Plus j'avance dans ma carrière d'enseignant, et plus la manière dont j'ai été recruté et dont j'ai été formé me pose un réel problème. Je vais ici développer, cher lecteur, des positions que tu n'entends pas souvent chez les profs, mais qui sont sans aucun doute des pistes importantes de réformes qui amélioreraient singulièrement le fonctionnement actuel de l'Education Nationale.
Si, cher lecteur, il te prenait un jour l'idée d'être professeur titulaire du secondaire, je peux te dire que tu t'engagerai dans un véritable parcours du combattant. Tout d'abord, il te faudrait au moins une licence, voire un master, pour être sûre que tu as des connaissances au moins minimum sur ce que tu dois enseigner. Ensuite, tu devrais affronter un concours d'une extrême difficulté. Malgré le fait que le métier soit de plus en plus dévalorisé, le nombre de candidats est toujours aussi important. L'an dernier, à l'agrégation d'histoire, pour une centaine de postes, près de 5000 personnes se sont inscrites: cela te donne un taux de réussite de 2%, pour une année complète de travail. Tu devras ensuite affronter un écrit très sélectif sur ta discipline, et l'Etat prend le double de candidats que de postes disponibles. Tu passeras ensuite des oraux sur ta discipline durant laquelle la moitié des sélectionnés sera éliminée. Et cela ne s'arrête pas là: tu seras placé à l'IUFM pendant un an, période durant laquelle tu enseigneras 8 heures par semaine tout en suivant une formation sur la pédagogie, que tu n'auras pas étudié auparavant. Enfin, tu seras titularisé et pourras commencer ta carrière.
Où est le problème, cher lecteur? Je te rappelais dans un billet précédent que tu avais sans doute connu des profs dans ta carrière d'élève que tu avais trouvé nuls, et que tu t'étais demandé ce qu'ils faisaient là. Je t'ai expliqué pourquoi cela arrivait chez les remplaçants contractuels. Cela arrive aussi chez les titulaires. En effet, comme tu viens de le lire, on ne vérifie jamais deux choses qui me semblent fondamentales. Tout d'abord, on ne regarde pas si un candidat a un bon contact avec les adolescents. C'est un vrai problème, et il est très difficile de virer un enseignant pour cela, car il y a beaucoup de subjectif là-dedans. Ces profs-là souffrent pourtant d'une maltraitance souvent violente des élèves, en particulier dans les bahuts difficiles. La deuxième chose est qu'on ne regarde jamais non plus si les enseignants aiment leur métier et se vivent comme des personnes qui aiment transmettre aux jeunes. Beaucoup de profs n'aiment pas ou plus leur métier, mais ils n'ont aucun moyen facile de changer de voie; notre formation professionnelle est faible, et l'Etat n'offre aucune facilité à un prof qui s'ennuie de partir décemment. Sachez que la mesure de Sarkozy sur le départ volontaire des fonctionnaires contre deux ans de salaire brut, ce qui pourrait permettre cela, n'est toujours pas appliquée. Enfin, les profs en souffrance, et ils sont nombreux, ne sont pas gérés par le ministère qui, au mieux, les ignore et au pire, les sanctionne.
Alors, que faudrait-il faire? Je propose ci-dessous quelques idées:
Contrairement à ce qui est souvent dit, je pense qu'il faut maintenir un concours difficile au départ, car le niveau disciplinaire du prof doit être bon! C'est ce qui fait la force de notre Éducation Nationale, et cela doit être maintenu.
Ensuite, la formation doit être modifiée fondamentalement. On n'a pas besoin de revenir sur les connaissances dans les disciplines, vérifiées auparavant. Je ne crois pas non plus qu'une formation comme elle existe aujourd'hui soit nécessaire. Il vaudrait peut-être mieux lancer directement le jeune prof dans l'arène, avec un service allégé au début et l'existence de prof-référents servant de conseils et de soutiens. La formation devrait se concentrer sur la pédagogie, la didactique de la discipline, le système de l'Education Nationale et sur les élèves eux-mêmes, par la rencontre avec des chercheurs et d'autres professions en contact avec les enfants. Les profs devraient aussi être obligés de voir les cours de collègues plus anciens qu'eux, pour voir des manières différentes de faire et se faire une idée sur leur identité propre de formateur.
Le jeune prof devrait être inspecté très souvent, et sur de longues périodes, pour recevoir des conseils fréquents et être réellement évalué sur du concret. En effet, sache que l'inspecteur vient aujourd'hui en moyenne une fois tous les sept ans et qu'il nous évalue sur une heure!!! J'en reparlerai dans un futur billet.
Au bout de cinq ans, il faudrait offrir à l'enseignant le droit de quitter le métier s'il n'arrive pas à gérer ou s'il n'aime pas, contre une formation ailleurs ou une prime décente. Malheureusement, pour vérifier si on aime ce métier, il faut l'exercer. C'est la même chose pour savoir si on apprécie de travailler avec les enfants. Il est par contre hors de question de pouvoir licencier sans faute grave: la protection du fonctionnaire est une garantie de la démocratie, et je ferai un jour un billet là-dessus.
