jeudi 21 juillet 2011

Désaffection des concours d'enseignement : quelques éléments complémentaires.

Laurent, dans un billet récent, s'est lancé dans une tentative d'analyse de la faible participation des étudiants aux concours d'enseignement de cette année. Il conclut sur une désaffection réelle à l'égard du métier et propose quelques pistes pour tenter de corriger le problème. Il loupe pourtant, à mon sens, les causes très récentes mais réelles de cet effondrement.

En effet, les chiffres sont spectaculaires. Malgré les suppressions de postes, l'Education nationale a été obligée d'embaucher moins que nécessaire pour maintenir le niveau des nouveaux enseignants. Il manque donc un tiers des profs nécessaires pour l'année prochaine. Laurent pointe certains facteurs, mais pas tous.

Certes, je l'ai dit de nombreuses fois sur ce blog, le métier est difficile et à eu tendance à se durcir. Cependant, ce n'est pas directement à cause des élèves. Etant prof depuis dix ans maintenant dans des établissements dit difficiles, il est clair que le comportement des élèves reste équivalent. Par contre, les conditions d'exercice du métier se sont dégradées indéniablement, du fait de la politique de réduction des dépenses. Il ne faut pas oublier, cher lecteur, que la dépense publique d'éducation a baissé régulièrement depuis les années 1990 et que, si l'Etat s'endette aujourd'hui, ce n'est pas en augmentant l'investissement dans l'éducation ! L'impact des suppressions se marque par la hausse du nombre d'heures supplémentaires exigé (de plus en plus par la pression de la hiérarchie), l'augmentation du nombre d'élèves par classe et la multiplication de missions souvent sans intérêt, allant largement au-delà de la mission de base de l'enseignant (enseigner, hein, faut-il le rappeler ?). Cependant, cela a-t-il un impact sur les vocations ?

Je ne le crois pas. Lorsque j'ai passé les concours, il y a dix ans, la difficulté du travail dans l'Education nationale était déjà un marronnier. Pourtant, à l'époque, pour 1 200 postes au CAPES d'histoire-géographie, il y avait 10 000 candidats inscrits contre 3 000 cette année. De même, la question salariale était déjà sur la table. Il faut d'ailleurs relativiser la question de la paie. Certes, le pouvoir d'achat s'érode régulièrement (un tiers de moins depuis 1980 et 10% depuis 2000) et il est de plus en plus difficile pour un jeune prof de vivre en région parisienne, mais tout de même, dans la majorité des régions françaises, débuter avec un salaire de 1 500 € par mois vous met déjà dans la moitié haute de la société. Personnellement, étant à l'échelon 7 de l'agrégation, je touche 2 500 € par mois, ce qui me place parmi les 20% des Français qui gagnent le plus... D'autre part, les vacances et la sécurité de l'emploi restent de forts leviers d'attractivité.

Alors, que se passe-t-il ? Laurent oublie une réforme très importante initiée Xavier Darcos et mise en musique par Luc Chatel : la réforme de la formation des enseignants. Pour résumer très rapidement :

  • les profs sont maintenant recrutés à BAC+5, soit au niveau master 2, ce qui implique que les étudiants financent sur leurs propres deniers deux années d'étude supplémentaires,
  • et là, ils n'ont plus de formation professionnelle et doivent directement enseigner, souvent dans les académies les plus difficiles, comme Créteil qui va encore accueillir l'année prochaine plus de 800 stagiaires,
  • et, malgré cette hausse du niveau de recrutement, le salaire n'a pas augmenté. Le gouvernement a simplement tassé les premiers échelons du statut pour simuler une augmentation de salaire qui n'aboutit pas ensuite. En clair, un agrégé masterisé à mon échelon gagnera exactement la même chose que moi, alors qu'il aura dû étudier deux ans de plus...
  • Il faut ajouter que cette nouvelle organisation du recrutement brise complètement le lien avec la recherche universitaire. Les étudiants devant préparer les concours et le master en même temps, ils ne s'investissent plus dans la recherche, et les universités sont d'ailleurs en train de mettre en place des masters dit enseignement.
Dans la plupart des cas, les étudiants réfléchissent et arbitrent. Il n'y a plus d'intérêt pour eux à faire encore deux ans d'étude pour avoir la même chose qu'avant, voire pire. Dans les disciplines, comme les mathématiques, où de nombreux débouchés existent, l'impact est immédiat. Il existe aussi en histoire où les débouchés sont faibles ailleurs.

En dehors de ce que Laurent a indiqué, il faut donc reprendre à zéro cette réforme pour ramener les jeunes vers ce métier. De nombreuses pistes sont possibles. Une contre-réforme devrait allier, pour moi, une hausse du niveau de recrutement, une formation professionnelle réelle et un lien fort avec l'université. J'y reviendrai dans un prochain billet.

