En lisant ce billet de Nicolas tout à l'heure, qui régulait la place de son employeur dans sa vie quotidienne, je me suis rappelé une lointaine conversation que j'avais pu avoir avec l'un de mes précédents chefs d'établissement. Celui-ci disait en substance ceci :
"Quand j'étais jeune prof, les enseignants étaient beaucoup plus motivés qu'aujourd'hui. Ils faisaient des heures supplémentaires sans jamais demander à être payés. Ils acceptaient les surveillances, les examens, les heures en plus, les réunions sans se plaindre. Aujourd'hui, on a l'impression qu'on leur demande à chaque fois un truc énorme et ils réclament systématiquement de l'argent pour faire quoi que ce soit qui n'est pas imposé par leurs statuts. Tout se perd !"
A l'époque, ces récriminations des proviseurs, qui reviennent régulièrement à tout enseignant qui s'intéresse à ce genre de questions, me semblaient marquées par une nostalgie qui n'avait pas vraiment de sens. Pourtant, elle est, en réalité, une illustration du conflit que vit tout fonctionnaire.
En théorie, un fonctionnaire sert l'État. C'est ainsi que les choses sont spécifiées dans les divers statuts qui nous servent de référence. Nous devrions donc tous, qui que nous soyons, obéir à nos différents ministres avec reconnaissance. Comme ce ministre est représenté dans nos bahuts par un chef d'établissement, nous devrions avoir à cœur de servir et de boucher tous les trous que connaît le système si le chef le réclame.
De l'autre coté, et même si ce n'est pas toujours spécifié par notre hiérarchie, nous sommes aussi aux services de nos élèves. Nous leur devons des cours de qualité et une formation qui leur permet de se construire à la fois en tant que citoyen et en tant que travailleur.
Les enseignants sont donc tiraillés entre ces deux logiques. Vu le peu de respect dont nous jouissons de nos actuels dirigeants, la tendance est d'envoyer paître le chef lorsqu'il arrive avec ses gros sabots en nous demandant de bosser gratis, voire même de bosser en étant payé. Les refus des heures supplémentaires sont fréquents dans les salles des profs, alors que la défiscalisation les a rendues très attractives financièrement. De même, il est fréquent que les collègues ne participent pas aux multiples initiatives que le gouvernement propose dès qu'elles fonctionnent par volontariat.
Par contre, et c'est intéressant, les collègues n'hésitent pas à consacrer des temps très importants, et de manière gratuite, à se lancer dans des projets ou des actions qui ne viennent pas d'en haut, mais qu'ils estiment être intéressantes pour leurs élèves. Parfois, celles-ci peuvent s'avérer particulièrement chronophages. Pourtant, ces collègues ne réclament rien au chef, à la fois parce qu'ils réfléchissent d'abord dans l'intérêt des élèves mais aussi parce qu'ils ont le sentiment d'être efficaces et de faire des choses utiles. Ainsi, ils se réalisent.
La hiérarchie de l'éducation dit souvent aux enseignants qu'ils défendent leurs intérêts et qu'ils rejettent des idées qui pourraient être bonnes pour les gamins, surtout quand la majorité en place est de droite. En fait, beaucoup s'y opposent parce qu'ils n'y voient pas d'intérêt, parce qu'ils trouvent que le boulot à fournir n'en vaut pas la chandelle pour les gamins et qu'ils n'ont pas envie de se crever pour faire des trucs soit inutiles, soit franchement tendancieux. Ces débats échauffent parfois les salles des profs, car chacun, en fonction de ses idées, de ses valeurs, de ses lectures, développe des positions différentes. C'est d'ailleurs aussi ce qui fait la richesse du corps enseignant et qui donne aux élèves différentes visions d'un métier et différentes conceptions du service public.
En réalité, chaque enseignant tente de gérer ce difficile équilibre entre l'employeur et les usagers, tout en essayant d'y intégrer son intérêt propre (ai-je envie de travailler plus ? Ai-je besoin de fric ? Ai-je intérêt à être trois heures de plus devant des élèves pénibles ? Ai-je vraiment envie de passer ma vie au travail ?) et ses propres valeurs.
Chaque jeune prof se retrouve à un moment confronté à ces questionnements. Les réactions sont finalement très variées. Certains collègues décident d'obéir systématiquement au gouvernement parce que "c'est l'État" sans jamais contester ni récriminer (quel que soit le gouvernement en place) parfois parce que ce sont leurs valeurs mais parfois aussi parce qu'ils s'en balancent ; d'autres fluctuent et naviguent, changeant d'avis en fonction des périodes ; une partie passe son temps à s'opposer, souvent à raison mais quelque fois à tort, tout en appliquant tout de même les décisions de notre employeur lorsqu'elles passent ; quelques-uns, très peu nombreux, préfèrent désobéir et faire un peu ce qu'ils veulent parce qu'ils estiment que c'est meilleur pour les élèves.
