Ça y est, cher lecteur ! Une nouvelle fois, sous nos yeux ébahis, les dirigeants européens se sont réunis pour sauver la Grèce du gouffre financier dans lequel elle est plongée. Après avoir fermé les yeux pendant dix ans sur les trucages que les différents gouvernements grecs pratiquaient dans leurs comptabilités, les moralistes européens continuent de mettre en place des plans de sauvetage. Hier, c'est la vision de l'Allemagne qui l'a emporté.
Dans ce maelström financier, on pourrait penser que les Grecs seraient tentés par des idées révolutionnaires. Plusieurs choses pouvaient laisser le penser. On ne s'en rappelle que peu, mais en 2008, ce pays a été secoué par des violentes émeutes sur la question salariale. Aujourd'hui, les salaires et les pensions de retraite sont en train de baisser ! D'autre part, la population grecque pourrait largement se sentir en colère devant les manipulations de leurs hommes politiques. Faut-il rappeler que les fameux plans de sauvetage, s'ils exigent des réductions drastiques des budgets sociaux et des privatisations massives, ne demandent pas du tout au gouvernement grec de taxer les plus riches (tiens, leurs impôts viennent de baisser) alors que les inégalités sont parmi les plus fortes d'Europe, de baisser les exorbitantes dépenses militaires (dont la France et l'Allemagne profitent largement) ou de taxer l'Eglise, l'un des principaux propriétaires du pays et qui bénéficie de l'exemption fiscale ?
Il s'avère qu'avec la Privilégiée, nous avons passé quelques jours en Grèce et nous venons de rentrer, ce mercredi. J'étais impatient de découvrir cette ambiance pré-révolutionnaire joyeuse et positive qu'en tant que bon gauchiste, j'aimerais trouver partout. En effet, les médias français avaient un peu joué sur ce risque ces derniers temps. On avait abondamment vu des images des quelques affrontements qui s'étaient déroulés en juin dans le centre d'Athènes. De plus, la ville était touchée par une extension du mouvement des Indignados, apparu en Espagne, et qui avait fait des petits en Grèce, sur la place Syndagma, place centrale d'Athènes où se situe en particulier le Parlement. Si tu es venu à Athènes, cher lecteur, c'est là où les touristes viennent voir les gardes en robes et à pompon faire leur relève.
Nous nous sommes donc lancés dans Athènes, dans notre arrivée sur place. En plus, le hasard faisait bien les choses : nous avions trouvé un hôtel dans le quartier d'Exarchia, quartier étudiant et très à gauche, où nous espérions bien pouvoir observer la révolution en marche.
D'ailleurs, mes compatriotes étaient assez compatissants envers nous : "mais vous êtes sûrs que c'est une bonne idée ? Et si jamais le pays faisait défaut, dans quel désordre vous allez vous retrouver ! Vous devriez peut-être prendre des Travelers et éviter d'utiliser vos cartes de crédit. Et surtout, pas de liquide ! Faites bien attention à vous à Athènes, hein ?"
Je dois te dire que nous n'avons pas du tout trouvé ce que je cherchais. Certes, la présence policière à Athènes est réelle et même un peu pesante, mais nous ne nous sommes jamais, à un quelconque moment, senti menacé par qui que ce soit, de jour comme de nuit. Certes, un vague campement subsiste sur la place Syndagma, mais il doit rester au maximum 300 personnes présentes. D'ailleurs, lorsque nous étions présents, le maire d'Athènes a convoqué les représentants des Indignés pour leur demander de lever le camp, histoire de préserver la saison touristique : bonne preuve de la faiblesse de ce mouvement. Ailleurs, dans le pays, que ce soit dans la région d'Athènes ou sur les îles, nous n'avons vu aucun signe d'une éventuelle révolution en marche.
Dans les discussions que nous avons pu avoir avec quelques Grecs, l'idée révolutionnaire était pourtant présente, mais de manière très lointaine, et c'était le désespoir qui dominait. Très souvent, revenait l'idée que les Grecs eux-mêmes avaient des responsabilités et qu'ils allaient devoir changer. Cependant, les plans d'austérité et l'intervention de l'UE et du FMI sont vus comme des diktats et l'idée dominante est que les vrais responsables (la classe politique et la bourgeoisie grecque) ne sont pas du tout remis en cause. D'ailleurs, nos interlocuteurs se demandaient bien pour qui ils pouvaient bien voter, vu la compromission générale de leurs politiciens, que ce soit la droite qui avait participé au trucage des comptes ou le PASOK qui mettait en musique les plans d'austérité.
Ce désespoir se manifestait aussi dans l'abord de la saison touristique. Les Grecs en espéraient apparemment beaucoup, histoire de soutenir l'économie et de mettre un peu d'huile d'olive sur la fêta. Certains médias ont malheureusement fait leur office. D'après une hôtelière, si les Français, les Anglais et les Scandinaves restaient massivement présents, en ce début du mois de juillet, les Allemands, très importants d'habitude et gros consommateurs, étaient totalement absents, de même que les Américains. La saison touristique s'annonce donc moins bonne que d'habitude.
En clair, les Grecs que nous avons rencontré se partageaient entre résignation et désespoir. Pas d'espérance en un monde meilleur pour le moment, semble-t-il.
Certes, je n'y ai pas trouvé le vent révolutionnaire que j'attendais, mais plutôt une sourde inquiétude. Il faudrait quand même que nos dirigeants comprennent qu'en assommant les populations et en brisant les possibilités d'espérance, on ne rend pas service à la démocratie. Les conséquences pourraient être graves sur le plan politique, dans un futur assez proche. Quand un peuple n'a pas d'issue, que fait-il, cher lecteur ?