Reste à comprendre ce que le gouvernement veut avec cette réforme. En fait, cher lecteur, les adultes seront bien là l'année prochaine devant les élèves. Ce seront des étudiants sortant de licence et qui seront embauchés sur contrat précaire, voire bientôt sur CDI, voire des profs de disciplines supprimées reconvertis. Ils seront encore moins bien payés que les titulaires, n'auront pas de formation et auront l'avantage pour l'Education nationale d'être corvéable et de ne pas embêter le monde à faire grève tout le temps. L'objectif visé derrière est le statut de fonctionnaire des enseignants. Tiens, cela aussi, il faut que j'y revienne, mais ce sera pour une autre fois.

10 commentaires:

  1. Bonjour,


    je suis tout à fait d'accord avec ton analyse. j'aurais une chose à ajouter au sujet de la réforme de formation des enseignants.

    A mon avis, elle détruit toute reconnaissance du métier d'enseignant. Car elle officialise définitivement le principe suivant : n'importe qui qui a la connaissance ( de niveau suffisant et même trop ) est habilité par l'Etat à enseigner. La formation de niveau BAC+5 des futurs profs ne comporte aucune notion indispensable pour enseigner: la didactique, la psychologie, etc. Et les concours de recrutement n'évaluent que les connaissances disciplinaires et pas les connaissances ni les aptitudes pédagogiques. L'Etat prétend ainsi publiquement que l'enseignement n'est pas un métier à part entière, qu'il n'y a pas de savoir faire spécifique à avoir pour enseigner. Et je trouve cela scandaleux!

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  2. @ Anya : je suis tout à fait d'accord et je comptais aborder ces sujets dans de futurs billets. Je crois que je vais rebloguer un peu.

    @ Gaël : merci beaucoup.

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  3. je connais un peu le pb : ds mes proches 2 personnes ont passé ce concours ; l'un l'a raté 3 fois dont une fois à cause de l'épreuve de danse (motivation+++ pourtant )et l'autre l'a réussi,a fait une année de stage en milieu rural (sans contrôle ou aide)s'est fait inspecter à 3 jours de la sortie et s'est fait renvoyer sans raison valable après cette inspection.
    je trouve scandaleux de sélectionner à 10% de reçus des gens à bac+5 en médecine c'est la même statistique ; le seul avantage c'est qu'on sélectionne à bac +1 ou 2

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  4. Erreur : les futurs profs n'ont pas à financer deux années d'études supplémentaires, mais une. L'ancien concours se passait l'année suivant la licence (= bac +4), le présent se passe l'année du M2 (= bac + 5).
    Non que je veuille défendre les nouveaux concours de recrutement, mais il me paraît important de ne pas véhiculer d'idées fausses.
    Autre remarque : toutes connaissances en didactique et psychologie sont lettres mortes si elles ne sont avant tout accompagnées d'un solide savoir universitaire. Le professeur, pour maîtriser son enseignement doit avant tout maîtriser son savoir disciplinaire.

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  5. @ Clairette : je conteste. L'ancien concours se passait certes en année 4, mais il n'aboutissait pas sur un grade universitaire. Le CAPES, mais peut-être me trompe-je, n'a pas de valeur universitaire. Il y a donc bien deux années d'étude supplémentaires, puisque l'étudiant obtient, en fin d'année 5, un grade universitaire. Par contre, pour l'agrégation, il est vrai qu'il n'y a qu'une année, même si le futur agrégé doit avoir obtenu son master avant de passer le concours, ce qui l'amène à entrer dans le corps à la fin de l'année 6.

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  6. Et surtout, ce passage du concours en 2ème année de Master fragilise les étudiants en situation précaire. Ainsi, la licence de musicologie peut se préparer à distance par le CNED, et le capes pouvait l'être aussi. On pouvait donc faire toutes ses études en travaillant, et dans des conditions correctes. Au contraire, pour le master, on est désormais obligé de s'inscrire dans une université et d'aller aux cours en présentiel. Du coup, ce n'est plus possible de travailler. Alors je sais bien qu'ils ont créé des bourses spéciales concours enseignants pour motiver les gens, mais est-ce une bonne chose ?

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  7. @ Anonyme : ces bourses sont largement insuffisantes. Il faudrait à terme un prérecrutement, sur le modèle des anciennes écoles normales, pour que des étudiants venant des milieux populaires puissent accéder au métier.

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  8. et vous oubliez un autre grave problème, chers collègues prof : l'attitude ABJECTE de l'institution "éducative" (rectorats, ministère, hiérarchie diverse et variée, archaïque et de type paramilitaire) à l'égard des prof ; autorité des prof sabotée par la hiérarchie elle-même, élèves-voyous dont le comportement est assez souvent couvert (quand il n'est pas carrément encouragé) par cette hiérarchie, qui est très très loin d'apporter aux prof la protection qu'elle leur doit (surtout quand elle peut, justement, encourager les dérapages d'élèves contre les prof qu'elle "a dans le nez"!! Quand elle ne pousse pas elle-même certains prof au suicide, et ce, en toute impunité) Inutile de donner des détails, je pense... Alors, va-t-on faire semblant de s'étonner de cette absence d'envie d'étudiants ayant un minimum de bon sens, d'entrer là-dedans ?...

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  9. Dire que l'administration ne nous soutient pas, je veux bien. Dire qu'elle pousse des collègues au suicide, je n'irai pas jusque là.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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