Tout ça pour quoi ? Les grands journaux français soulignent les grandes difficultés que semblent déjà rencontrer le processus : Libération nous explique que la gouvernance du dispositif pose déjà de gros problèmes dans l'UE comme dans les pays du Sud et que les budgets sont faibles, le Monde nous rappelle l'absence marquante de Mohamed VI et les réticences turques, de même que l'échec des tentatives de conciliation israëlo-palestinienne. Encore une fois, ce type de réunion ressemble bien à une grand-messe qui ne sert pas à grand-chose, à part à pourrir la vie des Parisiens qui n'ont pas pris la poudre d'escampette pour ce 14 juillet.
Pour une fois, cher lecteur ébaubi, je vais faire quelques compliments à Nicolas Sarkozy. Mais si, je t'assure. Réunir ce type de sommet est toujours d'une grande difficulté. Certes, les peuples de la Méditerranée ont une vieille histoire commune (cela est rappelé dans la déclaration), mais les difficultés sont aussi bien plus importantes que les points communs. D'abord, la Méditerranée est traversée par la fracture Nord-Sud, et il est évident que les deux rives ne sont pas du tout à égalité. Ensuite, une deuxième fracture oppose des démocraties et des régimes bien plus autoritaires. Enfin, des conflits importants divisent les pays de la région, que ce soit le conflit israëlo-palestinien, les tensions entre les pays du Maghreb ou la menace islamiste. Ces tensions existent aussi dans l'UE, puisque l'Allemagne, par exemple, est vraiment venue à reculons.
Et pourtant, ce sommet a pu se dérouler, et a même abouti avec la production d'un texte ! Tu vas me dire, cher lecteur, rien d'exceptionnel, et je vais te démentir tout de suite. Souvent, ces sommets, avec de multiples acteurs qui ne s'entendent pas, n'aboutissent à rien, ou simplement à la programmation d'une autre réunion deux ans (ou dix ans !!) plus tard. En plus, ils échouent parfois en cours de travail : souvenez-vous de Kyoto ou de Doha. Il est d'ailleurs drôle de constater les causes des échecs : cette fois-ci, il fallait qu'Ehud Olmert ne soit pas assis à côté d'al-Assad ou de Mahmoud Abbas, mais qu'on puisse quand même obtenir une signature commune de tous ces pays sur le même texte. Il fallait aussi rassurer l'Allemagne qu'on ne créait pas un nouveau machin qui annulerait le travail déjà fait. D'où le nom totalement débile de ce nouveau processus : "le processus de Barcelone : Union Pour la Méditerranée". Plus compliqué, impossible, mais cela reprend la première tentative de construction d'une région euro-méditerranéenne, initiée à Barcelone en 1995, et que l'Allemagne ne voulait surtout pas voir enterré par le bouillonnant président français.
Alors, après cette longue introduction, qu'y a-t-il dans ce texte que les 43 pays ont signé ? Cher lecteur reconnaissant, j'ai fait ce travail de te trouver ce texte, et en plus de le lire. Je dois d'ailleurs te dire que je suis assez surpris de l'intérêt du document. Tout d'abord, l'UE a réussi à faire signer le même texte aux Israëliens et aux Arabes, ce qui n'est pas rien. Ensuite, les dictatures ont signé un texte qui les désavantage sur plusieurs points : instauration de la paix au niveau régional (point 5) ; rejet des armes chimiques, biologiques et nucléaires de la région (point 5), référence aux droits de l'homme par tous les gouvernements (point 6) ; soutien au processus de paix israëlo-palestinien (point 7) même si on ne fait référence à rien de plus précis qu'Annapolis là-dessus ; condamnation totale du terrorisme (point 8).
Je sais que tu vas me dire, cher lecteur cynique, que ces engagements ne sont que des mots qui n'ont pas grand sens pour ces tyrans qui passent leurs temps à changer d'avis. Je te répondrai : c'est vrai ! Cependant, le fait qu'ils aient accepté ces textes est un réel espoir pour les populations et une marque de volonté politique, même si elle est contrainte. L'histoire nous a déjà donné ce type d'exemples. En 1975, l'URSS signe les accords d'Helsinki, censés fixer le monde de la Guerre Froide, mais qui font référence aux droits de l'homme à plusieurs reprises. Immédiatement, les opposants s'emparent de ce document et ne cessent de l'évoquer lors des procès politiques intentés contre eux, ce qui contribue à l'affaiblissement du gouvernement soviétique de l'époque. Peut-on imaginer ce type d'évolution en Egypte ou en Syrie ? Qui sait...
