jeudi 9 décembre 2010

La tour de Pisa de l'Education nationale penche dangereusement...

Les résultats des études PISA ont déclenché l'habituel cortège de réflexions idéologiquement orientées qui sont criantes de manque d'analyse et d'interprétation (lisez la presse de mardi, et vous verrez). Personnellement, je n'ai nullement été surpris de quoi que ce soit dans ce que j'ai pu lire.

Les enquêtes PISA confirment en effet plusieurs des billets que j'ai pu faire ces derniers mois, et vont à l'encontre de quelques vagues idées qui traînent en France sur le sujet éducatif. En voici une petite liste réduite mais néanmoins importante :

1) Pas besoin de moyens pour réaliser une bonne politique éducative : les résultats de PISA démontrent outrageusement le contraire. L'OCDE avait déjà dit, il y a quelques mois, que les pays qui réussissaient le mieux étaient ceux dont la dépense était la plus forte. En France, l'investissement public et privé dans l'éducation n'a cessé de diminuer depuis 1997. Par contre, si cette condition est importante, elle ne suffit pas. En effet, on peut voir qu'un pays très dépensier comme les Etats-Unis reste dans le milieu de tableau. L'évolution récente des pays asiatiques, qui explosent dans ce classement, montre aussi que le fort investissement qu'ils ont fait ces dernières années est payant, en ciblant leurs efforts et en s'appuyant sur un consensus national visant à s'élever et à se développer.

2) La libéralisation du système éducatif et le libre-choix des parents est une bonne chose pour les résultats globaux : là encore, on peut constater dans ce classement que ce choix est clairement négatif pour les résultats globaux. La Suède a par exemple libéralisé son système en 2000 et on peut voir les résultats : elle s'écroule en 2009 à notre niveau alors qu'elle caracolait en 2000 en haut du classement.

3) la France a l'un des systèmes les plus égalitaires au monde : cette phrase est fausse et tout le monde le sait. La France a des résultats moyens parce que ses bons élèves sont parmi les meilleurs et ses mauvais parmi les plus faibles. C'est la grande faiblesse du système éducatif actuel. La politique de la droite depuis 2002 a creusé les écarts, mais le phénomène existait déjà auparavant. Il a d'ailleurs toujours existé me semble-t-il. On vante souvent le système du début du siècle, qui ne menait au bac que 10% des élèves au début des années 1980. Bel exemple de système profondément égalitaire...

4) Le secteur privé obtient de meilleurs résultats que le secteur public : là encore, nous autres enseignants, savions tous que les meilleurs résultats du privé s'appuyaient sur les publics qui se rendaient dans ces établissements et pas sur les méthodes utilisés. Les analystes de l'OCDE le confirment : à milieu social égal, dans tous les pays étudiés, les secteurs privés et publics obtiennent les mêmes résultats scolaires. Cette question-là est donc un choix de société et n'a rien à voir avec les résultats des enfants.

5) Une discipline stricte et des exigences élevées nuisent à la réussite de tous les enfants : là encore, ce marronnier tombe ! Au contraire, ce sont les systèmes qui s'appuient sur une discipline stricte et qui attendent beaucoup des enfants dans leur ensemble qui ont les meilleurs résultats.

6) Le salaire des enseignants n'a pas d'impact sur les résultats des élèves (ces feignasses ont déjà trop de vacances !) : là, c'est ma surprise de cette étude. Apparemment, de hauts salaires améliorent les résultats des enfants. J'y verrais le résultat d'une considération positive de l'ensemble de la société, qui n'existe que peu en France, alors que le métier est difficile et que le système fait qu'on est de moins en moins heureux de faire notre boulot. Cependant, ce n'est qu'une hypothèse et rien ne la vérifie vraiment.

