privée (sauf la Justice, la Police et l’Armée car il faudra réprimer les émeutes).

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  13. Et hop un petit tag en passant : http://polluxe.wordpress.com/2011/01/28/fiscalite-reforme-ou-revolution/

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  14. Cholet : un prof d'italien trouvé sur leboncoin.fr

    Alors que les enseignants étaient appelés à manifester, hier, pour protester contre les suppressions de poste, on a appris que le collège Du Bellay de Cholet était allé chercher sur le site d'annonces entre particuliers leboncoin.fr, à la rubrique « cours particuliers », un remplaçant pour son professeur d'italien en arrêt de maladie.

    Pour faire face à des absences, faute de professeurs remplaçants en nombre suffisant, les chefs d'établissement ont de plus en plus recours à des personnes qui ont les connaissances requises (au minimum une licence), mais sans avoir forcément une pratique pédagogique.

    Pour trouver ces remplaçants, un de leurs interlocuteurs privilégiés est Pôle Emploi. « Nous déposons nos offres directement sur leur site », précise le rectorat de Nantes.

    Le recours au site leboncoin.fr reste exceptionnel.

    http://www.cholet.maville.com/actu/actudet_-Cholet-un-prof-d-italien-trouve-sur-leboncoin.fr_loc-1689495_actu.Htm

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  15. Privilégié, vous dites? alors permettez moi de vous présenter mon blog pendant quelques secondes :
    Comment le Vice-recteur de Nouvelle Calédonie améliore les résultats du brevet (record historique en 2010)? Réponse : En supprimant les profs qui font leur travail. C'est ce qui m'est arrivé l'année dernière, APRÈS SEULEMENT SIX SEMAINES DE COURS, j'ai même été jugé coupable par le tribunal d'appliquer des notes trop basses! C'est à peine croyable mais pourtant tous les documents officiels sont sur mon blog http://profaupiquet.unblog.fr et cette fois-ci l'Éducation Nationale n'a même pas cherché à faire semblant.

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  16. @ Nguyen : votre adresse ne fonctionne pas.

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  17. un ingénieur, un avocat, un medecin travaille bcp plus donc c'est logique qu'ils gagnent un peu plus.
    On ne peut pas tout avoir !
    sinon je vous conseille de faire artiste ou entrepreneur mais c'est nettement plus dure.
    pis pensé aussi aux gens qui font vos vêtements, vos valise...
    car c'est eux qui sont traité comme des merdes. (pas vous)
    faite un tour dans une usine (une vrai) et vous verrez ce que c'est la vie des non privilégiés...
    sécurité de l'emploie, sécu remboursé à 100 pour cent,
    la liste est longue...

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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