samedi 20 juin 2009

Quelques questions sur le traitement médiatique du procès Courjault.

Hier matin, en me rendant dans mon lycée dit difficile, j'ai entendu, sur France Inter, le mari de Véronique Courjault se réjouir du retour prochain de sa femme auprès de lui et de leurs enfants. Une espèce de consensus mou s'était dégagé dans la presse ces derniers jours concernant ce dossier : cette femme était victime de processus psychologiques qu'elle ne maîtrisait pas, était sous l'influence d'une famille névrosée et méritait donc la clémence de la justice. On louait partout la repentance de l'accusée.

Dès ce moment, j'ai ressenti une véritable gène devant la manière dont les médias avait traité le problème, et des questions ont commencé à poindre. Une discussion avec ma conjointe, de retour d'une journée de colloque concernant la pédophilie féminine et les souffrances des enfants m'ont permis de les clarifier un peu. N'aimant pas me poser des questions tout seul, je te les soumets, cher lecteur attentif. Elles concernent la manière dont les médias ont traité le sujet et les valeurs qu'ils n'ont pas cessé de diffuser, et non pas le cours du procès et le verdict en lui-même, que je suis bien incapable de commenter.

Le déni de grossesse est-il un crime en lui-même ?

Depuis que le procès a débuté, les médias ont progressivement mis en avant cette notion de déni de grossesse. Certes, il s'agit d'une analyse psychanalytique du problème, et au moment des témoignages des autres membres de la famille de Véronique Courjault, les journalistes ont largement débroussaillé ce qui avait pu l'entraîner. Progressivement, et finalement hier, cette notion du déni est devenu tellement prégnante qu'on a eu le sentiment que les assises d'Indre-et-Loire jugeaient en réalité un déni de grossesse. Or, il me semble que ce procès concernait quelque chose de bien plus grave : on jugeait trois meurtres ! Oui, cher lecteur, trois meurtres. Je sais que cela peut étonner après le traitement médiatique du sujet, mais le déni de grossesse ne pouvait être, dans ce cas, qu'une explication possible du crime, voire éventuellement d'une circonstance aggravante ou atténuante, mais ce n'était pas le thème du procès. Or, les journalistes n'ont pas cessé d'effacer cette notion de meurtre. Je trouve qu'il y a là une confusion grave et qui brouille la compréhension réelle de cette affaire.

Comment gérer la parole du mari et des enfants ?

Jean-Louis Courjault n'a cessé d'intervenir dans les médias durant le procès, ce qui est normal vu le contexte, mais surtout, les médias n'ont pas cessé de relayer sa parole. Le mari a développé un argumentaire s'appuyant sur le rôle de bonne mère de l'accusée et sur le besoin que ses enfants avaient de la revoir. A chaque fois que les médias ont mis en avant cette logique, mon malaise s'est accru. En effet, on pouvait réellement s'interroger, après un tel procès, sur le fait de confier à nouveau deux gamins à ce couple, vu que la mère a tout de même éliminé 60% de la famille. Or, cette question n'a jamais été vraiment posée par la sphère médiatique (j'ignore si elle l'a été au procès), toute gargarisée par le rôle de mère de l'accusée. En clair, comme elle est mère, et ce malgré le fait qu'elle ait tué la majorité de ses enfants, Véronique Courjault doit sortir rapidement de prison pour retourner s'occuper d'enfants qui ne pourraient se développer de manière équilibrée sans elle. J'admets rester circonspect devant ce raisonnement médiatique. La justice ôte régulièrement la garde d'enfants à des parents bien moins inquiétants que ceux-là…

Être mère excuse-t-il tout ?