Dans la très grande majorité des cas, les politiques gouvernementales sont appliquées, bon an mal an, mais elles sont aussi réinvesties et souvent détournées, les enseignants n'hésitant pas à utiliser un dispositif inutile au départ pour en faire un truc convenable et utile aux élèves.
A un moment ou à un autre, chaque jeune enseignant se pose ces questions et doit finir par se positionner. Voire la contradiction dès le départ permet de réfléchir et finalement de progresser.
Jeune prof, toi qui va bientôt débuter, réfléchis bien à cela. Certes, tu vas bosser pour les élèves mais aussi pour l'État, et tu devras toujours gérer cette contradiction.
"Quand j'étais jeune prof, les enseignants étaient beaucoup plus motivés qu'aujourd'hui. Ils faisaient des heures supplémentaires sans jamais demander à être payés. Ils acceptaient les surveillances, les examens, les heures en plus, les réunions sans se plaindre. Aujourd'hui, on a l'impression qu'on leur demande à chaque fois un truc énorme et ils réclament systématiquement de l'argent pour faire quoi que ce soit qui n'est pas imposé par leurs statuts. Tout se perd !"
A l'époque, ces récriminations des proviseurs, qui reviennent régulièrement à tout enseignant qui s'intéresse à ce genre de questions, me semblaient marquées par une nostalgie qui n'avait pas vraiment de sens. Pourtant, elle est, en réalité, une illustration du conflit que vit tout fonctionnaire.
En théorie, un fonctionnaire sert l'État. C'est ainsi que les choses sont spécifiées dans les divers statuts qui nous servent de référence. Nous devrions donc tous, qui que nous soyons, obéir à nos différents ministres avec reconnaissance. Comme ce ministre est représenté dans nos bahuts par un chef d'établissement, nous devrions avoir à cœur de servir et de boucher tous les trous que connaît le système si le chef le réclame.
De l'autre coté, et même si ce n'est pas toujours spécifié par notre hiérarchie, nous sommes aussi aux services de nos élèves. Nous leur devons des cours de qualité et une formation qui leur permet de se construire à la fois en tant que citoyen et en tant que travailleur.
Les enseignants sont donc tiraillés entre ces deux logiques. Vu le peu de respect dont nous jouissons de nos actuels dirigeants, la tendance est d'envoyer paître le chef lorsqu'il arrive avec ses gros sabots en nous demandant de bosser gratis, voire même de bosser en étant payé. Les refus des heures supplémentaires sont fréquents dans les salles des profs, alors que la défiscalisation les a rendues très attractives financièrement. De même, il est fréquent que les collègues ne participent pas aux multiples initiatives que le gouvernement propose dès qu'elles fonctionnent par volontariat.
Par contre, et c'est intéressant, les collègues n'hésitent pas à consacrer des temps très importants, et de manière gratuite, à se lancer dans des projets ou des actions qui ne viennent pas d'en haut, mais qu'ils estiment être intéressantes pour leurs élèves. Parfois, celles-ci peuvent s'avérer particulièrement chronophages. Pourtant, ces collègues ne réclament rien au chef, à la fois parce qu'ils réfléchissent d'abord dans l'intérêt des élèves mais aussi parce qu'ils ont le sentiment d'être efficaces et de faire des choses utiles. Ainsi, ils se réalisent.
La hiérarchie de l'éducation dit souvent aux enseignants qu'ils défendent leurs intérêts et qu'ils rejettent des idées qui pourraient être bonnes pour les gamins, surtout quand la majorité en place est de droite. En fait, beaucoup s'y opposent parce qu'ils n'y voient pas d'intérêt, parce qu'ils trouvent que le boulot à fournir n'en vaut pas la chandelle pour les gamins et qu'ils n'ont pas envie de se crever pour faire des trucs soit inutiles, soit franchement tendancieux. Ces débats échauffent parfois les salles des profs, car chacun, en fonction de ses idées, de ses valeurs, de ses lectures, développe des positions différentes. C'est d'ailleurs aussi ce qui fait la richesse du corps enseignant et qui donne aux élèves différentes visions d'un métier et différentes conceptions du service public.
En réalité, chaque enseignant tente de gérer ce difficile équilibre entre l'employeur et les usagers, tout en essayant d'y intégrer son intérêt propre (ai-je envie de travailler plus ? Ai-je besoin de fric ? Ai-je intérêt à être trois heures de plus devant des élèves pénibles ? Ai-je vraiment envie de passer ma vie au travail ?) et ses propres valeurs.
