Suite au drame de Béziers, on a pu voir fleurir dans les médias des interrogations diverses à propos du burn-out des enseignants (barbarisme terrible, et je ne suis pas parvenu à trouver un mot simple en français résumant ce concept : si quelqu'un a une idée). Evidemment, on voyait poindre une certaine forme d'étonnement devant un malaise dans cette profession de privilégiés patentés qui, avec leurs vacances, ne devraient pas être fatigués.
Dans l'esprit populaire, domine souvent l'idée que ces syndromes viennent, dans la plupart des cas, des comportements incontrôlés d'élèves de moins en moins gérables. Nos concitoyens font ainsi preuve d'un masochisme sans borne, puisque ces élèves sont aussi leurs enfants...
Pourtant, ce problème est loin d'être le seul.
Il y quelques années, se trouvait dans mon lycée une collègue particulièrement reconnue par tous les acteurs de l'établissement. Cette collègue faisait preuve d'une inventivité pédagogique évidente, était très sympathique, savait se faire apprécier et, surtout, était littéralement adulée par les élèves dont elle avait la charge. Elle était d'autant plus touchante qu'elle passait son temps à se remettre en question et à venir demander conseil à tous ses collègues, dont, souvent, à certains d'entre eux bien moins capables qu'elle.
A une rentrée, tout a basculé. Après quelques jours de cours, alors qu'elle n'avait pas de classe plus difficile que d'habitude, elle a brusquement éprouvé un sentiment de mal-être terrible. Elle nous disait ne pas parvenir à sortir de chez elle le matin. Si elle y parvenait, elle finissait par faire faire demi-tour à sa voiture sur le chemin du lycée. Elle a fini par demander à son médecin de la mettre en arrêt-maladie, après avoir tout de même pris la peine d'achever toutes ses séquences en cours et d'avoir corrigé au moins un paquet de copies dans chaque classe. Consciencieuse, jusqu'au bout...
Bien évidemment, on s'est tous interrogé, et comme son travail ne semblait pas différent des années précédentes, on a pensé, au début, que cette évolution devait correspondre à une situation personnelle compliquée, dont la très grande majorité d'entre nous ne savait absolument rien. Et puis, nous pensions que la collègue allait tout simplement reprendre après quelques semaines de repos, comme cela pouvait parfois arriver dans notre profession.
Et puis, non, elle n'est pas revenue. Le chef d'établissement a tout fait pour qu'elle puisse faire un retour en douceur et plusieurs collègues ont gardé des contacts avec elle, mais rien n'y a fait. Elle a tout simplement quitté la profession.
Je l'ai recroisé quelques temps plus tard. Bien sûr, elle ne niait pas que ses questionnements personnels avaient eu un impact sur son explosion en vol. Cependant, elle évoqua aussi des raisons strictement professionnelles.
Elle ne supportait plus qu'on passe notre temps à se faire culpabiliser. Dans sa discipline, tous les deux ans, l'inspecteur passait pour indiquer aux collègues qu'il fallait tout reprendre à zéro, que la pédagogie d'il y a deux ans ne servait plus à rien et ne donnait aucun résultat, et qu'il fallait donc tout refaire depuis le début. Ainsi, sérieuse comme elle était, elle remettait tout à plat. Mais ce qui semblait l'ennuyer le plus, c'est qu'elle était obligée, à chaque fois, de remettre en cause des séquences qui avaient bien fonctionné et que les élèves avaient appréciées. Elle en avait développé un fort sentiment de culpabilité, estimant que ce qu'elle croyait être bien n'était en fait que mauvais et que, tous les deux ans, elle était de fait en échec.
Bien sûr, ce cas individuel n'illustre pas les grands nombres, mais il a été pour moi, à l'époque, une révélation de quelque chose d'important. Les individus réagissent tous différemment à des situations identiques, en fonction de multiples facteurs très difficiles à démêler. Les collègues de sa discipline, pourtant soumis à la même logorrhée, ne réagissaient pas de la même manière. Certains refaisaient leurs cours mais sans éprouver de culpabilité, d'autres s'en moquaient comme de l'an 40 et poursuivaient avec les cours qu'ils estimaient efficaces, les derniers piochaient dans les discours de l'inspecteur tout en gardant les points positifs de ce qu'ils faisaient avant.
En clair, il est finalement très compliqué d'imaginer ce qu'une modification de l'environnement de travail peut avoir comme effet sur les salariés. Certains résistent mieux que d'autres à une situation donnée. Contrairement à ce que l'on pense, ce ne sont pas forcément les professeurs visés qui craquent lorsqu'on les met en difficulté. Cette collègue, au strict plan de la réussite des élèves, n'aurait jamais dû partir et quitter le système éducatif.
Tu vas me dire, cher lecteur : "elle ne devait pas être assez solide pour ce job !"
Sans doute.
Mais est-il normal qu'une personne fragile, par ailleurs très douée, soit broyée par le système ainsi ? Est-il normal que les élèves ne puissent plus profiter de la qualité de son travail, celle-ci ayant sûrement été issue aussi de sa fragilité ?
Je ne le crois pas.
PS : après relecture de ce texte, j'ai du mal à capter mon propre propos politique dans cette affaire. Cependant, je souhaitais partager cette histoire avec toi, cher lecteur. Je reviens un autre jour avec des textes plus politiques et, je l'espère, plus clairs.
épuisement ?
RépondreSupprimer@ Fabrice : épuisement est trop large, non, par rapport à la question du travail.
RépondreSupprimerSur internet, j'ai trouvé "syndrome d'épuisement professionnel", mais c'est un peu long.
