lundi 25 février 2013

Rythmes scolaires : les enseignants peuvent-ils encore communiquer en France ?

La situation de la réforme des rythmes scolaires dans le premier degré illustre les difficultés de plus en plus grandes dans lesquelles se trouvent les enseignants pour faire passer un quelconque message positif.

Lorsque Vincent Peillon a décidé de poursuivre la réforme des rythmes entamée par son prédécesseur, il était évident que le sujet serait très glissant. Il touche en effet de nombreuses personnes et de nombreux acteurs de notre société :
  • les parents qui doivent réadapter leurs emplois du temps,
  • les profs qui doivent changer leurs modes de vie, mais aussi tous les autres personnels travaillant dans les écoles,
  • les communes qui doivent éventuellement embaucher et/ou débaucher du personnel pour la semaine et pour les périodes de vacances,
  • les associations et clubs sportifs, les groupes d'activité artistique, les religieux qui font du cathé... : beaucoup d'entre eux voyaient les gamins les mercredis,
  • les entreprises du tourisme, si jamais on touche aux vacances et à leurs durées...
En clair, c'est très compliqué. Et sur ce sujet-là, personne, parmi les spécialistes auto-proclamés ou pas, n'est vraiment d'accord. Je l'avais déjà évoqué dans ce billet, et je ne vais pas y revenir.

De toute façon, le ministre, même s'il vient de se relancer sur la question des vacances, a finalement adopté une réforme a minima (redéployer une partie des heures de cours sur une matinée de plus, sans augmenter le temps effectif de cours ni toucher aux vacances). Il doit pour cela obliger les communes à embaucher des personnels. Certaines vont sûrement fermer les écoles plus tôt ou les ouvrir plus tard.

Globalement, pour résumer très schématiquement, les gamins vont avoir le même temps de cours (24 heures par semaine) contre 27 avant la réforme Chatel, mais avec une demi-journée de plus dans la semaine. Le temps dégagé sera occupé par les communes, qui feront ce qu'elles pourront.

Ayant pas mal de professeurs des écoles dans mon entourage, j'ai pu entendre des réactions très diverses. D'abord, avant les annonces, j'avais trouvé que les collègues n'étaient pas forcément mécontents de retravailler une demi-journée de plus, car les cours du samedi matin se passaient souvent très bien. La division apparaît plutôt sur la demi-journée à choisir : dans mes connaissances, un tiers sont pour le samedi et deux tiers pour le mercredi, mais c'est très schématique, parce que cela porte sur six personnes...

Par contre, l'arrivée des communes dans le temps scolaire obligatoire est très mal vécue, car cela va avoir des conséquences lourdes de deux façons différentes :
  1. d'abord, le principe est gênant, car, de fait, les enfants de tout le pays vont voir arriver tout et n'importe quoi, parfois de très bonnes choses, parfois n'importe quoi. Les collègues auraient souvent préféré revenir à 27 heures dans ce cas (le programme est très dur à tenir en 24h)...
  2. ...car les communes vont souvent mettre ces activités en place sur la pause de midi. En effet, elles avaient déjà des personnels pour surveiller les cantines sur ces moments-là. Elles ne seraient donc pas obligées d'embaucher. Par contre, les profs resteront toujours autant de temps (mais avec 2h15 libérées le midi au lieu de 1h30), ce qui fait qu'ils resteront autant de temps qu'aujourd'hui à l'école les quatre jours de la semaine, et il faudra y ajouter les trois heures de la demi-journée supplémentaire.
Personnellement, je pense que ce type de réforme aurait pu passer si les collègues pensaient que les gamins y gagneraient des choses. C'est l'avantage de la grande majorité des fonctionnaires : n'ayant pas le profit comme appât, nous sommes heureux quand le service est bien rendu. On pourrait donc faire passer une réforme allongeant le temps de travail, même si c'était difficilement, avec l'idée derrière d'un travail mieux fait.

Avec cette réforme, les profs des écoles pensent que les conditions d'enseignement ne changeront pas, que la qualité de l'enseignement ne sera modifiée qu'à la marge (programmes identiques, temps identiques, personnels identiques...), qu'ils resteront plus longtemps à l'école (autant les quatre jours + trois heures le mercredi) et que les gamins, pendant ce temps, feront un peu tout et n'importe quoi avec les personnels des communes.

Ce qui ressort de cette réforme, c'est que le gouvernement pense résolument, sans que je comprenne bien pourquoi, que les collectivités territoriales sont les solutions à tous les problèmes du système éducatif. J'en reparlerai.