7) Les évolutions de l'école française doivent s'appuyer sur les résultats de PISA : certainement pas ! Tu vas me dire que je yoyotte, cher lecteur, alors que je viens de déblatérer pendant 20 lignes sur ces résultats. Cependant, je crois qu'un système éducatif performant a deux caractéristiques simples et claires. Il doit d'abord être le résultat d'un projet collectif. En France, l'Education nationale a tellement été attaquée de tout côté ces 30 dernières années que tous ses acteurs vont dans tous les sens, sans comprendre quel est l'objectif global que nous devons atteindre. Pour cela, nous avons besoin que le politique prenne une décision nette, ce qu'il semble bien être incapable de faire. On se limite pour le moment aux mesures techniques. D'autre part, ce projet collectif doit faire l'objet d'un consensus autant de la société française que des personnes qui travaillent dans le système, élèves comme adultes. Là, c'est encore pire. Pourtant, l'école mérite un vrai débat, loin des caricatures récurrentes dans nos médias. Je trouve presque que des élections devraient se jouer uniquement là-dessus.

Si l'ensemble de la collectivité s'entend pour aller dans une direction, les résultats PISA suivront d'eux-mêmes. Si l'objectif est de sélectionner des bons élèves, nous resterons dans le milieu de tableau mais on s'en fichera totalement. Par contre, si notre volonté est d'élever le niveau général, on remontera.

Sortons des caricatures, et mettons sur la table nos points d'accord et nos différences.

Tiens, l'Hérétique me convie à un débat sur le sujet. Je vais réfléchir à ses propositions et je réponds prochainement.

16 commentaires:

  1. Tiens, à propos de ce qui fonctionne... devinez de quoi je vais parler ?
    Des internats d'exception.
    J'ai vu il y a peu un reportage sur le fameux Sourdun, dont nous avions causé l'année dernière.
    Si l'on en croit le reportage (il faudrait avoir plusieurs sons de cloche, mais bon), le projet est réussi. Les élèves de milieu défavorisé qui ont envie de travailler sont contents, les enseignants sont heureux, il y a eu peu d'enfants renvoyés, et la comparaison entre les comportements, attitudes, à l'arrivée et quelques mois après est étonnante. La tenue des élèves a changé: leur maintien, leur langage, leur attitude au travail...
    Les professeurs, tous volontaires, paraissent heureux.
    Des moyens qui n'ont pas été engagés en vain, donc.

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  2. @ Suzanne : mettez-moi avec une classe de 24 gamins tous bon en classe et qui ont envie de travailler, je serai content aussi mais je ne servirai plus à rien. Cet internat ne pouvait pas être un échec. Il illustre juste la réalité de l'Education nationale : un système profondément inégalitaire qui fait de la sélection en permanence.

    Pourquoi pas. Personnellement, ce n'est pas de cela dont j'ai envie pour les gamins.

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  3. Ce n'était pas, à la base, et ça ne l'est toujours pas, une sélection de bons élèves, mais d'enfants volontaires pour progresser et respecter un minimum de discipline. Ce sont tous des enfants de milieu défavorisé. Pas de l'élite d'enfants d'enseignants de "bons" quartiers, arrondissement ou communes.
    Effectivement, ce n'est pas du tout-venant.
    C'est surprenant: quand un établissement obtient de bons résultats, garde longtemps ses enseignants, quand élèves et enseignants se trouvent bien ensemble, c'est louche.
    Ce n'est jamais assez égalitaire.

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  4. @ Suzanne : je sais parfaitement qui va dans ce bahut, on en a déjà parlé.

    Ben non, c'est un établissement qui illustre une politique dominée par la médiocrité. On sauve 100 gamins et on laisse les autres dans la merde. D'autant plus, chez Suzanne, qu'il y en a beaucoup plus que 100 qui ont envie de travailler et de s'y mettre. J'ai 120 élèves dans mon lycée, et je peux vous assurer que 80% d'entre eux ont envie de faire les choses bien.

    Alors, non, c'est nul, je le redis, et sans aucune ambition.

