vendredi 27 juin 2008

Une autre question sur les médias: peut-on vraiment les séparer du politique?

Depuis hier matin, les articles sur l'annonce de Nicolas Sarkozy sur la télévision publique ont fleuri dans les journaux autant que sur les blogs politiques de droite comme de gauche. Je vous en livre quelques-uns que j'ai trouvé assez intéressant: CaRéagit, le Chafouin, Partageons mon avis, ou encore Toréador, et je pense qu'il y en a bien d'autres.
Je voudrai tenter, cher lecteur, de poursuivre un peu les multiples réflexions entamées dans ces débats, en ajoutant ma petite pierre à l'édifice. La télévision a toujours été un problème de lutte politique en France, contrairement à d'autres pays où elle semble être une question relativement apaisée, comme aux Etats-Unis où le privé a tout contrôle, sans discussion sur le sujet. Fondée par l'Etat en 1946, la TV est restée réellement sous contrôle du gouvernement jusqu'au début des années 1980. Le général de Gaulle considérait d'ailleurs normal que la TV reflète les opinions du gouvernement, même s'il admettait qu'un temps d'antenne soit réservé à l'opposition. Aujourd'hui, hors campagne électorale, le temps télévisuel se divise en trois: un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité et un tiers pour l'opposition parlementaire. Cependant, la politique à la télévision ne se résume pas à l'intervention des militants, mais aussi au travail des journalistes. La TV a été exploitée à fond par le pouvoir gaulliste et son ministre de l'information Alain Peyrefitte. Cette situation a amené la gauche en 1981 à remettre en cause le contrôle direct de la TV par le pouvoir.
A partir de cette date, deux visions se développent régulièrement:
  • la première consiste à créer des autorités indépendantes du gouvernement pour contrôler l'ensemble de la sphère médiatique, et obliger le pouvoir à s'éloigner de ce champ d'intervention. Le CSA en est le dernier avatar (1988) et il est celui qui a duré le plus longtemps.
  • L'autre stratégie a consisté à introduire des médias privés pour qu'ils puissent concurrencer le secteur public, voire à privatiser une partie de celui-ci, en considérant que la propriété privée devrait protéger l'information de la mainmise du pouvoir politique. Chirac n'a pas présenté autrement la privatisation de TF1 en 1987.

Ces deux stratégies ont été autant appliquées par la gauche et par la droite. On oublie souvent que Canal+ a été fondée par des amis de Mitterrand et que la défunte Cinq devait introduire l'empire berlusconien sur le PAF français. Au total, il y a donc eu une véritable réflexion sur ce problème de l'autonomie des médias. Il est d'importance, car le citoyen a besoin d'une information fiable pour pouvoir prendre en son âme et conscience ses décisions. Pourtant, malgré ce processus régulier d'éloignement du pouvoir, les médias ne sont finalement pas plus crédibles au niveau de l'objectivité qu'auparavant. Souvenons-nous que TF1 a maintenant un directeur des programmes qui a auparavant dirigé la campagne de Sarkozy, que les Français sont persuadés qu'ils ne peuvent pas faire confiance à la TV et que le citoyen est toujours sûr que le journaliste est systématiquement du camp opposé au sien.

Il est vrai que Sarkozy revient en arrière. Personnellement, je pense qu'il fait une vraie erreur de stratégie politique. Tout le monde sait qu'il est déjà omniprésent, et que le fait qu'il nomme le PDG de France Télévisions ne changera pas grand-chose à cela. Il s'agit même d'un aveu de faiblesse, car il prend le contrôle au grand jour et il sera d'autant plus facile à ses opposants de le critiquer là-dessus: lorsque le roi est nu, il se met en danger. Sarkozy excelle dans ce type de choix: effacer le premier ministre, être partout dans les médias, traiter de tous les thèmes, prenant le risque de s'affaiblir un peu plus chaque jour (Si tu ne crois pas en cette idée, vois le tollé suscité par l'annonce de la nouvelle: cela aurait été bien plus calme s'il avait simplement viré de Carolis et mis un pote à la place...). En plus, il sait très bien que le Parlement ne refusera jamais sa nomination, car le président peut dissoudre l'Assemblée nationale, et les députés n'aiment pas devoir rejouer leurs sièges trop souvent...

Le vrai problème n'est pas là. Avec le CSA, la TV publique (au moins) pouvait espérer être un peu tranquille et avoir une certaine latitude de manoeuvre. Elle l'aura sans doute toujours, mais la nomination directe par le président de son chef va tout simplement décrédibiliser l'information diffusée. Voici donc le topo: les chaînes privées sont soupçonnables à cause de leurs liens avec les hommes politiques au pouvoir, les chaînes publiques le sont aussi parce que le pouvoir nomme le chef. Reste-t-il au citoyen un moyen télévisuel pour s'informer sans devoir être méfiant?

