jeudi 30 décembre 2010

Par la réforme du bac STI, la France entérine la disparition de son industrie.

En France, on se passionne toujours, lorsqu'on parle d'éducation, sur des sujets touchants les matières générales. Par exemple, la disparition de l'histoire-géographie en terminale scientifique a fait couler beaucoup d'encre durant les mois précédents. On s'intéresse beaucoup moins à toute une série de matières et de disciplines qui concernent plutôt les domaines techniques et industriels. Aujourd'hui, il existe plusieurs bacs techniques et professionnels qui forment à ces voies. Dans les lycées généraux et techniques, on trouve principalement les bacs Science et technologies industrielles (STI) et Sciences et technologies de laboratoire (STL). Ces bacs aboutissent à des formations courtes dans le supérieur et donnent en général de bons débouchés aux élèves qui les choisissent. Ils ont largement participé à la démocratisation du baccalauréat engagée dans les années 1980.

Le bac STI nécessitait une réforme car ses programmes dataient de 1993. Les syndicats enseignants la réclamaient largement et un premier projet était en préparation sous les gouvernements Raffarin puis De Villepin, avec de fortes discussions entre entreprises, gouvernement et syndicats enseignants. Il avait presque abouti mais Xavier Darcos le suspendit brutalement en 2007. A l'époque, nous avions pensé que le ministère allait tout simplement le supprimer, laissant ces formations à l'enseignement professionnel.

Or, dans le cadre de la réforme du lycée, le gouvernement y est revenu, annonçant au début de 2010 la naissance du bac Sciences et technologies Développement Durable (STI2D)... Bon, voici encore le développement durable qui réapparaît et qui encadre le futur de nos ouvriers spécialisés. Actuellement, ce terme figure dans tous les programmes de l'école, à tous les niveaux. A ceux qui croient que l'éducation n'a plus d'objectifs politiques...

Au-delà de ce terme, il est intéressant de regarder ce que contient ce nouveau diplôme qui remplacera la STI le 1er septembre prochain. Tout d'abord, les enseignements généraux sont nettement augmentés (avec l'arrivée de la 2e langue). Surtout, on change totalement l'approche de la partie technique en abandonnant le travail sur machines et en s'appuyant uniquement sur des notions théoriques et de conception. En clair, on met en place un bac qui n'est plus du tout une voie permettant de former des ouvriers très qualifiés mais visant plus précisément à former des concepteurs et des ingénieurs. La formation des ouvriers retombe donc sur le lycée professionnel.

On peut voir clairement l'objectif budgétaire qu'il y a derrière ça : en se passant des ateliers, on fait d'importantes économies, et les régions qui ont construit ces dix dernières années de magnifiques lycées autour de machines flambant neuves vont en être pour leurs frais. Il y a aussi là-dedans de grosses économies de postes et les premières vraies attaques contre les statuts des enseignants, mais je voudrais plutôt souligner autre chose et m'intéresser aux discours des inspecteurs de ces disciplines.

Lorsque ceux-ci présentent le nouveau bac aux enseignants, ils n'y vont pas par quatre chemins et sont très directs : la France ne doit plus former d'ouvriers, même très qualifiés, mais des concepteurs. Nous sommes dans une situation où il est évident que les tâches de fabrication ne se feront plus ici et il devient inutile d'envoyer des jeunes dans le mur en les formant à des métiers qui n'existeront plus dans notre beau pays.

Cette réforme permet de se comprendre trois choses à propos des politiques menées actuellement par notre gouvernement :

  • Tout d'abord, on peut vraiment remettre en cause ce calcul. En effet, les nouveaux pays industrialisées se sont depuis longtemps attaqués à la conception mais ne maîtrisent pas toutes nos techniques industrielles. Se priver de bons ouvriers en s'appuyant sur une organisation du travail déjà dépassée est très risqué. Très vite, nous n'allons plus du tout être les commandants de la production des usines du Sud, mais les concurrents de ces mêmes pays sur des productions industrielles équivalentes aux nôtres. Nous pourrions encore conserver un peu d'avance, mais si nous formons des cerveaux, nous n'aurons plus de bras.
  • Ensuite, cette réforme sépare les parcours possibles pour les jeunes entre le général et le professionnel. Que vont devenir tous ces gamins qui partent aujourd'hui dans le technique s'ils n'ont plus le choix qu'entre du général pur ou du technique très élevé mais forcément difficile, et du professionnel très mal vu dans notre pays ?
  • Enfin, on peut clairement remettre en question les beaux discours de notre président sur la soi-disant réindustrialisation nécessaire de la France. On peut toujours ramener des usines ici, mais si on a plus d'ouvriers très qualifiés à y mettre, quel intérêt ?
En clair, l'Etat a fait un choix fort : la France poursuivra définitivement sa désindustrialisation. On ne peut que s'en étonner et même s'en inquiéter.

Je me demande bien ce qu'en pensent les patrons des entreprises industrielles qui sont encore en France et qui ont choisi d'y rester. Sont-ils informés que les filières qui leur fournissent leurs salariés vont profondément changer ? Cher camarade employeur, il est à craindre que tu sois obligé de délocaliser, même si tu ne le voulais pas.

Étonnante époque...

5 commentaires:

  1. @Mathieu L.

    Sans vouloir faire dans la provocation, il y a un consensus assez clair entre UMP et PS sur la question. Par delà les discours, seuls les actes politiques ainsi que les mesures réellement appliquées permettent de juger.

    A part Montebourg au PS, et Bayrou au Modem, peu de gens ont abordé l'impérieux besoin de réindustrialiser le pays...

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  2. Sans vouloir trop faire mon prof, on dit des machines flambant neuves, et non flambantes neuves.

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  3. Ça serait extremement dommageable pour l'emploi en France si nous devions poursuivre cette désindustrialisation. La productique mécanique devrait être encore un secteur à former par exemple.

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  4. Sur le changement de label du STI en STI2D c'est une proposition d'un syndicat qui "applaudit toujours des deux mains" les propositions du ministère (y compris pour les nouveaux programmes de lycée) sous l'argument que cela serait plus attractif. STI ça fait un peu cambouis vois tu, avec STI2D, tu comprends de suite que cela est plus bucolique...et le ministère d'approuver la proposition...
    allez bonne année!

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  5. @ Fabrice_BM : le PS n'en pense sans doute pas moins, mais il s'avère que c'est l'UMP qui dirige aujourd'hui. Et là, on a des textes officiels et de quoi commenter.

    @ ZapPow : oups ! Merci, c'est corrigé.

    @ Stef : entièrement d'accord. Nos hommes politiques manquent de vision.

    @ vservat : c'est le SGEN ou le SE ?

    Je crains que les élèves ne gobent pas ce truc.

    Bonne année à toi aussi.

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