    Mais j'accepte tout à fait que vous en soyez satisfaire. Cela dépend finalement de ce que vous estimez être les buts du système éducatif, je suppose.

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  5. Je voulais dire "que vous en soyez satisfaite".

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  6. Si 80% de vos élèves, dans votre lycée, ont envie de faire les choses bien, et s'y appliquent, mais c'est énorme! Je ne comprends pas alors que vous l'appeliez toujours lycée "dit difficile".

    "ce que vous estimez être les buts du système éducatif,"

    Tout de suite les grands mots!
    Ce que j'estime être le but de l'école, c'est d'instruire les enfants, dans le calme et la bonne humeur si possible.
    Je ne vois pas en quoi il est injuste d'aider des enfants défavorisés. C'est, en quelque sorte, rétablir la balance. Un couple d'enseignants déménagera, changera de commune ou de quartier pour que ses enfants aillent dans une "bonne" école publique. Vous le savez aussi bien que moi. D'autres ne le pourront pas. De toute façon, ça ne concerne qu'une toute petite proportion d'élèves, et ce qu'on leur offre est bien peu, par rapport au gâchis coûteux que représente le parachutage d'enfants difficile en collège ordinaire.

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  7. @ Suzanne : ce n'est pas moi qui le dit difficile, ce sont les autres.

    Sur les enseignants, je suis d'accord avec vous. C'est un privilège de connaissances du système que les profs utilisent abondamment. Cependant, c'est en théorie illégale, alors que Sourdun est une vitrine de la politique en échec du gouvernement.

    Je suis d'accord avec votre but de l'école, même si j'y ajouterais des choses, mais c'est une bonne base de travail.

    Ce qu'il faudrait, c'est offrir à tous les gamins une éducation de qualité.

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  8. Point numéro 4 : tu sais prendre du recul par rapport à un lien de corrélation statistique.

    Point numéro 2 : tu t'y refuses, sans l'avoir étudié, j'imagine que 8 ans d'éducation suédoise ne se résume pas à une simple arrivé du libre-choix.

    D'ailleurs, sur ce libre-choix, une question : si je te montrais que le français moyen n'est pas efficace dans la manière dont il fait ses courses, me laisserais-tu faire les tiennes à ta place ?

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  9. @ AsTeR : je te conseille de lire un billet que j'ai fait sur la question du libre-choix, qui est en réalité impossible et qui aboutit à une sélection des familles par les établissements, et non l'inverse. Quant à la Suède, la corrélation est pourtant intéressante.

    http://lespriviliegiesparlent.blogspot.com/2008/06/inventons-un-march-faussement.html

    D'autre part, tu insinues que c'est à l'Etat de faire mes courses ?

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  10. La corrélation est intéressante, en effet, mais il y a une heure, je regardais un contenu balancé par un certain Criticus sur l'immigration (devines quoi, musulmane) en Suède. J'en suis sûr, son coeur qui pencherait vers une autre hypothèse sur l'explication de la baisse du niveau de l'éducation, elle servirait elle aussi ses idées propres. Quand on appel les faits, on doit les analyser avec précisions et logiques, on trouve souvent les bonnes questions qu'on a ses réponses déjà en tête.

    Pour le fait qu'il s'agisse de fournisseurs qui choisissent leurs clients, ou de clients qui choisissent leur fournisseur... J'appelle toujours ça un marché libre avec accord de gré à gré et j'ai du mal à croire qu'il y ait toujours des avantages à sens unique.

    Ce que j'insinue, c'est que si c'est à l'Etat de choisir où tu envoies tes gosses sous prétexte que sous un marché libre ça se passerait moins bien on peut envisager également que l'Etat fasse tes courses (et les miennes dans la foulée parce que ça m'emmerde toujours un peu de les faire).