Reste que les grèves sont arrivées, et qu'elles ont été très bien suivies, bien plus que sous Sarkozy. Les syndicats ont diffusé deux types de messages : soit il ne faut rien changer (FO, SUD, CGT), soit qu'il faut faire la réforme mais en mieux (SNUIpp-FSU, certaines sections du SE-UNSA). Globalement, ce dernier message n'est pas passé dans les médias.

Ceux-ci, imbus de leurs idées anti-profs nantis, ont répercuté une seule idée : les profs se fichent des gamins et ne veulent simplement pas bosser plus. Et bien sûr, plutôt que d'aller interviewer des personnes qui réfléchissent à tout cela et qui ont des pensées nuancées, on va pêcher n'importe quel guignol dans une manifestation, on coupe l'interview pour qu'on entende simplement "touchez pas à mon mercredi !", et pendant que le pays s'effondre dans le marasme, on construit la vision d'un monde éducatif arc-bouté sur le temps de travail, sans aucune réflexion derrière et qui se moque de la situation des autres citoyens de ce pays.

Les médias ont été pitoyables, et les politiques pourtant de gauche au pouvoir aussi, avec des gens qui ont pourtant voté François Hollande à 75% au premier tour.

Globalement, ce qui ressort tout de même, c'est que les syndicats des profs du premier degré, pourtant mieux vu en général que ceux du second, n'arrivent pas à faire passer un quelconque message à travers le plafond de verre des médias.

Un dernier point : le SNUIpp-FSU, syndicat majoritaire, ne voulait pas faire grève sur ce sujet, justement à cause du piège médiatique potentiel et des risques pour l'image des collègues. Cela démontre bien les difficultés pour les syndicats, même pour les plus gros, de communiquer. Or, il y a été forcé par sa base. Des copains du SNU m'ont raconté que les AG avec les personnels avaient été très tendues, et qu'ils auraient eu de gros problèmes s'ils n'avaient pas choisi d'appeler.

En ce moment, on peut vraiment dire que l'on se mord la queue...

5 commentaires:

  1. Tres bon billet merci (un parent un peu paumé)

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  2. J'ai fait un petit billet moi aussi:
    http://renovitude.net/?p=5899

    Bonne journée le privilégié et bravo pour ce billet complet sur le sujet

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  3. Mathieu, il n'y a pas que les interviews coupes des manifestants, mais aussi les banderoles coupées et les slogans coupés aussi alors j'imagine.
    Je ne suis vraiment pas bien placé pour en parler, n’étant ni parent, ni prof, mais j'ai vraiment beaucoup de mal a croire en la dévotion complètement détachée de toute revendication personnelle que tu décris chez les profs aujourd'hui.

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    1. D'un autre côté, tu as toujours considéré qu'un individu ne pouvait qu'être mené par des intérêts strictement et purement personnels. Cela ne m'étonne donc pas.

      Après, je n'ai pas dit que tous les profs ne pensaient pas comme tu le dis. Il y en a, évidemment, avec le discours suivant : "fait chier, je fais un boulot dur, et on m'oblige à venir trois heures de plus et une demi-journée de plus sans aucune considération supplémentaire." J'ai entendu ce discours-là dans la manif du 12 février.

      Ce que je sais, c'est que dès la réforme Chatel faite, ils pensaient tous qu'on reviendrait très vite à 4,5 journées. Ce qui les gonfle dans le projet actuel, c'est qu'ils seront 35 heures à l'école au lieu de 32 avant (avec les mêmes cours à préparer par ailleurs), alors que les gamins n'auront toujours que 24 heures de cours effectives.

      Après, s'il fallait encore nuancer, je te dirais que plusieurs communes ne vont rien mettre en place. Dans la commune où travaille ma conjointe, le maire semble s'orienter vers une ouverture plus tardive des écoles (9h15 contre 8h30), histoire de ne pas embaucher. Tu imagines un peu le bordel pour tous les gens (ils sont nombreux dans mon coin) qui partent au boulot bien plus tôt ?

      Personnellement, j'étais pour le retour à 27h, pour le samedi matin (sous influence de ma conjointe qui dit toujours que les gamins étaient supers ce jour-là) et pour une réduction des vacances qui auraient pu permettre d'étaler plus les cours en semaine (pour une demi-heure de cours par jour en moins, cela fait deux semaines de vacances, soit une semaine en août et une en février par exemple). Dommage que le gouvernement n'ait pas choisi cette voie...

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