jeudi 31 juillet 2008

Guy Sorman, ou comment on assène des vérités sans les démontrer...

Etant un lecteur régulier de blogs libéraux divers et variés, j'ai été attiré hier par une émission de France Inter qui accueillait Guy Sorman, intellectuel libéral qui venait nous présenter ses idées. Un blogueur, avec qui j'ai l'habitude de discuter, le cite souvent comme une référence. Elle permet de faire un point sur l'endroit où sont arrivés les libéraux français. Je te mets ici le lien vers cette émission.


Une partie de ce programme a été consacrée à la question de savoir si l'économie était une science ou pas. Sorman a répondu par la pédagogie de l'exemple, du type "on sait ce qui marche ou pas", considérant que les théories socialistes, en général, ne marchent pas. Passé ce cap, le journaliste lui a demandé de donner des exemples de choses acceptées par tous les économistes. Sorman cite la monnaie stable ou encore les bénéfices du libre-échange pour le développement et l'enrichissement des peuples.


Cela tombe bien, cher lecteur, car en ce moment, je suis en train de réactualiser mon cours de terminale générale sur la mondialisation. Je lis actuellement la somme de Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation, qu'il vient de republier en 2007 chez Armand Colin. Cet ouvrage est régulièrement cité dans les bibliographies de géographe et est donc reconnu comme une somme de référence sur la question. Je vais me permettre ici de reproduire une partie de cet ouvrage, sans l'accord de l'auteur, mais parce que j'estime qu'il s'agit d'un raisonnement scientifique autrement plus intéressant que les affirmations sans justification de Guy Sorman sur cette question :


" Jamais notre planète n'a été aussi riche : ces cinquante dernières années, le PIB mondial passe de 3000 à 33000 milliards de dollars alors que le PIB mondial/habitant quintuple au XXe siècle. Il double entre 1980 et 2005. Mais contrairement aux théories économiques orthodoxes affirmant la convergence des économies mondiales par le jeu du libre-échange, cette troisième mondialisation s'est accompagnée d'un creusement sans précédent des inégalités de richesses. Les écarts de revenus entre pays développés et en développement passent de 1 à 11 en 1870 à 1 à 30 en 1965 et 1 à 80 aujourd'hui. Les 20% d'habitants les plus pauvres disposent de 1,1% du PIB mondial contre 2,3% en 1960 et 40% de la population du globe vit avec moins de deux dollars apr jour alors que les pays développés accaparent 80% de la richesse mondiale avec 19% de la population.


La carte de la production de richesse par Etats, et pour les plus grands d'entre eux par régions ou Etats fédérés, est à cet égard significative des profondes inégalités de la hiérarchie contemporaine, aux échelles internationales ou nationales. Alors que l'économie canadienne est un peu supérieure au total de l'Afrique, l'économie californienne est équivalente à celle de l'Italie, celle du Texas supérieur à celle du Brésil ou de la Russie. Mais l'état brésilien de Sao Paulo dépasse à lui seul l'Afrique du Sud et le Guangdong chinois la Grèce. En Inde, en Chine, au Brésil ou aux Etats-Unis, la très grande taille de ces Etats illustrent l'importance géoéconomique progressivement acquise au cours du long processus de mondialisation par les grandes régions métropolitaines littorales, qui fonctionnent comme les espaces d'interface privilégiés entre échelles mondiales, nationales et régionales. [...]


A la concentration géographique des richesses répond une extraordinaire polarisation sociale au profit des classes dominantes et oligarchies : la valeur cumulée du patrimoine des 200 personnes les plus riches double entre 1994 et 1998, d'après la Cnuced et seulement 3% des foyers mondiaux détiennent 70% de la richesse mondiale selon le Boston Consulting Group. Ces inégalités de revenus et de patrimoines renforcent les inégalités sociales puisque les 20% des habitants les plus riches consomment 45% de la viande, 58% de l'énergie, possèdent 87% des véhicules et 74% des lignes téléphoniques mondiales alors que la moitié de l'humanité n'a pas les moyens de se nourrir, s'instruire, se soigner ou se loger.


Cette explosion des inégalités sociales internes, déjà vives dans les pays hautement développés depuis la fin des années 1980, est encore plus sensible dans les pays du Sud en rattrapage comme l'Inde, dont 80% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, le Brésil ou la Chine du fait de la faiblesse des politiques publiques redistributives. Le différentiel est de 1 à 85 au Brésil entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres et il passe de 1 à 6 en Chine en 1983 à 1 à 18 en 2006, soit au niveau d'inégalités internes équivalant aux États-Unis. Dans ce contexte, la question de l'affirmation, de la promotion et de la défense de droits universels - politiques, sociaux, économiques et environnementaux - associée à des stratégies de réduction des inégalités infra-nationales et mondiales constitue un enjeu d'avenir essentiel."


Voilà donc la conclusion de Carroué : la mondialisation produit bien des richesses, mais seulement pour certains territoires et pour certains habitants de ces territoires.


J'entends déjà les critiques des blogueurs libéraux disant que Carroué peut raconter des conneries pour vendre ses idées. Il n'en est rien, car il fait partie du milieu universitaire, et s'il le faisait, il se ferait démonter rapidement par ses sympathiques collègues. Les géographes s'accordent aujourd'hui sur ces constats. Dommage que les économistes n'en soient pas encore là...