Chaque jeune prof se retrouve à un moment confronté à ces questionnements. Les réactions sont finalement très variées. Certains collègues décident d'obéir systématiquement au gouvernement parce que "c'est l'État" sans jamais contester ni récriminer (quel que soit le gouvernement en place) parfois parce que ce sont leurs valeurs mais parfois aussi parce qu'ils s'en balancent ; d'autres fluctuent et naviguent, changeant d'avis en fonction des périodes ; une partie passe son temps à s'opposer, souvent à raison mais quelque fois à tort, tout en appliquant tout de même les décisions de notre employeur lorsqu'elles passent ; quelques-uns, très peu nombreux, préfèrent désobéir et faire un peu ce qu'ils veulent parce qu'ils estiment que c'est meilleur pour les élèves.
Dans la très grande majorité des cas, les politiques gouvernementales sont appliquées, bon an mal an, mais elles sont aussi réinvesties et souvent détournées, les enseignants n'hésitant pas à utiliser un dispositif inutile au départ pour en faire un truc convenable et utile aux élèves.
A un moment ou à un autre, chaque jeune enseignant se pose ces questions et doit finir par se positionner. Voire la contradiction dès le départ permet de réfléchir et finalement de progresser.
Jeune prof, toi qui va bientôt débuter, réfléchis bien à cela. Certes, tu vas bosser pour les élèves mais aussi pour l'État, et tu devras toujours gérer cette contradiction.
La plupart de mes collègues profs ont "tranché" entre "servir l'état" (le plus grand nombre) et "s'opposer systématiquement" (très rare).
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai préféré brouiller les pistes : j'accepte régulièrement des heures sup (remplacements de collègues absents), mais je fais systématiquement grêve quand j'en ai l'occasion.
C'est un peu schyzophrène, mais ça m'évite d'être "catalogué"... et financièrement, tout ça s'équilibre !
Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites être "au service" de vos élèves. Je ne saurais (pour le moment) préciser ma pensée, mais il est clair que l'expression ne convient pas.
RépondreSupprimerAu service, c'est "voué prioritairement à l'instruction de mes élèves", non ?
RépondreSupprimer"quelques-uns, très peu nombreux, préfèrent désobéir et faire un peu ce qu'ils veulent parce qu'ils estiment que c'est meilleur pour les élèves."
"Dans la très grande majorité des cas, les politiques gouvernementales sont appliquées, bon an mal an, mais elles sont aussi réinvesties et souvent détournées, les enseignants n'hésitant pas à utiliser un dispositif inutile au départ pour en faire un truc convenable et utile aux élèves."
C'est un peu la même chose! Les instituteurs qui ont de la bouteille en ont vu défiler, des innovations et des réformes... qui n'ont pas, ou très peu, modifié leur façon d'enseigner la lecture, par exemple. l'équipement des classes de 3ème en ordinateurs portables n'a en rien changé les méthodes d'enseignement non plus. L'ordinateur n'est tout simplement pas utilisé. En zone rurale, on donne toujours un peu de devoirs le soir, en dépit de toutes les recommandations ministérielles...
@ Thierry : c'est vrai que les grèves coûtent chères. Je ne sais pas où tu enseignes, mais dans le 93, c'est assez partagé finalement, entre les différentes catégories.
RépondreSupprimer@ Didier : je les attends avec intérêt.
@ Suzanne : ben oui, c'est enseigner, la priorité.
L'interdiction des devoirs en primaire date de 1969. Ils sont quand même très en retard... :)
Un exemple de détournement parmi d'autres, l'année dernière j'ai co-animé un travail de vulgarisation scientifique sur des heures d'éducation civique dont les élèves n'avaient absolument pas besoin.
RépondreSupprimerça a très bien fonctionné.
il me semble qu'on peut résoudre cette apparente contradiction en se disant qu'on travaille pour la république, cad le corps constitué de la nation (ici, ses futurs citoyens qui doivent être le mieux formés et capables de prendre en main leur propre vie grâce à leurs connaissances et à la capacité à une prise de distance) ainsi que les valeurs immanentes qui s'incarnent dans l'institution (ce qui signifie aussi que, quand l'institution contrevient à ces valeurs immanentes, il devient un devoir du fonctionnaire d'y résister - par exemple, si nous vivions dans un pays qui demanderait à un enseignant de faciliter la déportation d'un élève sans papiers, ou de noter selon l'origine sociale ou la couleur de peau, l'enseignant pourrait "désobéir", au sens fort, puisque ces demandes iraient contre la mission qui lui a été confiée par la république).
RépondreSupprimerJoli billet...
RépondreSupprimer@ Florian : ouh là, tu ne devrais pas marquer ça ici. Tu vas te faire repérer par l'administration.
RépondreSupprimer@ Anonyme : cela ne me semble pas si pertinent. Votre vision est marquée par ce que j'appelais dans le billet "le service des élèves".
@ Faucon : merci.