Comme tu t'en souviens sans doute, cher lecteur attentif, j'avais dégainé un billet dès que j'avais lu dans Libération que notre ami Sarkozy se vantait de l'innocuité des grèves en France depuis qu'il avait eu la joie de prendre les rênes de notre belle nation. Je concluais à la basse manoeuvre politicienne et je m'inquiétais de la remise en cause d'un droit démocratique fondamental de notre pays. La polémique a rebondi depuis, avec les déclarations de Patrick Devedjian, venu au secours de son président préféré, et de multiples blogs ont commencé à s'intéresser au sujet : Criticus, Didier B., Marc Vasseur, Intox2007... et il y en a certainement beaucoup d'autres, que je ne connais pas mais que vous aurez l'amabilité de me signaler (Je m'étonne juste que PMA ne l'ait pas fait, vu que Nicolas se voit en remplaçant de Versac comme pape de la blogosphère, mais je suis sûr que cela ne saurait tarder, et je l'espère même, car j'adore vos articles, cher Nicolas...).
Alors reprenons un peu le scénario de ce psychodrame. Samedi matin, le conseil national de l'UMP se réunit. Pour les membres du gouvernement, le moment est important. En effet, il apparaît de plus en plus évident que la majorité parlementaire a du mal à coller à la politique du président. Il faut dire, à leurs décharges, que les députés ont raison de s'inquiéter : la popularité du gouvernement et du président ne repart pas à la hausse, de nouvelles élections approchent et on ne sent pas le moindre frémissement de quoi que ce soit. En plus, la conjoncture économique n'est pas bonne, la politique du gouvernement n'a pas vraiment convaincu à droite. Les sénateurs aussi sont inquiets, car la droite n'a pas gagné une seule élection locale depuis 2002, et, si elle prend encore une volée aux régionales de 2009 et aux cantonales de 2011, il y a un vrai risque que le Sénat bascule à gauche. Imagine-toi, cher lecteur, que cette assemblée conçue comme devant toujours être de droite risquerait de basculer !!!
Pour les gouvernants, il fallait donc recadrer, remotiver et remobiliser. Pour faire cela, rien de mieux que de frapper sur le camp d'en face. Alors, voici Sarkozy en guest star qui assomme les actuels épouvantails de la droite (grévistes, gauche, BCE) et ressoude ses troupes. En plus, il en profite pour donner quelques coups aux villepino-chiraquiens, qui auraient pu envisager de relever la tête, en montrant qu'ils n'ont jamais été capables de tenir tête aux syndicats socialo-communistes. Le président joue ainsi à : "Regardez qui a la plus grosse... capacité à réformer le pays". Tout cela, cher lecteur, c'est de la politique politicienne de bas étage. Le président n'a toujours pas compris qu'il était président, et essaie de se comporter comme un chef de majorité, comme le ferait un premier ministre britannique ou allemand.
Or, lorsque le président parle en public, en France, et c'est normal, c'est notre tradition, nous considérons tous que c'est la France qui parle. Et nous découvrons, ébahis, que le président se réjouit que l'un de nos droits fondamentaux n'ait plus aucun effet pratique. Je dois dire que j'ai toujours été très étonné du battage de la droite contre la grève, alors qu'en 1945, elle en avait accepté définitivement l'existence. N'oublions pas que le droit de grève figure dans le préambule de la constitution, rédigé en 1946, qui s'inspirait du programme du Conseil National de la Résistance, lui-même composé d'hommes et de femmes de droite comme de gauche, unis dans leur résistance contre le nazisme. La droite revient-elle sur ce pacte ? Questions que je pose aux lecteurs de droite, si jamais quelques-uns passent par ici.