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  11. @ AsTeR : cette corrélation avec l'immigration est discutable mais cela ne m'étonne pas qu'on nous ressorte ça. Regarde l'évolution de l'Allemagne, qui, elle, a nettement remonté dans le classement depuis 2000. Or, on ne peut pas dire que ce pays soit sans immigration. En France, il y a des immigrés en masse depuis très longtemps, bien avant 2000 et la baisse des résultats.

    Oui, mais ce n'est pas comme cela que cette réforme a été vendue. Si le fournisseur choisit ses clients, c'est déjà le cas avec la carte scolaire. On met donc en place le même système avec un système de choix encore plus négatif et improductif que le précédent.

    J'estime que l'Etat n'est pas plus mauvais qu'un autre pour faire des choix. Au moins a-t-on la possibilité de vérifier ce qu'il fait, ce qui est loin d'être le cas dans un marché privé. Et personnellement, cela ne me dérangerait pas qu'on aille faire mes courses à ma place.

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  12. Je n'ai pas pris le biais de dire que c'était la faute de l'immigration, juste que la baise du niveau scolaire peu s'expliquer par autre chose qu'un marché libre sur l'éducation. L'article Wikipedia recense d'autres pays pratiquant cette approche, ont-ils eu les même résultats ?

    L'état est plus mauvais qu'un autre pour faire des choix, car dans l'hypothèse où il se trompe il entraine tout le monde dans l'erreur. L'Etat c'est la coercition, le marché libre, c'est des millions de personnes qui font des choix et apprennent en regardant ceux qui s'en sortent mieux... Un seul décideur, une seul référence, pas d'alternative facilement identifiable, c'est un système qui, s'il avance mal, perdure dans l'erreur.

    Sur ce, bonne nuit ;) !

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  13. @ AsTeR : "la baise du niveau scolaire" ? On voit à quoi tu penses à cette heure tardive... :)

    Sur l'Etat, l'avantage est que cet acteur unique peut bouger assez facilement, si on l'y pousse, et corriger ses erreurs. Faire bouger des millions d'acteurs qui font n'importe quoi, c'est moins évident.

    Un marché libre où on apprend par rapport à ceux qui s'en sortent le mieux ??? On ne vit pas dans le même monde.

    Bonne nuit.

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  14. oups ... lapsus ;)

    Un acteur unique ne bouge pas facilement ça s'appelle l'inertie, ça existe dans l'état et dans toutes les grandes organisations. Un grand nombre d'acteur ça bouge très vite dès lors qu'ils en voient l'intérêt (on a par exemple très bien vendu le développement durable aux consommateurs (et cela avant que l'état ne s'en mêle).

    Quand il y a dix personnes qui font la même tâche que toi autour de toi, tu ne regardes jamais ce qu'ils font ? Qui s'en sort le mieux et pourquoi ?

    Bonne journée !

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  15. @ AsTeR : le problème des acteurs multiples, c'est qu'il faut les convaincre de bouger. D'autre part, leurs mouvements sont irrationnels. L'Etat, lui, peut bouger lors des élections, et là, on a tous un moyen de contrôle.

    Sur ton second paragraphe, sache qu'un prof passe son temps à regarder ce que font ses voisins pour comprendre ce qu'ils réussissent mieux. Cependant, cela n'est pas si simple. L'adaptation n'est pas immédiate et n'est très souvent pas identique.

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  16. Les mouvements des acteurs sont rationnels, peut-être pas efficients, mais ils répondent toujours (ou presque à une logique). Les acteurs peuvent avoir des comportements irrationnels, quand les jeux de pouvoirs qui leur sont internes empêchent la cohérence. Mais personnellement, je préfère aller essayer de convaincre un mec de changer de comportement dans la rue qu'un Etat pour ma part.

    L'Etat n'est pas non plus toujours cohérent, rationnel et efficient, il a les même travers qu'un groupe en situation de monopole. Quand au fait qu'il bouge ... les élections françaises sont là plus pour exciter les fantasmes que pour la démocratie.

    Merci pour l'échange en tout cas ;) J'ai toujours un mal certain à comprendre les positions étatistes.

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