Hier, sur France Inter, Jacques Attali s'étonnait de l'absence, dans le plan d'aide à la Grèce, de demandes de l'Union Européenne concernant le budget militaire. Il est vrai que la Grèce entretient l'un des budgets d'achat d'armement les plus élevés au monde, se situant en 2008 à 2,8% du PIB, mais en croissance de 11% cette même année.
Depuis quelques jours, nombreux sont les éditorialistes à hurler contre cette étonnante dépense militaire, oubliant que la France est l'un des principaux fournisseurs d'armement de la République Hellénique. Cette croissance des dépenses militaires grecques symbolise l'un des échecs les plus flagrants de l'Union Européenne.
Reprenons un peu le fil de l'histoire. Depuis la chute de l'Empire Byzantin, la confrontation avec la Turquie est au cœur de l'identité nationale grecque. Dès la guerre d'indépendance, les Grecs ont construit un discours national autour de cette confrontation pour une reconquête de l'ensemble de l'espace grec, se rattachant à l'histoire ancienne, en confrontation avec les Turcs (la "Grande Idée"). Les difficultés de l'Empire Ottoman amène les grandes puissances européennes à soutenir la Grèce durant le XIXe siècle et pendant la Première Guerre Mondiale, les Turcs ayant choisi l'alliance avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Les traités de paix (celui de Sèvres en particulier) donnent à la Grèce d'importants territoires en Asie Mineure.
Or, c'est là que le processus s'enraye. Au début des années 1920, la Turquie d'Atatürk défait la Grèce et empêche l'application des traités. Plus d'un million de Grecs quittent l'Asie Mineure et viennent s'installer sur le territoire grec, première humiliation d'une bonne série.
En effet, l'évolution de la scène internationale défavorise de plus en plus la Grèce. Les débuts de la Guerre Froide font de la Turquie un allié important de l'Occident contre l'URSS. La Turquie rentre dans l'OTAN puis devient une plaque tournante pour l'armée américaine alors que la Grèce peine à se remettre de la guerre civile qui l'a déchirée dans les années 1940. Il apparaît de plus en plus net à l'État grec que ce pays ne pourra pas s'appuyer sur les grandes puissances occidentales en cas de conflit avec la Turquie.
La crise chypriote illustre parfaitement cette situation. Le 20 juillet 1974, suite à une tentative de coup d'État contre le président chypriote et craignant une tentative de la Grèce des colonels de réaliser l'Enosis, c'est-à-dire la fusion de la Grèce et de Chypre, la Turquie lance une opération militaire d'envergure et prend le contrôle d'un tiers de l'île, sans que les autres membres de l'OTAN puissent réellement intervenir, y compris les Britanniques présents militairement sur l'île. La Turquie était un allié et un membre de l'OTAN, et négociait avec l'Union Européenne depuis 1963.
La Grèce compte donc sur elle-même car elle se considère seule sur une scène internationale hostile plutôt favorable à son puissant voisin. On peut ainsi expliquer les importants investissements de la Grèce dans un matériel militaire moderne et capable d'agir, alors que la question chypriote reste pendante et que les incidents de frontière sont fréquents entre les deux pays. Il est impossible aujourd'hui qu'un chef d'État grec puisse annoncer une diminution des dépenses militaires, vu le ressentiment de la population locale, sans risquer d'avoir de grandes difficultés politiques.
Cette situation aurait pu évoluer par une intervention de l'Union Européenne. Aujourd'hui, deux membres sont directement concernés : Chypre et la Grèce. Il semblerait donc normal que l'UE s'investisse massivement dans la résolution d'une crise entre des pays qui sont importants pour nos intérêts. Chypre, en particulier, sert de pointe de l'Union en Méditerranée et a servi de base humanitaire lors de la guerre au Liban en 2006. Pour régler cette difficulté, il faudra bien négocier avec la Turquie et obtenir des concessions de sa part.
Nous avions pour cela un merveilleux moyen et une offre fabuleuse pour les Turcs : les faire entrer dans l'UE. Nous avons, à cause de nos frilosités, fait échouer ce projet, ne laissant plus aucun intérêt à la Turquie de résoudre ses conflits avec les Grecs.
La Grèce est donc toujours seule, avec ses craintes et ses fantasmes, face à la Turquie. Une idée domine toujours : si un nouveau conflit se déclenche, les grandes puissances européennes ne feront rien. Il faut donc poursuivre l'effort militaire.
Ces dépenses, étonnantes dans une telle crise, sont pourtant évidentes lorsqu'on prendre la peine de regarder notre passé et la situation actuelle de la géostratégie régionale. Elles illustrent l'échec de l'Europe en tant qu'organisation pouvant assurer une sécurité à ses membres et résoudre des conflits. On peut être sûr que le gouvernement grec ne diminuera les budgets militaires qu'en dernier recours, au grand bénéfice de notre industrie de l'armement...