Dès le lendemain, les réactions de condamnation affluent, venant de la gauche principalement, mais aussi des syndicats. On ne pouvait pas moins en attendre d'eux, puisque, sans la menace de grève, ils n'ont plus qu'un pouvoir faible sur l'échiquier politique français. Quelle a dû être, à votre avis, la réaction des parlementaires UMP à ces évolutions ? Je te le livre, cher lecteur : je suis sûr que les parlementaires frileux se sont dits que le président avait encore fait une connerie qui allait lui faire perdre des points dans les sondages, et qu'il braquait encore davantage l'électorat de gauche, sans faire pour autant revenir celui de droite.
Alors, Devedjian a fait sa sortie sur les salariés "innocents" et, on le suppose, les grévistes délinquants, dans le but de soutenir un peu un gouvernement de plus en plus mal en point. Je te l'accorde, sa déclaration est minable, sans aucun bon sens politique. Mais, franchement, comment réagirais-tu si ta mission était de défendre coûte que coûte Sarkozy ? Soit tu te tairais, soit tu serais de mauvaise foi, ce qu'a fait notre ami Patrick.
Il y a plusieurs choses, dans cette affaire, qui me semblent graves, et dont je voudrai te faire part, cher lecteur. Tout d'abord, notre président ne s'est toujours pas rendu compte qu'il était président et pas chef de parti. Ensuite, il n'hésite pas à brader un droit constitutionnel pour faire de la politique tout ce qu'il y a de plus bassement politicienne (j'en ai déjà parlé, je n'y reviens pas...).
Maintenant, je voudrai en souligner une autre. Le droit de grève fait partie des moyens d'expression du citoyen, normalement contre son employeur, que ce soit une entreprise ou l'Etat. Il y a déjà eu des grèves politiques en France, mais elles sont globalement assez rares. La dernière remonte, à mon humble avis, à 1968. Les suivantes étaient dirigées contre des décisions politiques, mais ne remettaient pas en cause l'existence du gouvernement lui-même, même si ce fut parfois le résultat. Enfin, aucune n'a abouti à une menace réelle contre la démocratie depuis la Commune. Pourtant, les blogueurs de droite souligne que la France, en permanence en grève, est à cause de cela ingouvernable.
Franchement, cher lecteur, cette affirmation est d'une hypocrisie insupportable. Que la droite râle contre ses opposants, c'est normal, nous râlons nous-mêmes contre la droite, cela s'appelle la démocratie. Que la droite trouve que le gouvernement doive proposer des politiques et appliquer les décisions du Parlement, personne ne le conteste, mais on a toujours le droit de contester un gouvernement en place, y compris, si cela touche au travail, par la grève. Ce qui m'énerve vraiment, c'est que la droite utilisera les mêmes moyens pour lutter contre un gouvernement de gauche. Qui a oublié les grandes manifestations de 1984 contre la loi sur l'école, celles de 1968 pour sauver le général de Gaulle, celles de 1934 qui ont fait tomber le gouvernement Daladier ? Qui a aussi oublié les lobbies permanents, soutenus par de puissants moyens financiers, qui ne cessent d'arroser les parlementaires, ce que le citoyen ne peut pas faire ? Qui a oublié l'intense campagne que le MEDEF a menée contre les 35 heures, et qui ont fait fléchir le gouvernement Jospin sur la loi de 2000 ?
Il me semble que les différents camps utilisent toujours les mêmes moyens lorsqu'ils font de la politique politicienne. Cependant, il est extrêmement grave que cela aboutisse à la remise en cause d'un droit démocratique, et qu'un chef d'un grand parti qualifie insidieusement les grévistes de délinquant. Tout cela est un signe à la fois de la mauvaise santé de notre démocratie, du raidissement du combat droite-gauche et des reculs qui se produisent sans arrêt en ce moment. Personnellement, cela me débecte, je ne supporte pas cette vision mesquine, sans perspective, et à court terme, de la politique. Essayons un peu d'être des adultes, chers blogueurs, nous avancerons un peu mieux, et sans doute avec moins de violences et de crises.
