Cher lecteur, aujourd'hui, en ce beau dimanche ensoleillé, une jolie balade dans Paris et un repas pantagruélique avec un de mes amis m'ont donné envie de te parler de la réforme constitutionnelle que le Parlement tente de faire, avec beaucoup de difficultés. Tu vas me dire que tu ne vois pas bien le rapport, mais en regardant mon mi-cuit au chocolat tout à l'heure, je me suis mis à penser à Nicolas Sarkozy. J'admets que je n'arrive pas encore bien à saisir le lien, et il faudrait que j'en parle à un psychanalyste pour débrouiller le tout.
L'un des aspects de cette réforme qui a suscité le plus de commentaires est la possibilité offerte au président de s'adresser directement à la Chambre, sans débat contradictoire ensuite. Au départ, je dois te dire que les autres aspects de la réforme me semblaient largement plus importants que celui-là. Qu'en est-il aujourd'hui? Actuellement, le président ne dispose pas du droit de se rendre dans l'enceinte du Parlement. Il y a là une vieille trace de notre passé historique: en novembre 1799, le général Bonaparte pénétrait dans l'enceinte du conseil des cinq-cents. Expulsé de l'Assemblée par les parlementaires en colère, il utilisa cette scène pour pousser son régiment à disperser les pauvres parlementaires, permettant sa prise de pouvoir. Depuis, le Parlement est théoriquement indépendant du pouvoir exécutif, et est d'ailleurs protégé par une garde indépendante qui doit éviter autant la pression de l'exécutif que celle du peuple sur les parlementaires. Depuis 1873, le chef de l'Etat ne peut plus se rendre dans l'enceinte du Palais-Bourbon ou du palais du Luxembourg.
Malgré tout, le président peut communiquer avec les parlementaires. Tout d'abord, l'article 18 permet au président de s'adresser au Parlement par la lecture d'un message. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne différencie trois types de message: des messages de courtoisie, en début de mandat généralement, des messages de commémoration (en fait, il n'y en a eu qu'un seul lors du centième anniversaire de la naissance de Robert Schuman) et des messages politiques (annonces de référendum ou de politique internationale). Il s'agit de l'un des seuls actes que le président peut faire sans le contreseing du premier ministre, ce qui empêche le Parlement de mettre en cause le gouvernement dans ce cadre, et qui évite le risque de la motion de censure.
En effet, il y a une logique à tout cela. Le premier ministre est l'interlocuteur principal du Parlement dans la relation entre exécutif et législatif. La raison en est simple: il est responsable devant lui et peut être renversé par une motion de censure. C'est donc lui qui répond aux questions du Parlement, qui défend (parfois) les projets de loi et qui mène les relations avec les parlementaires. Le président, lui, par définition, est irresponsable et ne rend des comptes que lors des élections suivantes s'il se représente. De Gaulle avait considéré que le président pouvait se relégitimer par des référendums ou par les élections législatives (tous les cinq ans à l'époque alors que le président restait sept ans), mais la pratique de Mitterrand et de Chirac, et la mise en place du quinquennat en 2000 ont fait du président un personnage qui ne se légitime plus que par l'élection présidentielle: lors de la défaite du référendum de 2005 sur le TCE, Chirac n'a même pas envisagé de quitter le pouvoir.
Le président ne manque cependant pas de moyens de pression sur les parlementaires. D'abord, il maîtrise, par l'intermédiaire de son premier ministre, l'ordre du jour et le travail de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ensuite, il nomme en réalité seul le premier ministre (depuis la dissolution de 1962, provoquée par la seule motion de censure votée par l'Assemblée contre Georges Pompidou, la Chambre se tient à carreau là-dessus). Enfin, en cas de conflit, il peut dissoudre, ce que les députés détestent par dessus tout. On voit bien sur ce débat constitutionnel qu'il a moins d'influence sur le Sénat, qui dans une réforme constitutionnelle est indispensable, à cause de l'article 89 qui impose un vote identique sur le même texte des deux chambres. Sarkozy pourrait toujours utiliser l'article 11 et faire un référendum sur la question, mais je doute que le contexte politique y soit propice.
Alors, pourquoi vouloir venir directement devant la chambre? J'y vois deux facettes. La première est une référence à la constitution américaine. Dans ce système politique, le président adresse chaque année au Congrès le State of the Union, qui est censé résumer son bilan et les axes de la politique à suivre. Il le fait en personne, mais, attention, le contexte n'est pas le même. Dans ce système, et c'est peu connu en France, le Congrès est le premier pouvoir dans la constitution, et, comme le président et le gouvernement ne sont pas responsables devant lui (selon la stricte séparation des pouvoirs tirée des oeuvres de Montesquieu), il s'agit d'un moyen fort de contrôle du pouvoir législatif. En France, si le Parlement n'est pas content, il peut demander des comptes au premier ministre et virer le gouvernement, ce qui est amplement suffisant. En 1986, la nouvelle majorité de droite avait même imaginé refuser toutes les nominations de premier ministre faites par Mitterrand pour le pousser dehors, mais Chirac s'y est opposé (bien mal lui en a pris à l'époque!).
J'y vois une autre stratégie. Comme je le signalais dans un billet précédent, Sarkozy a encore envie de rendre les choses visibles. Plutôt que d'intriguer par derrière et de laisser le premier ministre faire son travail de fusible, il veut se mettre en avant et apparaître comme le seul auteur de la politique de l'exécutif. De plus, montrant ainsi sa mégalomanie, il veut briser ce garde-fou et venir lui-même se montrer devant la Chambre: aucun lieu ne peut se protéger de lui. Déjà qu'on l'a sans arrêt chez nous sur les médias, même les parlementaires, qui en étaient préservés, vont devoir le supporter en personne, sans jamais pouvoir lui répondre officiellement.
De nombreuses personnalités s'inquiètent de cette décision, craignant un président de plus en plus omnipotent. Franchement, cher lecteur, est-on encore en 1799 ou en 1873? Peut-on imaginer de voir le président faire en personne un coup de force contre l'Assemblée? Il lui suffirait de la dissoudre. Je pense que tout cela va encore affaiblir la fonction de président déjà malmenée par Sarkozy. De plus en plus, le chef de l'Etat se met en avant, assumant toutes les politiques impopulaires menées par l'exécutif. Lorsque ce président sera totalement impopulaire, qu'en fera-t-on? Les précédents chefs de l'Etat avaient la possibilité de faire sauter le premier ministre, ce que Sarkozy pourra, à mon avis, faire, mais sans impact réel sur l'opinion...
Alors, je vais faire un pari avec toi, cher lecteur. Je te parie que Sarkozy utilisera cette possibilité une ou deux fois, mais jamais sur des sujets importants: il viendra faire des politesses, mais c'est tout. Ses successeurs ne se rendront plus devant le Parlement, tout simplement parce que c'est un signe de faiblesse, et ils laisseront le premier ministre se faire dézinguer comme d'habitude. Intéressons-nous plutôt aux autres points de cette réforme. La prochaine fois que je verrai un met qui me fera penser au président, j'essaierai de t'en reparler.
Je dois admettre, cher lecteur, que la capacité de Sarkozy à se tirer des balles dans les pieds m'étonne toujours autant...