D'autre part, des projets sont clairement énoncés, et qui ne cessent pas de m'étonner par leurs ambitions (vous les trouverez dans l'annexe) : dépollution de la Méditerranée, construction d'infrastructures de transport pour intégrer cet espace, constructions de plan de protection civile communs, grand projet sur l'énergie solaire... En clair, il y a des choses intéressantes, même si certains projets sont des reprises du processus de Barcelone. De plus, le projet final est la construction d'une zone de libre-échange qui pourrait avoir un effet sur les pays du Sud, même s'il est plus à craindre qu'on s'en serve comme marché secondaire pour nos produits agricoles et industriels...
Alors, y a-t-il des points négatifs dans ce texte ? Oh, que oui, et les journaux, de manière assez singulière d'ailleurs, ne les évoquent pas... Je t'en livre ici quelques-uns :
- Dans le point 12, l'immigration réapparaît. Certes, le texte se montre très évasif, mais l'objectif semble quand même de pousser les pays du Sud à prendre aussi en main ce problème. L'UE chercherait à repousser la frontière difficile à passer plus loin au Sud qu'elle ne s'y prendrait pas autrement.
- Le point 13 rappelle bien que participer au processus ne signifie pas du tout une future adhésion à l'UE. Si le Maroc en rêvait, il peut l'oublier. Quand aux Turcs, qui craignaient de se faire rejeter dans le processus en compensation d'un refus d'adhésion à l'UE, je pense qu'ils peuvent continuer à s'inquiéter.
- Le système a l'air très difficile à gérer, et d'ailleurs, les ministres doivent se revoir en novembre pour décider de quelque chose, car il n'a pas été possible d'arriver à un accord.
- Les budgets sont constants, et viennent principalement de l'UE, ce qui laisse penser que c'est nous qui déterminerons l'avenir de cette organisation. La différence Nord-Sud apparaît bien visible ici.
Pour conclure, cher lecteur, je pense que c'est un bon début, et que le fait de prendre en compte que la Méditerranée est un ensemble unique est une bonne chose. Cependant, le risque est grand que ce processus soit encore un moyen pour l'UE d'asseoir sa domination sur la région plus que de permettre aux États du Sud de croître. Il y a aussi un certain risque que tout cela n'aboutisse à rien, vu que de nombreux points restent en suspens... A suivre...
Tu plaisantes lol.
RépondreSupprimerCe texte baise les pieds du Processus de BArcelone. Il ose même évoquer "ses développements fructueux". Et quand la Pologne co-présidera l'UPM, ce sera définitivement ridicule !
Mais non, pas du tout. Pouvait-on vraiment construire quelque chose sans les autres pays de l'UE ? Je suis sûr du contraire. D'autre part, sans les grands pays du Nord, qui va payer ? L'Albanie ou la Grèce ? Non, il nous fallait l'Allemagne.
RépondreSupprimerCependant, je n'y crois pas beaucoup non plus. Mais n'oublions pas que les Allemands se baignent aussi dans la Méditerranée tous les étés.
C'est sur que c'est assez étrange, la présence de l'Allemagne dans l'UPM.
RépondreSupprimerLes ambitions sont immenses, mais s'il y a quelques résultats, ne serait ce qu'en matière de pollution de la Méditerranée, ça serait déjà formidable non ?
Enfin, peut être je suis naïve en matière de duplicité des hommes de pouvoir (issus d'une famille de dictateurs surtout), mais Bachar Al Assad m'a paru assez ouvert (et puis, il y a bien eu Juan Carlos ...).
Merci pour l'étude du texte, j'avais eu la flemme d'aller voir !
Je crois en effet que dans ce type de démarche, il faut jouer de la politique des petits pas. Il est sûr aussi que la dépollution de la Méditerranée serait déjà un bien.
RépondreSupprimerPar contre, imaginer al-Assad ouvert, c'est un pas que je ne franchirai pas...