jeudi 8 mai 2008

De l'usage de la culpabilité en politique (partie 2): défranchisons la Sécurité Sociale!

Alors, cher lecteur, je vais commencer sur le premier de ces quatre points. Depuis 1945, l'assurance-maladie est l'une des trois branches de notre sécurité sociale. Le principe idéologique en était simple: il s'agissait d'assurer à tous une couverture-maladie qui permette à la très grande majorité des citoyens de ne plus être dépendants de leurs revenus pour se soigner. Cela a permis de réduire la part dans le budget des ménages de la santé, et a participé à la forte hausse de la consommation durant les Trente Glorieuses. Certes, cette assurance se paie: chaque salarié, retraité et entreprise verse une partie de ses revenus dans les caisses de la Sécurité Sociale, mais le bénéfice en est immense. L'espérance de vie des classes moyennes et des pauvres est passée de 65 ans en 1945 à 79 ans aujourd'hui, et a pu bénéficier des immenses progrès de la médecine. De plus, le coût en a été vite gommé dans les années 1950 par la hausse des revenus et l'inflation dans les années 1950, et les foyers de l'époque l'ont vite oublié.

Hélas, cher lecteur, la Sécurité Sociale va mal financièrement, et particulièrement sa branche maladie. Si on écoute Sarkozy, il semble bien que les malades, devenus négligents et laxistes, abusent fortement de sa bonté. Pourtant, quand on se penche un peu sur les ouvrages qui traitent du problème, on constate que les causes du déficit sont nombreuses et ne sont pas que liées aux dépenses en antidépresseurs des Français. Bien au contraire, les causes apparaissent d'abord structurelles: hausse de l'espérance de vie qui accroît la durée des soins des personnes âgées, coût de plus en plus important des traitements médicaux modernes (sur les cancers par exemple), prise en charge des personnes dépendantes de plus en plus chères (car, là encore, les gens vivent de plus en plus vieux). Mais il n'y a pas que cela, cher lecteur! Les rapports sur la Sécurité Sociale, par exemple de la Cour des Comptes, soulignent aussi les choix politiques de nos gouvernements: ceux-ci ont cherché à ne pas augmenter les cotisations sociales pour permettre d'accroître les disponibilités en capital des entreprises et relancer l'économie vacillante de la France. Enfin, il ne faut pas oublier que la situation sociale pèse lourd. Les cotisations sociales sont prélevées sur les salaires et leur stagnation pèse sur les recettes de la Sécu, alors que les traitements et les médicaments sont touchés par l'inflation. Et que dire des deux millions de chômeurs et des trois millions de travailleurs précaires, qui coûtent autant voire plus que les autres, et ne rapportent rien aux caisses? Tu peux donc constater, lecteur attentif, que les causes de trou sont multiples, et ne peuvent se résumer à la simple décadence des pratiques médicales des Français.

Pourtant, le discours du président a un succès certain. L'idée simple de la responsabilité des citoyens a l'avantage de dresser les personnes qui ont un bon comportement contre ceux qui n'en auraient pas. Alors, je vais tenter de rentrer dans cette logique. Imaginons que je sois un individu normal, avec un mode de vie normal. Je conduis un peu trop brutalement, et, un jour de malchance, je m'emplafonne dans une autre bagnole, je me blesse et je blesse un autre conducteur. A ce moment-là, on peut dire que je suis responsable de ma blessure et, qu'en plus, j'ai blessé une autre personne. Dans ce cas précis, la Sécurité sociale doit-elle rembourser mes soins, ou exiger que je paie? Là, cela semble simple, mais je pourrais toujours arguer que j'étais inattentif, qu'en ce moment, c'est dur au boulot, que je pensais à ma femme qui est malade, que j'avais simplement autre chose en tête ou que j'ai vu passer une jolie fille sur le côté qui m'a détournée de la route. En plus, je n'avais jamais eu d'accident avant. Cela promet de beaux procès en perspective.
Autre exemple: je suis un grand fumeur et je développe un cancer des poumons. Cela est simple: je clope, je suis coupable! Mais non, voyons, avec la pollution, les substances qu'on respire en permanence, les ondes qui nous traversent, mon état psychologique, je pourrai démontrer de mille manières que ce n'est finalement pas forcément de ma faute, et que c'est démontrable en plus!

