dimanche 17 août 2008

Deux points de vue idéologiques sur les dépenses de santé.

Je suis en ce moment, cher lecteur, dans la capitale espagnole, où il fait une chaleur élevée. Nous mettant au rythme de vie local, nous sommes revenus nous planquer dans notre logement pour les quelques heures de grosse chaleur, en attendant de pouvoir continuer nos visites touristiques. Pendant que ma conjointe sommeille tranquillement, j'ai fait un petit tour d'horizon des blogs pour voir ce que je n'aurai pas pu lire dans mes étapes précédentes. J'ai découvert avec intérêt un article de Malakine sur les dépenses de santé de la Sécurité sociale. L'auteur tente d'y trouver des pistes pour continuer à soutenir le système sans pour autant le démanteler. Sa priorité est de payer les retraites, et il propose de freiner la hausse des dépenses de santé en modifiant les méthodes médicales et la conception des soins. La démarche est intéressante, même si je suis très loin d'en partager tous les aspects. Il y a une chose à laquelle j'adhère, qui est de considérer que la hausse des dépenses n'est pas liée qu'au vieillissement, mais aussi à une dégradation du fonctionnement de notre société.

J'ai cependant envie de revenir avec toi sur deux affirmations que fait le sieur Malakine, et qui me semble typique d'une analyse problématique de cette question. La première est la suivante :

"Je ne me suis jamais expliqué pourquoi on était si attaché à l’idée de soins gratuits. On trouve normal de payer son alimentation, son chauffage, son coiffeur, ses chaussures – des besoins pourtant fondamentaux – mais on trouve inadmissible d’avoir à payer le moindre euro pour se faire soigner une dent ou pour l’achat de quelques remèdes !! On trouve même normal d’aller chez le médecin, juste pour une ordonnance permettant d’avoir gratuitement ce qu’on avait envie de s’acheter."

En fait, je ne comprends pas cette affirmation. Il est vrai que nous sommes remboursés d'une partie de nos soins, mais, contrairement à ce que semble affirmer l'auteur, nous payons bel et bien. En reprenant ta fiche de paie, tu verras, cher lecteur intrigué, qu'il existe une case salaire brut et une case salaire net. Économiquement, tu touches le salaire brut, sur lequel est prélevé l'ensemble des cotisations sociales. On aboutit ainsi au salaire net. Souvent, tu ajoutes une mutuelle qui te couvre plus ou moins bien, et c'est à déduire du salaire net. Enfin, certains soins sont très mal remboursés, même avec les mutuelles : je ne sais pas si tu t'es déjà équipé d'une paire de lunettes par exemple, mais la Sécu ne rembourse rien là-dessus, et tu dois alors puiser dans ton épargne, si tu peux seulement le faire... Au total, il faut sortir de cette affirmation permanente que la santé est gratuite en France. Là-dessus, les libéraux durs ont une analyse plus cohérente, puisqu'ils souhaitent que chaque citoyen décide de cotiser ou pas. Nous payons donc, et nos employeurs avec nous ! Dans mon cas, le total est une différence de 650 €, chaque mois. Il ne me semble pas que "gratuité" soit le terme approprié.

Le problème est d'ailleurs aussi la manière dont les cotisations sont prélevées. Aujourd'hui, seuls les entreprises et les salariés financent, et l'Etat comble le trou. Toute une série de revenus ne participent pas à l'effort général pour la santé (les loyers, les dividendes...) et on pourrait les y ajouter, et réduire un peu la part des salaires dans tout cela. Le problème n'est donc pas que la santé est gratuite, mais bien au contraire qu'elle est payante et que son coût est très mal réparti. Pourtant, je suis très conscient que le jour où j'aurai une maladie grave, la Sécu paiera les 100 000 € de l'opération, alors que je ne continuerai à payer que 650 € par mois. Ouf !


Une seconde affirmation de Malakine mérite d'être soulignée :

"Tant qu’on les laissera dans l’illusion qu’ils ne sont jamais en rien responsables de quelque trouble que ce soit."

Malakine parle ainsi des usagers et estime que les soins doivent être prodigués en amont en apprenant aux citoyens des modes de vie permettant d'éviter en partie les maladies. Cette vision pourrait être tout à fait acceptable, mais elle est assez encadrante pour l'individu et réduit forcément la liberté de ses modes de vie. En plus, elle institue de fait une différenciation entre les pathologies que l'on contracte parce qu'on a des modes de vie problématique, et celles qui sont liées au hasard.

A terme, cette vision met en avant la création d'un système-double dans lequel la collectivité prendrait en charge les pathologies acquises sans responsabilité et celles acquises avec. Je vais essayer de te donner des exemples.