Cette question est entraînée par la dernière. Je me suis demandé : que se serait-il passé si c'était le mari qui avait sciemment éliminé ses enfants et qui était victime du déni de grossesse comme sa femme ? A mon avis, la condamnation aurait été bien plus sévère, tout simplement parce qu'un homme est considéré comme bien plus dangereux, et sa condition de père ne prend pas le dessus. Dès le premier meurtre, un homme aurait pris 20 ans de réclusion. Or, dans ce cas précis, l'accusée échappe à sa condamnation du fait de sa condition de mère, qui outrepasse sa condition de citoyenne responsable de ses actes. J'ai même entendu un journaliste sur Inter (je ne me souviens plus de qui) expliquant qu'on pouvait la remettre rapidement en liberté car elle était dans l'impossibilité de toute façon d'avoir un nouvel enfant, ce qui éliminait le risque. Or, un homme, lui, ai-je poursuivi dans ma tête, peut toujours avoir des enfants et reste donc dangereux. A mon sens, on trouve là, dans nos médias, une véritable iniquité de traitement. De plus, je suis persuadé que pourrissent en prison de nombreux meurtriers qui ne pourraient plus commettre leurs crimes aujourd'hui et qui se repentent vraiment, mais qu'on n'est pas prêt de libérer pour autant.

Ce traitement médiatique est-il un bon signe pour les femmes ?

Pour en finir, cette dernière question n'est pas la plus anecdotique. Il est évident que Véronique Courjault a été traitée comme une mère et non pas comme une femme citoyenne et responsable. Cela signifie donc que la condition de mère, à partir du moment où une femme l'est, outrepasse le reste. Donc, les femmes ne restent pas femmes lorsqu'elles deviennent mère. De plus, cela signifie aussi que les maltraitances faites par les femmes aux enfants sont moins sévèrement punies que lorsqu'elles sont commises par les hommes. Comme le signale Michel Redon, un homme sera qualifié de salaud s'il commet de tels actes, mais il n'existe pas de vocabulaire dédié aux maltraitances faites par les femmes aux enfants.

Je ne sais pas ce qu'en pensent mes camarades blogueuses, mais il est anormal que les femmes soient traitées par la justice de manière différente des hommes. Cela perpétue un certain machisme ambiant déjà prégnant, ne protège pas les enfants de tous les dangers et laisse penser qu'une mère, du fait de son rôle particulier, peut être exonéré de tout. Or, à mon sens, les femmes ne seront égales aux hommes que lorsque la société considérera qu'elles sont autant responsables, autant dangereuses et aussi condamnables que les hommes pour des crimes identiques.

Je te laisse ces questions, cher lecteur. Libre à toi d'y apporter tes réponses en commentaire ou, si tu es blogueur et que le thème t'intéresse, d'y consacrer une petite note…

27 commentaires:

  1. Vous posez des questions passionnantes, mais qui demandent – qui méritent – plus qu'un commentaire en deux lignes. Or, je viens de pondre (avec difficulté pour une fois) un billet de huit mille signes chez moi et je suis un peu fatigué d'écrire et de réfléchir. Donc, je repasse plus tard...

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  2. Je ne parlerai pas de l'aspect médiatique de l'affaire, d'autant plus que n'étant pas résidente en France je n'en sais pas grand chose.
    Juste pour dire que si le déni de grossesse relève effectivement de la psychanalyse et de la psychiatrie dans les sociétés occidentales contemporaines, l'infanticide (et c'est bien de cela qu'il s'agit) a été pratiqué dans toutes les sociétés, y compris en Europe, comme moyen de régulation des naissances (et l'est encore dans certaines sociétés).

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  3. je trouve difficile d'avoir un avis sur un jugement lorsqu'on n'a pas assisté au procés. je ne veux ni excuser ni juger.
    je peux juste en dire 3 choses :
    - le déni de grossesse semble une réalité et je suppose que lorsq'une femme tue son enfant à la naissance elle est dans un état psychologique et physiologique qui n'est pas habituel.
    - 8 ans c'est la même peine que Bertrand Cantat donc ça ne me parait pas une peine réduite par rapport à un crime commis par un homme
    - on a beaucoup entendu parler ces dernières semaines de 2 procès (avec l'affaire Stern) de femmes, je m'étonne qu'on n'entende jamais parler des 160 conjugaux crimes commis par des hommes

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  4. Juste une question en passant (qui s'adresse plus aux femmes du reste) : le déni de grossesse quand on est enceinte, je peux comprendre ; mais une fois que l'enfant est né ?