En clair, ce discours de la responsabilité ouvre une boite de Pandore terrible. Il est quasiment impossible de déterminer les causes exactes de la quasi-totalité des affections. Dans tous les cas, les responsabilités sont au moins partagées. Les employeurs en sont bien conscients, eux qui considèrent que la Sécu doit prendre en charge les affections du travail dont ils sont en partie responsables et qu'il ne peuvent parfois pas éviter, je le reconnais (pour toi, employeur qui te sentirait agressé par mon discours). La doctrine de la responsabilité prise en charge par la collectivité est donc la seule qui tienne la route: elle permet à tous de se faire soigner, évite le recours à des procédures juridiques complexes, et capte finalement moins de capital que le système d'assurances privées (14% du PIB des Etats-Unis contre 9% de celui de la France) ce qui augmente les liquidités disponibles. Les franchises ouvrent une brèche vers cette logique-là, et, il n'y a pas à dire, c'est dangereux.

Alors, c'est vrai, cher lecteur, cela implique que tu acceptes de payer pour les autres. Mais, dis-toi qu'ils paieront pour toi lorsque tu seras malade, y compris les fumeurs, les alcooliques et les chauffards.

Reste à savoir comment rééquilibrer les comptes sans baisser les prestations. Pour moi, en ayant lu un peu sur ce sujet de par mon parcours professionnel et en suivant l'actualité, je proposerai plusieurs idées ci-dessous:
  • Tout d'abord, il faut à mon avis revoir les financements avant tout. On pourrait d'abord taxer plus les entreprises qui sont à l'origine de maladies du travail plus importantes ou qui ont un haut taux d'accident du travail. Cela les obligerait à réduire les frais en tentant de mener des politiques plus cohérentes.
  • Il faut taxer l'ensemble des revenus, et pas seulement ceux du travail. Tous les revenus du capital doivent être concernés par les cotisations sociales. Cela permettrait une nette hausse et dégagerait un peu de l'épargne considérable qui n'a cessé de croître depuis les années 1970. De toute façon, les capitalistes y récupéreraient une santé gratuite, ce qui les intéresse aussi, plutôt que de payer des assurances-santé privées et des frais médicaux importants.
  • Il faut aussi fusionner l'ensemble des caisses et des mutuelles dans le régime général et rembourser à 100%. Il me semble aberrant que nous entretenions une multitude de modes de remboursement et de salariés qui rendent le service inégalitaire.
  • Il faut ajouter aux ressources de la Sécurité sociale un certain nombre d'impôts qui vont actuellement dans les caisses de l'Etat. Ainsi je propose de détourner la taxe sur les tabacs entièrement sur la Sécurité sociale, de même que sur les alcools et tout produit qui dégrade la santé des citoyens, tout en n'interdisant rien, car on est libre de se détruire après tout. Je propose aussi que si l'on invente une taxe sur la pollution, une partie aille à la Sécu à cause des frais occasionnés, en particulier sur l'essence. Je sais ce que tu vas me dire, cher lecteur: "encore plus de taxes sur l'essence!!!???" De toute façon, il faudrait bien réussir à s'en passer, alors, autant la rendre chère au maximum possible.
  • Et puis, et je crois que c'est lié, il faut qu'on accepte de relancer la dynamique salariale. En dehors de détourner une partie des capitaux de l'épargne vers la consommation, cela permettrait une hausse des cotisations sociales et donc de la Sécurité sociale, car j'imagine qu'on ne parviendra jamais à taxer beaucoup le capital.
  • Une dernière idée que j'ai relevé me pose question et je te la soumets. Il s'agit de laisser aller le déficit et de faire jouer la planche à billet, relançant ainsi l'inflation. Là, j'admets que je suis démuni au niveau intellectuel en économie pour savoir ce que cela aurait comme impact sur l'économie. Si quelqu'un a une idée là-dessus, qu'il en fasse profiter les autres. Sache toutefois que c'est interdit par le traité de Maastricht, et qu'il faudrait de la détermination à un politicien pour se lancer là-dedans.

Évidemment, il ne s'agit que de quelques pistes que j'ai trouvé intéressante et qui permettent de sortir de la responsabilité uniquement individuelle. Le jour où on sera capable de dire systématiquement d'où vient une affection, on pourra y revenir, mais j'espère que cela n'arrivera jamais, car, là, vive l'avènement de la tyrannie et de la moralité.

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