Par exemple, j'attrape une bronchite durant l'hiver. Cette maladie nécessite des antibiotiques, et je vais donc voir mon médecin. Celui-ci devra-t-il déterminer si j'ai attrapé cette maladie parce que je ne me suis pas assez couvert ou simplement par hasard ? Et s'il décide que c'est de ma faute, pourquoi est-ce que je ne ferai pas un procès pour contester son jugement ?

Autre exemple : je contracte le VIH, parce qu'une fois, j'ai eu un rapport non protégé. C'est de ma faute, à l'évidence, mais, emporté par le moment, j'ai fait une erreur. La Sécu décide de ne pas me couvrir, considérant que cette maladie relève du privé car j'en suis en partie responsable. Me voilà donc sanctionné pour une seule erreur, avec un brin de moralité un peu nauséabonde derrière de surcroît ? Immédiatement, je ferai un procès en arguant du fait que ce n'est arrivé qu'une fois et que je ne dois pas être sanctionné de la sorte. Et pourquoi ne pas faire payer mes soins à l'assurance de ma compagne de ce rapport qui n'a pas exigé le préservatif et qui m'a refilé une maladie plus que dangereuse ?

Bon, je sais, ce n'est pas cela que Malakine propose, mais la question de la responsabilité me semble entraîner à ce type de système kafkaïen, qui existe d'ailleurs dans l'assurance des biens mobiliers, mais qui ne fera, pour la santé, que freiner les soins et provoquer plus de dépenses au final.

Comment résoudre la question ? Pour moi, les choses sont simples : la maladie ou l'accident sont des risques inhérents à la vie. Soit on décide que chacun doit le prendre en charge et on supprime la Sécu, mais on évacue aussi la question de la responsabilité, et les assurances et mutuelles paient lorsqu'elles le doivent : elles ne pourront pas le faire à terme, car elles ne peuvent aller au déficit et doivent aussi assurer, pour les assurances, les profits de leurs actionnaires. Soit on socialise le risque, tout le monde paie, et on oublie la question de la responsabilité, qui ne risque que de créer des conflits et des dépenses. Personnellement, je suis pour la deuxième solution qui a l'avantage de sortir la question des profits du problème, mais c'est mon choix idéologique personnel. Évidemment, cela a un coût, mais contrairement à Malakine, je pense qu'il en vaut la peine, même si certaines des propositions qu'il avance valent le coup d'être retenues.

4 commentaires:

  1. La question de la responsabilité reste néanmoins intéressante. Je ne pense pas qu'il faille la cantonner à "pourquoi on a contracté telle ou telle maladie".
    Si c'était le cas, ça serait le petit bout de la lorgnette.

    J'observe des comportements irresponsables vis à vis de l'assurance maladie.
    C'est en partie dû à la conception "libre service" du système de soins.
    Je m'explique : très peu d'assurés font plusieurs devis lorsqu'ils ont des soins importants et chers à faire faire ; combien connaissent le réseau fédéral mutualiste ? ; combien connaissent exactement combien ils paient pour la Sécu et pour leur mutuelle ? (j'ai découvert à l'occasion d'une réunion mutualiste, que quasiment aucun de mes collègues ne savait à quelle garantie d'invalidité ils cotisaient !! alors que la différence financière en plus est très importante) ; lorsqu'on l'on est au tiers payant, à la pharmacie, est ce qu'on sait vraiment combien on "paie" ?? cad le montant de la facture ? peu s'en préoccupent, et le relevé de remboursement arrive tellement tard, n'importe comment ...

    C'est là où tout de même, je trouve que l'introduction de la notion de responsabilité pour les assurés est impérative.
    L'assuré social a été transformé (pour son confort d'esprit et par paresse intellectuelle) en consommateur ignorant des coûts réels.
    C'est dommage.

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  2. @ Audine : je crois que nous ne parlons pas exactement de la même chose. Tu évoques le comportement des usagers face à l'assurance-maladie. Moi, j'évoque la responsabilité des individus face aux affections qui les frappent.

    Je n'ai pas dit non plus que les citoyens étaient informés que la Sécu coûtait chère, et qu'ils en avaient conscience. Je dis juste qu'il est fallacieux de prétendre dans un article de blog, relativement sérieux par ailleurs, que c'est gratuit ! Au contraire, il faut rappeler aux gens que ce n'est pas le cas, ce que j'essaie de faire ici.

    A bientôt,

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  3. Oui je suis d'accord avec toi, notamment sur la dernière phrase.

    J'avais simplement réagi sur la notion de "responsabilité".
    Je pense aussi qu'il est malsain de "responsabiliser" les individus sur leurs maladies : dans ce cas là, ça s'appelle surtout culpabilisation ...

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  4. Tout à fait d'accord avec toi. Merci de m'avoir permis de préciser les choses.

    A bientôt,

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