Il est assez magnifique et juste ce billet.
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il y a, ou non, un propos politique à ton billet. Mais la souffrance au travail est quelque chose qui est global. Et c'est un fléau qui est totalement et oublié, des politiques, mais aussi des syndicats...
Surmenage, je dirais.
RépondreSupprimerD'accord avec FalconHill : au-delà de la question des méthodes de l'Education Nationale, c'est bien celle de la souffrance au travail et de sa prise en compte qui est posée.
Politiquement cela signifie accorder autant d'attention aux travailleurs eux-mêmes qu'aux résultats.
@ Mathieu
RépondreSupprimerC'est l'utilisation du mot qui est habituellement trop large, rien ne t'interdit de l'utiliser à bon escient ;)
Sinon tu peux aussi tenter le néologisme labopsychovocitude ?
@ Faucon
En tant que syndicaliste "cadre" je ne me reconnais absolument pas dans tes propos : 70% de mes activités syndicales sont en direction d'une prévention du burn out chez les collègues.
@ Faucon : merci pour les compliments.
RépondreSupprimerDans l'EN, les syndicats s'intéressent beaucoup à ce sujet en ce moment. En plus, c'est là-dessus qu'ils interviennent le plus, finalement, dans le traitement de dossiers individuels.
@ Anonyme : surmenage, pourquoi pas, mais je trouve qu'il y a l'idée d'un trop de travail, ce qui n'est pas forcément le cas.
@ Fabrice : c'est vrai, il faut toujours se réapproprier le vocabulaire.
Par contre, ton invention, là, bof...
« Elle était d'autant plus touchante qu'elle passait son temps à se remettre en question et à venir demander conseil à tous ses collègues, dont, souvent, à certains d'entre eux bien moins capables qu'elle. »
RépondreSupprimerCe qui m'étonne c'est que, ayant énoncé ces prémisses, vous éprouviez des difficultés à en tirer un diagnostic. cela étant, ce billet est particulièrement intéressant (beaucoup plus que ceux plus “clairs” et plus “politiques”, justement parce que vous ne pouvez pas, ne pouvez plus vous contenter d'ânonner des slogans, et que l'on vous sent réellement désemparé face à ce gros point d'interrogation… qui restera point d'interrogation tant que vous ne remonterez pas à la source (ou aux sources) du problème. Mais on dirait que vous êtes en bonne voie.
@ Didier : ce n'est pas parce que je constate des phénomènes comme vous que nous irons aux mêmes conclusions. Cependant, cela pourrait arriver : vous ne dites pas que des inepsies...
RépondreSupprimerOh mais je n'ai pas de conclusions, n'ayant pas la science infuse ! Et je ne vous demanderais certainement pas d'adopter mes conclusions si j'avais l'outrecuidance d'en émettre quelques-unes.
RépondreSupprimerSimplement, je note que vous semblez déjà savoir quelles conclusions vous tirerez (ou ne tirerez pas), alors même que vous ne faites que commencer ce chemin de croix consistant à remonter des effets aux causes, puis des causes aux causes de ces causes, etc. : pas très scientifique, comme esprit…
@ Didier : non, je n'ai pas de conclusions. Quelques idées peut-être, mais de toute façon, un scientifique ne peut rien sortir d'un cas unique et individuel. Je n'ai tout simplement pas les moyens d'en émettre, même dans ce cas précis.
RépondreSupprimerLa cramouille, dérivé de cramure, du verbe cramer.
RépondreSupprimerJ'attendais tout au long de la lecture le moment où tu attaquerais le gouvernement pour avoir coupé des postes et délétigimisé le métier d'enseignant, mais non...
Je pense qu'il est difficile de tirer des conclusions au sujet du burn-out, chaque cas ayant sa propre vérité. Les problèmes personnels, professionnels se mêlent pour aboutir au point de non retour.
@ Manuel
RépondreSupprimerEn digne brigadier mondain Didier saura t'expliquer ce qu'est une cramouille....
@ Manuel : cramouille, c'est déjà pris.
RépondreSupprimerJ'aurais parlé de tout cela si cette collègue l'avait fait.
Psychologie de comptoir : cette collègue manquait de confiance en ses qualités, ce qui la poussait :
RépondreSupprimer- à faire les choses du mieux qu'elle pouvait (pour compenser ses "faiblesses" supposées)
- à demander de l'aide à n'importe qui
- à prendre au sérieux les consignes ineptes de ses supérieurs hiérarchiques.
Dans ce métier, ceux qui vont le plus loin, c'est ceux qui sont sûrs d'eux, même quand ils se trompent (ou même quand ils s'en contref...tent)
@ Thierry : ta conclusion n'est pas très rassurante...
RépondreSupprimerLe burn-out n'est pas le surmenage qui implique un trop-plein de travail et laisse entendre le côté éventuellement transitoire. Il s'agit d'épuisement professionnel, assez souvent irréversible semble-t-il, et lié à un investissement professionnel qui relève de la dévotion, l'addiction. Mentalité du sauveur, difficulté à déléguer, à se détendre.
RépondreSupprimerDifficile de trouver un mot en français.
@ Emma : je suis assez d'accord sur surmenage. C'est ce que j'écrivais plus haut. En effet, notre langue n'a pas l'air d'avoir un équivalent simple.
RépondreSupprimerBon et toi tu burn out ou t'es un costaud?
RépondreSupprimer@ Manuel : approche-toi, tu vas voir que je suis costaud.
RépondreSupprimerCombustion spontanée ?
RépondreSupprimerJe ne plaisante pas, hélas...