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  5. @ Didier : alors, à plus tard.

    @ Floréal : soit, mais je ne vois pas bien le rapport avec le sujet du billet.

    @ Olympe : attention, mon billet parle des médias et pas du procès en lui-même.

    Quelques réponses au reste :
    - On peut sans doute le dire de n'importe quel meurtrier à un moment précis.
    - Pourtant, Bertrand Cantat n'a tué qu'une personne, et, en France, on a tendance à aggraver les peines lorsqu'il s'agit d'enfants.
    - Je ne vois pas le rapport. Je déplore totalement qu'on n'en parle pas, mais cette affaire n'est pas un crime conjugal.

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. Non, il ne me semble pas injuste que soient traités différemment des actes selon qu'ils sont commis par des hommes ou par des femmes, quand se mêlent au délit des pathologies qui sont induites par la maternité.

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  9. @ Suzanne : tu introduis donc une différence dans le traitement du meurtre en fonction des pathologies de la maternité ? J'aimerais bien lire une argumentation.

    De plus, doit-on prendre en compte la paternité chez les hommes ?

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  10. Mathieu: si on admet que le déni de grossesse existe en tant que pahologie, désordre mental, ce ne peut être qu'une pathologie féminine.
    Je ne pense pas qu'il puisse y avoir quelque chose d'équivalent chez les hommes, par nature.
    Dans le déni de grossesse, il n'y a pas d'enfant, donc pas d'infanticide. La femme n'est pas enceinte (son corps ne se modifie pas, le ventre ne "sort" pas. Il n'y a pas d'accouchement, mais quelques douleurs abdominales, et l'expulsion de quelque chose qu'on n'entend pas gémir ou crier, puisque c'est une chose. On peut trouver ça fou, ça l'est. Dans cette affaire là, on pouvait se demander s'il y avait pure pathologie, et si elle ne touchait que la mère.

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  11. @ Suzanne : mais ce n'est pas le sujet ! Le tribunal juge trois meurtres, et le déni n'existe pas dans le code pénal. Je trouve que tu confonds les causes des meurtres avec les meurtres en eux-mêmes. Le déni est une circonstance, et non pas le fait qu'on devait juger et punir.

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  12. Mathieu, si j'ai bien suivi le tribunal n'a reconnu que 2 meurtres.
    pour ce qui est des médias, ils font comme d'hab du sensationnel ou de quoi faire pleurer dans les chaumières et quand je dis que l'on a entendu parler que de 2 procés jugeant des femmes, ce sont bien les médias que j'accuse puisque ce sont eux qui choisissent de parler de telle ou telle affaire.

    et quand tu écris "dès le premier meurtre un homme aurait pris 20 ans de réclusion" ce ne sont pas des médias que tu parles. Or cette situation est impossible à vivre pour un homme on ne peut donc pas comparer. lorsqu'un homme tue un enfant c'est toujours dans des conditions autres.

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  13. Mathieu : le déni n'existe pas dans le code pénal mais la folie, si !

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  14. Je ne comprends pas ce que tu ne comprends pas, en fait.

    le déni de grossesse est une pathologie, comme le syndrome de Munchausen par procuration (ces femmes qui vont jusuq'à tuer leur enfant en les rendant toujours malades pour ne s'occuper d'eux qu'en les soignant) Maltraitance, mort, dues à la folie de la mère. On ne peut pas juger de la même façon les parents qui ne sont pas fous et ceux qui le sont.

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  15. Folie, admettons. Mais dans ce cas, une peine de prison, même légère, est parfaitement inadaptée, non ?

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  16. Didier : à mon avis, oui, mais c'est le degré de folie qui doit être difficile à évaluer. Le fou homicide et l'homicide pas fou, on essaie de les empêcher de nuire, en tout cas. Sans compter que le déni de grossesse a peut-être le dos large dans ce cas où toute la famille a l'air un peu bizarre.( enfin, ce que les média présentent de la famille en donne une impression pas qu'un peu bizare, plutôt.)