13 commentaires:

  1. Oui, si seulement tout le monde pouvait être d'accord sur tout, on serait bien tranquille. Salauds d'économistes.

    Comment ça, je fais du mauvais esprit ?

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  2. Aaarrgghh, de l'ironie sur ce blog !

    J'essaie juste de montrer qu'il faut avoir un raisonnement toujours argumenté quand on veut démontrer quelque chose. Je suppose que Sorman me dirait que le PIB mondial a fortement augmenté, et que, même si les inégalités se creusent, le niveau de vie des pauvres a quand même augmenté...

    Il n'y a pas de petits profits...

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  3. Comme l’écrivent Samuelson & Nordhaus : "En économie, ce que les gens voient dépend des lunettes théoriques qu’ils portent."

    Quant à savoir si l'économie est une science, j'aborde très modestement cette question sur Horizons, le blog de mon ami Malakine. C'est ici :
    http://horizons.typepad.fr/accueil/2008/06/enseignement-de.html

    Mathieu, je ne sais pas si tu connais Horizons, mais je crois que cela devrait te plaire.

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  4. @ RST : merci pour le lien. Je m'en vais mettre ce blog rapidement dans mon agrégateur de flux.

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  5. Ah, la géographie ... Effectivement, comment contre dire une vue satellite mettant en évidence une déforestation incontestable ou une évidente désertification ?

    Il est des réalités à ce point évidentes qu'il faut des trésors d'ingéniosité et ... de mauvaise foi pour les démonter.

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  6. Tu peux aussi ajouter que les inégalités à l'intérieur des pays se sont creusées.
    Pour rebondir sur ta phrase concernant les libéraux, ce qui est le plus troublant est que ceux qui profitent le plus de cette évolution ne sont pas libéraux : les richesses s'accumulent grâce au monopole, au dumping social ou au protectionisme, pas grâce au libéralisme.

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  7. @ CC : Carroué parle des inégalités internes.

    Dans tous les cas, protectionnisme, dumping ou libéralisme, cela profite à une minorité de toute façon...

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  8. Oops ! Désolé, par excès de précipitation, j'avais sauté un ou deux paragraphes.

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  9. salut c'est gentil de me citer, mais je crois que je n'ai jamais cité Sorman sur mon blog (même si je suis souvent en phase avec lui)...

    tu n'as pas confondu ???

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  10. Sorman est l'auteur de ma phrase préférée d'hier.

    Lomig, crois-tu qu'on nous ait confondus ? LOL

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  11. Oui, il semblerait que les inégalités se soient creusées. Mais comme tu le soulignes sans pourtant trop y croire, le niveau de vie mondial a augmenté; pas seulement en moyenne, mais bien pour chacun.

    Alors oui, le problème est que cette amélioration de situation ne se fait pas de manière égale pour tous; personne ne perd en qualité de vie dans l'absolu, bien au contraire, mais en relatif et pour une minorité si. Les écarts se creusent, de la même manière que dans un marathon, le peloton commence bien serré, pour s'étaler de plus en plus au fur et à mesure du temps tout en continuant d'avancer.
    Cette augmentation des inégalités est problèmatique, certes, et il faut réfléchir aux solutions permettant de les réduire. Mais cela ne remet nullement en cause les bienfaits de la mondialisation et du libre-échange puisque au final chacun a vu sa vie s'améliorer -même si avec des rythmes différents-, et que d'autre part des modèles comme le socialisme ou le protectionnisme ont montré que pour leur part ils provoquent du sur-place voire de la marche arrière.

    Quant à la remarque de Charlatan Crépusculaire, je ne sais pas trop si son but était de faire l'apologie du libéralisme ou non; mais en tout cas le point qu'il soulève est intéressant. Si un certain nombre d'inégalités augmentent, c'est en partie parce que le libéralisme est insuffisamment appliqué sur certains secteurs! Ainsi du protectionnisme ou du monopole injustifié et artificiel (en opposition à un monopole de compétence, mérité, comme par exemple pour Google) qui sont généralement combattu par les libéraux.
    Ce qui ne veut pas dire que le libéralisme soit la réponse à tout ni doive être appliqué de façon dogmatique, en ignorant certaines réalités (problèmes sociaux, stratégiques et géopolitiques, etc).

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  12. 150% d'accord avec Elyas. Je ne saurais y ajouter quoi que soit...

    à bientôt

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  13. @ LOmiG : mais si, je t'assure, tu m'as déjà parlé de Sorman.

    @ Elyas : je n'ai jamais dit que je ne croyais pas à l'augmentation du niveau de vie. si cela n'était pas le cas, j'aurai fait sauter la première phrase. C'est sûr que personne ne perd, mais seule une minorité s'enrichit. Quand à la remarque de CC, pourquoi pas, mais j'ai répondu déjà : ce sont toujours les riches qui profitent. Si on était dans un vrai système purement libéral au niveau international, ce serait la même chose, car les riches sont les seuls qui peuvent réellement maîtriser les choses. Ils ont les moyens, l'information, la connaissance et le soutien des pays développés.

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