J'espère, chers lecteurs, que nous, citoyens, auront la capacité de réagir à temps. J'espère que tous les hommes politiques, blogueurs, journalistes, syndicalistes, auront les moyens de poser un instant les armes pour dire que la politique ne doit pas remettre en cause les droits dès que les événements le permettent. Il en va de l'avenir de notre démocratie.
Et maintenant, blogueurs et lecteurs, place au débat.
Ce président nous amène droit vers la dictature !
RépondreSupprimerDe moins en moins de gens le soutiennent, même au sein de son parti, et pourtant il continue son bonhomme de chemin en restreignant les droits sociaux sans être perturbé. Voilà qu'il s'attaque maintenant aux médias et au droit de grève, en gros les moyens de critiques efficaces contre sa politique. S'il continue sur cette voie Berlusconienne, il n'a plus qu'à s'acheter le PSG !
Il faudrait que l'opposition parvienne à faire prendre conscience à la majorité des Français du danger qui nous guette ! Il serait temps de choisir un leader et d'entendre une voix s'élever en face ...
Bonjour Quentin C.,
RépondreSupprimerBon, ne poussons peut-être pas trop loin. Il n'y a pour le moment aucun signe qui montre que nous serions entré en dictature. Je pense simplement que la grève est un épouvantail à droite, pour des raisons qui restent d'ailleurs, finalement assez peu compréhensibles, vu que les grèves ne menacent plus vraiment l'ordre en place, comme cela a parfois pu être le cas dans le passé.
Il s'agit d'un droit fondamental d'expression comme un autre. J'espère que nous pourrons un jour faire comprendre à la droite qu'elle joue sur un mauvais terrain, à vouloir remettre en cause des droits fondamentaux. Quand on commence, il n'y a plus de raison que l'on s'arrête...
A bientôt,
L'objectif n'est pas la dictature mais le rêve est américain. Quand on pourra virer les grévistes, on y sera.
RépondreSupprimer@ CC : bof, je ne sais pas vraiment. Contrairement à ce que l'on croit souvent, il y a beaucoup de grèves aux Etats-Unis, souvent très violentes d'ailleurs. Je pense que la droite, dans cette histoire n'a aucun modèle particulier...
RépondreSupprimerPar delà la plaisanterie, je ne me vois pas pape de la blogosphère : c'est très lourd à porter. Déjà que je suis dans les 10 ou 20 premiers, le ton de mon blog a changé. Va voir les archives d'il y a un an. Entre novembre et mai, j'étais le premier des blogs de gauche, je peux t'assurer qu'il y a une pression con.
RépondreSupprimerPourquoi je n'ai pas abordé le sujet de Sarko et du droit de grève ? J'en sais rien. Trop de boulot sans doute ou pas d'inspiration ou trop de blogs ayant abordé le sujet.
@ Nicolas: En fait, mon allusion était vraiment de l'humour, suite à ton article de ce jour-là.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ton blog et aime bien y faire référence.
A bientôt,
Pardon, tes blogs !
RépondreSupprimerBon ! Ca ira ! Et surtout : merci !
RépondreSupprimer@mathieu : oui, il y a plus de grèves, mais les entreprises ont beaucoup plus de moyens de les rendre inefficaces (forces de l'ordre, embauches temporaires, licenciements des grèvistes après la grève). Il n'y a pas de tolérance au blocage de l'entreprise comme chez nous, encore moins à un blocage touchant la communauté.
RépondreSupprimer(Les raisons pour lesquelles il y a plus de grèves, c'est qu'il y a aussi plus de misère et plus de précarité).
@ CC : C'est vrai, tu as raison. Je voulais juste préciser que le mouvement social est loin d'être inerte aux Etats-Unis, contrairement à ce que nos leaders ici voudraient nous faire croire. Il ne l'est pas non plus au Royaume-Uni ou au Canada. Il me semblait avoir lu qu'il y avait plus de journées de grèves aux Etats-Unis qu'en France en moyenne et par an. Je vais essayer de retrouver mes stats.
RépondreSupprimerSi je me souviens bien, le rapport est de 1 à 2 (2 pour les US).
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