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  17. @ Olympe : en fait, mon billet parle des médias. Je reste persuadé qu'un homme aurait été lynché par la presse. Et désolé, pathologie comprise, je ne vois pas en quoi une femme est moins condamnable. Il faut prendre en compte la pathologie dans les circonstances.

    @ Suzanne : si le tribunal l'avait reconnue folle, elle n'aurait pas été mise en prison. Or, les médias l'ont présenté comme atteinte mais pas comme folle. D'ailleurs, doit-on dire qu'il est bon de rendre deux enfants à une folle ?

    @ Didier : elle est en effet inadaptée...

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  18. Mathieu : il y a beaucoup d'enfants qui vivent avec des parents fous, des parents qui sont allés en prison pour viol sur mineur, maltraitance, etc. Quand la peine de cette dame sera purgée, il y aura une enquête pour voir si ses grands enfants courent un danger en vivant avec elle.

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  19. Et un homme aurait été lynché par la presse, évidemment, comme le sont les jeunes mères qui noient ou étouffent leur enfants pour pouvoir sortir et s'amuser, ou tous les parents qui oublient leur nourrisson dans une voiture au soleil, ou le secouent jusqu'au coma pour faire taire ses pleurs la nuit.

    Dans cette affaire, si les media ne lynchent pas la femme, c'est parce qu'ils sentent bien que le cas est limite, qu'on étend un voile charitable et gêné sur la folie, ce n'est pas par gynophilie, enfin, je ne crois pas.

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  20. Ce n'est certainement pas par gynophilie qu'on étend ce voile "charitable" et "géné" sur la folie, effectivement!
    Cette femme est un ratage complet du formatage patriarcale, c'est cela, sa "maladie" aux yeux d'une société qui n'accepte pas que les femmes puissent refuser la maternité.
    Le ratage du formatage lié à une fragilité psychique a fait qu'au lieu de prendre un contraceptif ou d'aller avorter comme n'importe quelle "civilisée" occidentale, pour des raisons assez obscures de pertes de repères et d'isolement, elle a regressé au stade le plus primitif qui soit.

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  21. @ Suzanne : j'espère que cette enquête aura bien lieu. Pour le voile sur ce cas, je trouve les médias bien indulgents dans ce cas.

    @ Floréal : il existe des moyens, dans ce pays pour refuser la maternité, autres que le meurtre. C'est bien pour cela que le traitement de ce procès par les médias est vraiment limite.

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  22. Ce n'est pas une iniquité de traitement, c'est la reconnaissance implicite de l'échec du patriarcat à formater les femmes en bonnes reproductrices heureuses de la fonction considérée principale qu'il leur attribue sans se soucier de savoir si elles sont d'accord là-dessus. C'est cet échec que les médias, expression du patriarcat dominant, préfèrent voiler. L'"équité" n'en aurait pas été une, elle n'aurait pas été autre chose qu'un acharnement suplémentaire sur le féminin, sur lequel les médias ne s'acharnent déjà que trop. Ils ont mis une sourdine à leur zèle, par décence.

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  23. @ Floréal : on est d'accord sur l'analyse des causes, mais en désaccord sur les conséquences en fait.

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  24. J'arrive un peu tard dans la discussion. je n'ai aucun avis sur le procès et son traitement par les médias car je n'ai pas suivi l'affaire.

    Sinon sur la différence de traitement des mères, comme le fait remarquer Floréal, c'est un reste du patriarcat qui a toujours sacralisé la mère et nié la féminité en dehors de la maternité. Les mentalités étant les choses les plus lentes à changer, rien d'étonnant que, même aujourd'hui on l'on souhaite une égalité parfaite entre hommes et femmes, cela intervienne.

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  25. @ Polluxe : d'accord avec toi sur l'analyse.

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  26. Salut Matthieu. Ton billet parle des médias. Je ne vais pas lire tous les comm, car le sujet me bouleverse et j'ai peur de partir en vrille. Je fais un billet dessus. C'est bien que tu en aies parlé.

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