Contrairement à d'autres blogueurs, je crois que la TV a une réelle importance pour la démocratie, car c'est, pour une majorité de nos concitoyens, le seul média utilisé, et Sarkozy s'emploie à rendre l'ensemble de l'information qu'elle diffuse ambiguë et floue.

Contrairement à ce qu'affirmait Libé hier, je pense que le CSA n'était pas la panacée. Vu la structure inégalitaire de notre société, séparer les médias des pouvoirs, qu'ils soient économiques ou politiques relève de la gageure. L'important est de tout faire pour que les pouvoirs de décision ne puissent pas complètement contrôler l'information, mais que cette information reste potentiellement crédible pour le citoyen. Sans information fiable, la dictature est proche, car on peut toujours s'imaginer que la TV dit n'importe quoi, et se sentir totalement démuni devant les choix qui sont devant nous.

Que faudrait-il faire alors? Je plaide pour la création d'établissements publics indépendants pour les chaînes publiques, dans lesquels le pouvoir exécutif n'aurait pas de possibilité d'intervention. Pourquoi ne pas imaginer que cela soit le Parlement qui nomme le PDG de France Télévisions, sur proposition du CSA, à la majorité des 3/5e. Ce même Parlement allouerait les crédits, gérerait la question de la pub, tout en cadrant les types de programme et les objectifs culturels. Pour les chaînes privées, à part les nationaliser, ce dont je ne vois pas l'intérêt, il n'y a rien à changer, car on connaît déjà leurs positions... Pitié, laissons le président hors de cela...

13 commentaires:

  1. "Contrairement à d'autres blogueurs, je crois que la TV a une réelle importance pour la démocratie"

    Quels blogueurs ?

    L'importance de la télé est évidente. D'ailleurs pas seulement celle de l'actualité et les émissions politiques : toutes les émissions, mêmes les fictions.

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  2. Je découvre ton blog - et par la même occasion que tu es un kiwiphage :-)) - et je trouve ton analyse très intéressante. Sur le fond, n'oublions pas que pour le pouvoir actuel, la véritable TV d'Etat c'est TF1 !

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  3. Bonjour et merci pour vos commentaires.

    @ Nicolas: j'ai lu tout cela sur des blogs de Kiwis, mais je ne sais plus lesquels. Ils insistent plutôt sur l'aspect programmatique de la TV, et considèrent que finalement, tout cela n'est pas très important, car au moins, la pub va sauter (entre 20h et 6h...). Pour ce qui est de l'ensemble des programmes, c'est sans doute juste, mais j'admets être assez insensible à l'impact de nombreux programmes sur la vie politique. Peux-tu nous donner des exemples?

    @ Toréador: Je ne suis pas d'accord avec toi. TF1 soutient Sarkozy, mais elle tournera casaque dès qu'il deviendra vraiment impopulaire. N'oublions pas qu'elle a lâché Balladur en 1995 dès qu'il a commencé à s'effondrer, Sarkozy en 1999 et Chirac dès 2005. Au moins, avec France Télévisions soumises, Sarko a les mains libres...

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  4. Mathieu,

    Je regarde assez peu la télé, mais c'est facile de créer une ambiance avec des programmes. Hop ! Un film avec une petite vieille qui se fait arracher sa carte bancaire, un avec un vieux qui se fait égorger, un autre avec un môme violé...

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  5. Nicolas,

    Je crois quand même que nos concitoyens sont capables de faire la part des choses entre ce qu'ils voient dans un film et leurs réalités. Je sais que cela a souvent été un argument avancé par les politiques pour justifier le fameux sentiment d'insécurité. Pour moi, cela relève plus de l'esprit de chaque individu, qui a une tendance à l'angoisse ou pas. A ce moment-là, la TV a un réel impact...

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  6. Hier soir mon pote a pesté contre la télé d'un seul coup à cause d'une annonce de "pub" disant:
    "Vous attendez le pouvoir d'achat? Nous aussi!"
    Même pendant la mi-temps d'un match de foot on nous rappelle qu'on est dans la merde.

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  7. Ca, c'est le gouvernement qui fait de la propagande. J'espère d'ailleurs que la suppression de la pub sur la TV publique permettra de stopper aussi ce type de pub politiques...

    A bientôt,

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  8. Tu devrais postuler à Kiwis ...

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  9. Qu'est-ce que c'est exactement? Je ne connais pas encore bien la blogosphère...

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  10. C'est un groupe de blogueurs de droite mais quand on le dit, ils se fâchent.

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  11. Bizarre... Pourquoi un groupe de blogueurs de droite viendrait me démarcher? Ce n'est pas très cohérent, non?

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  12. Il te démarche pas ! Tu cites Toréador, il vient te voir et te met un commentaire. Il vient de faire pareil sur une de mes annexes.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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