Enfin, il faut créer une vraie médecine du travail dans l'Education Nationale. Car (accroche-toi, cher lecteur) il n'y en a pas! Un prof peut être totalement dépressif, malade, dangereux pour les élèves, personne ne le voit et ne peut le vérifier. Si des médecins nous voyaient régulièrement, comme c'est le cas dans le privé, je suis sûr que certains profs pourraient être aidés et iraient mieux. Aujourd'hui, le médecin ne te voit qu'une fois, l'année de ta titularisation, vérifie que tu n'as pas d'albumine dans l'urine et te déclare bon pour le service! C'est un véritable scandale, pour un métier difficile et usant psychologiquement comme le nôtre.
Évidemment, ce ne sont que quelques pistes, et je n'ai pas la science infuse. De même, je ne sais pas comment faire pour qu'un enseignant se sente légitime à enseigner. Certains y arrivent sans problème et d'autres pas. Personnellement, j'ai mis six ans à me sentir bien dans mes chaussures avec cette fonction. Je suis incapable de dire ce qui a joué, et ce qui a aidé à me permettre d'être bien. Si quelqu'un a une idée...
Il est vrai que la particulière difficulté du concours constitue un gage des bonnes connaissances du futur enseignant, je pense qu'on est tous d'accord là-dessus.
RépondreSupprimerÀ fortiori, cette formation est déjà assez lourde pour ne pas la surcharger de la venue fréquente d'un inspecteur, qui constitue toujours un élément un peu crispant pendant un cours (pour le prof comme pour l'élève). Mais une fréquence plus élevée des contrôles ne serait, certes, pas à exclure. Vous avez soulevé le réel problème chez les enseignants : la dimension pédagogique. Certains enseignants ont beau avoir fait des études très poussées, ils n'en ont pas moins une médiocre capacité à enseigner. Cette capacité devrait (utopiquement j'imagine) être testée, développée et perfectionnée bien en amont du début de la carrière de l'enseignant. Je pense que c'est à ce moment là que le choix de réorientation de carrière devrait être offert (s'il s'avérait que l'étudiant n'était pas assez à même de transmettre son savoir)
Enfin, je dirais que votre aisance est (très) probablement venue naturellement, au contact de merveilleux élèves comme nous :D
D'accord avec toi, quand je me souviens de certains profs et que j'entends parler d'autres profs dépassés par les évênements ou ayant tout bonnement perdu la flamme, je me pose des questions.
RépondreSupprimerAlors mettre l'accent sur la pédagogie, la psychologie adolescente, contrôler intelligemment, souvent, imposer aux profs déficients des stages de perfectionnement, ne pas laisser un prof qui a 20 ans de carrière promener sa lassitutde et sa peine dans les couloirs d'un bahut.
Pour ce qui est de la possiblité de changer de métier... Proposer une formation alternative, oui, une prime de départ... Pourquoi? Indemniser celui qui a fait un mauvais choix de carrière, pas d'accord.
L'indemnisation du départ est simplement une proposition pour ne pas tomber dans le risque du licenciement de fonctionnaire, mesure qui ne doit surtout pas être appliquée, pour la bonne santé de la démocratie. Le fonctionnaire doit pouvoir être protégé du politique, pour qu'il puisse garder sa liberté d'action et que le citoyen soit protégé lui aussi. C'est indispensable, et le départ du fonctionnaire ne peut être que volontaire. La prime peut aider, tout simplement.
RépondreSupprimerJe n'ai jamais envisagé un licenciement, ou alors faudrait vraiment bien déconner.
RépondreSupprimerLe prof doit être protégé car il est un des piliers de notre société.
Je pense juste qu'un prof qui décide de changer de voie doit assumer ses choix.
Et celui qui est mauvais et qui reste doit être repris en main et on doit lui donner les moyens de s'améliorer.
Je tient à apporter une petite pierre au débat : on entend depuis 4 ou 5 ans le gouvernement parler de "faciliter la mobilité des fonctionnaires", de rendre "plus poreuses les parois des différentes fonctions publiques"...savez-vous que, dans le même temps, l'assemblée à voté une loi qui force mon futur employeur (Etat, AP/HP ou FPT) à rembourser le coûts des formations que j'ai suivi depuis 2 ans à mon ancien employeur ? Quel employeur a envie, avant même d'avoir versé le premier salaire, de se retrouver endetté suite au recrutement d'un nouvel agent ?
RépondreSupprimerEt dans 3 ans, on nous expliquera que finalement la mobilité des fonctionnaires ne marche pas, et qu'il vaut mieux modifier leur statut pour une plus grande efficacité, et pour leur donner des possibilités de carrière, quitte à devoir sacrifier la sécurité de l'emploi....
La territoriale est très demandeuse de gens d'expérience, comme nous somme la fonction publique la moins bien payée nos cadres expérimentés font souvent jouer le piston politique pour se barrer à l'Etat pour gagner du pognon, sans dire que nous pouvons assumer la reconversion de tous les profs usés, je pense que l'expérience devrait être menée de voir si un ancien prof ne ferait pas un bon encadrant d'animateur jeunesse, hors du rapport conflictuel prof/élève peut être retrouverait-il le goût de son métier ? Mat, ton avis ?
Bonne question. Je pense qu'un prof pourrait faire énormément de choses, en fonction de sa formation initiale et de ses compétences. Si on laissait la possibilité d'essayer, ce serait déjà une bonne chose.
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