Depuis quelques jours, nombreux sont les éditorialistes à hurler contre cette étonnante dépense militaire, oubliant que la France est l'un des principaux fournisseurs d'armement de la République Hellénique. Cette croissance des dépenses militaires grecques symbolise l'un des échecs les plus flagrants de l'Union Européenne.
Reprenons un peu le fil de l'histoire. Depuis la chute de l'Empire Byzantin, la confrontation avec la Turquie est au cœur de l'identité nationale grecque. Dès la guerre d'indépendance, les Grecs ont construit un discours national autour de cette confrontation pour une reconquête de l'ensemble de l'espace grec, se rattachant à l'histoire ancienne, en confrontation avec les Turcs (la "Grande Idée"). Les difficultés de l'Empire Ottoman amène les grandes puissances européennes à soutenir la Grèce durant le XIXe siècle et pendant la Première Guerre Mondiale, les Turcs ayant choisi l'alliance avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Les traités de paix (celui de Sèvres en particulier) donnent à la Grèce d'importants territoires en Asie Mineure.
Or, c'est là que le processus s'enraye. Au début des années 1920, la Turquie d'Atatürk défait la Grèce et empêche l'application des traités. Plus d'un million de Grecs quittent l'Asie Mineure et viennent s'installer sur le territoire grec, première humiliation d'une bonne série.
En effet, l'évolution de la scène internationale défavorise de plus en plus la Grèce. Les débuts de la Guerre Froide font de la Turquie un allié important de l'Occident contre l'URSS. La Turquie rentre dans l'OTAN puis devient une plaque tournante pour l'armée américaine alors que la Grèce peine à se remettre de la guerre civile qui l'a déchirée dans les années 1940. Il apparaît de plus en plus net à l'État grec que ce pays ne pourra pas s'appuyer sur les grandes puissances occidentales en cas de conflit avec la Turquie.
La crise chypriote illustre parfaitement cette situation. Le 20 juillet 1974, suite à une tentative de coup d'État contre le président chypriote et craignant une tentative de la Grèce des colonels de réaliser l'Enosis, c'est-à-dire la fusion de la Grèce et de Chypre, la Turquie lance une opération militaire d'envergure et prend le contrôle d'un tiers de l'île, sans que les autres membres de l'OTAN puissent réellement intervenir, y compris les Britanniques présents militairement sur l'île. La Turquie était un allié et un membre de l'OTAN, et négociait avec l'Union Européenne depuis 1963.
La Grèce compte donc sur elle-même car elle se considère seule sur une scène internationale hostile plutôt favorable à son puissant voisin. On peut ainsi expliquer les importants investissements de la Grèce dans un matériel militaire moderne et capable d'agir, alors que la question chypriote reste pendante et que les incidents de frontière sont fréquents entre les deux pays. Il est impossible aujourd'hui qu'un chef d'État grec puisse annoncer une diminution des dépenses militaires, vu le ressentiment de la population locale, sans risquer d'avoir de grandes difficultés politiques.
Cette situation aurait pu évoluer par une intervention de l'Union Européenne. Aujourd'hui, deux membres sont directement concernés : Chypre et la Grèce. Il semblerait donc normal que l'UE s'investisse massivement dans la résolution d'une crise entre des pays qui sont importants pour nos intérêts. Chypre, en particulier, sert de pointe de l'Union en Méditerranée et a servi de base humanitaire lors de la guerre au Liban en 2006. Pour régler cette difficulté, il faudra bien négocier avec la Turquie et obtenir des concessions de sa part.
Nous avions pour cela un merveilleux moyen et une offre fabuleuse pour les Turcs : les faire entrer dans l'UE. Nous avons, à cause de nos frilosités, fait échouer ce projet, ne laissant plus aucun intérêt à la Turquie de résoudre ses conflits avec les Grecs.
La Grèce est donc toujours seule, avec ses craintes et ses fantasmes, face à la Turquie. Une idée domine toujours : si un nouveau conflit se déclenche, les grandes puissances européennes ne feront rien. Il faut donc poursuivre l'effort militaire.
Ces dépenses, étonnantes dans une telle crise, sont pourtant évidentes lorsqu'on prendre la peine de regarder notre passé et la situation actuelle de la géostratégie régionale. Elles illustrent l'échec de l'Europe en tant qu'organisation pouvant assurer une sécurité à ses membres et résoudre des conflits. On peut être sûr que le gouvernement grec ne diminuera les budgets militaires qu'en dernier recours, au grand bénéfice de notre industrie de l'armement...
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