mercredi 23 avril 2008

Supprimer 11200 postes dans l'Education nationale: pourquoi est-ce un problème?

Nicolas Sarkozy l'avait annoncé, il le fait: il faut dégraisser la fonction publique au maximum de nos possibilités. En effet, alors que le déficit public s'enfonce dans les tréfonds des abysses, notre État a besoin de liquidités pour financer les multiples aides et cadeaux fiscaux que la majorité actuelle a mis en place ou qu'elle continue de financer. Comme il est hors de question pour une majorité de droite d'envisager frontalement une hausse de la fiscalité, le jeu sur la masse salariale est un des moyens possibles pour tenter de comprimer les coûts.

Dans l'Education Nationale, cette politique se traduit par la suppression de 11200 postes à la rentrée 2008. Je voudrai tenter d'expliquer pourquoi ces suppressions commencent à poser de réels problèmes de fonctionnement quotidien dans les établissements.

On compte actuellement environ 850000 enseignants dans notre pays, pour un total approximatif de 10 millions d'élèves. Lorsque l'on voit les chiffres de cette manière, on peut en effet se dire que les chiffres de notre administration sont énormes. Si on fait un petit calcul rapide, cela fait un total d'un prof pour 11 élèves. Que demande alors les enseignants avec ces réclamations permanentes de moyens? En fait, plusieurs facteurs expliquent les frictions actuelles.

Tout d'abord, cette configuration de 11 élèves pour un prof ne se vérifie jamais. Il y a dans le primaire entre 24 et 27 élèves par classe dans une classe du primaire, et entre 24 et 35 dans une classe du secondaire. Certains lycées vont même plus haut que cela: dans les grands lycées parisiens, on trouve parfois 37-38 élèves dans une seconde générale. Pourquoi un tel écart entre les deux chiffres? Tout simplement parce que les enseignants sont spécialisés et qu'ils ont en réalité plusieurs classes. Chaque classe du secondaire a entre six et douze enseignants. Personnellement, j'ai face à moi une centaine d'élèves différents tout au long de l'année. Il ne faut donc pas se leurrer sur les chiffres, les suppressions jouent réellement sur des effectifs déjà très chargés.

Le ministre pourrait tenter de les surmonter en menant quelques réformes, et de nombreuses ont déjà été imaginées. Je vous en donne quelques exemples:

  • L'ancien ministre Luc Ferry avait imaginé une hausse significative du nombre d'élèves par classe, arguant de l'absence totale d'études sur l'efficacité des petits effectifs pour la réussite des élèves. Certes, les enseignants vous diront tous qu'on travaille mieux dans de petites classes que dans des grosses, mais ce n'est en rien suffisant. Or, en 2004, l'économiste Thomas Piketty a démontré sur les classes de primaire que la baisse des effectifs des classes faisait augmenter les moyennes générales, confirmant que la question des moyens avait un sens. Depuis, cette idée a plus ou moins disparue, survivant chez Darcos pour les classes des lycées à bons élèves.
  • Une deuxième consisterait à augmenter le temps de travail des profs, pour compenser la disparition des postes, en augmentant les salaires des fonctionnaires déjà en poste. Cette idée est évoquée dans le livre vert de la commission sur la revalorisation du métier d'enseignant (dite commission Pochard, du nom de son président). Aujourd'hui, un professeur des écoles ne peut augmenter son temps de travail sans augmenter celui des élèves. Par contre, les professeurs du secondaire ont des services qu'on pourrait augmenter (15 heures pour les agrégés, 18 heures pour les certifiés, soit 39,5 heures de travail hebdomadaire moyen selon le ministère en 2002) sans toucher au temps de travail des élèves. Pour cela, il faudrait affronter la contestation d'une partie des profs, qui n'ont aucune envie de passer plus de temps devant des élèves pénibles voire difficiles.
  • Une troisième voie pourrait être trouvée dans les heures supplémentaires. Aujourd'hui, un enseignant du secondaire doit accepter une heure supplémentaire si le chef d'établissement ne peut faire autrement. Au-dessus, il faut l'accord de l'enseignant. On pourrait imaginer d'augmenter cela à trois ou quatre heures, ce que la commission Pochard envisage d'ailleurs, et espérer que les chefs d'établissement connaissent bien les enseignants qui acceptent de bosser plus sans râler et se mettre en grève.
  • Un autre moyen est la réforme des diplômes, pour les raccourcir par exemple. En ce moment, plusieurs bacs professionnels passent de quatre à trois ans. On élimine ainsi un quart des heures, mais ce n'est pas possible partout et pour tous les diplômes.
  • Une dernière idée serait de réduire le nombre d'heures de cours des élèves. En effet, les petits Français sont les élèves des pays développés qui ont le plus d'heures de cours, en particulier au lycée général. Or, là, le ministre aurait un choix cornélien: quelles disciplines éliminer? Le latin et le grec, pourtant fondement de notre culture? Le sport, indispensable en ces périodes d'obésité? Les sciences, décidément coûteuses à enseigner? Les nombreuses langues optionnelles qui ne regroupent parfois que très peu d'élèves? Darcos a parlé mercredi 16 avril 2008 sur France inter de cette opportunité, sans donner plus de précisions.
Pourtant, une chose est sûre. Aujourd'hui, il n'y a absolument rien de changé dans le système. On supprime des postes en laissant les choses en l'état. Si le gouvernement faisait l'une des choses du dessus, cela pourrait être très contestable, mais, au moins, il y aurait une logique. Or, on ne change rien pour le moment, rien de rien. Cela met les établissements dans des situations pénibles: des enseignants ne sont plus remplacés, mais aussi des conseillers principaux d'éducation, voire des proviseurs. Cela arrive même pour des congés maternité pourtant largement prévisibles.
A la rentrée prochaine, comme rien ne change, les postes supprimés existent toujours. Ils vont être transformés, dans la plupart des cas, en heures supplémentaires. Il faudra alors que les profs acceptent de les faire, ce dont je doute pour la majorité d'entre eux. Ensuite, que se passera-t-il? Les rectorats embaucheront des vacataires mal payés et peu compétents, qui donneront des cours souvent plus mauvais à vos enfants que ne l'aurait fait un titulaire.

Darcos avait bien évoqué une réforme, pour la mi-mai, mais avec le mouvement en cours, dira-t-il quelque chose? Et si oui, quoi? Toutes les hypothèses évoquées ci-dessous sont des retours en arrière, mais il faudra bien que notre ministre exécute la politique de notre président et de sa majorité. On attend avec impatience...

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