lundi 26 mai 2008

L'étrange stratégie de la gauche démocratique durant les élections: le cas de la Seine-Saint-Denis.

Il y a des moments où on peut se demander, cher lecteur, si les politiciens ont un réel contact avec l'opinion qu'ils essaient de mobiliser derrière eux. Je me demande beaucoup cela lorsque je suis le débat qui oppose en ce moment Ségolène et Bertrand sur le fait de savoir s'ils sont libéraux et qui révèle juste une chose: que ces deux leaders politiques pensent que la population ne connaît pas vraiment le sens de ce terme. Je sais, cher lecteur, que tu es habitué à me voir frapper assez violemment la droite actuellement au pouvoir. Pourtant, pour une fois, je vais un peu changer de cible.

Pour que tu comprennes bien ce dont je vais te parler, je peux te dresser un bilan de la situation politique de la Seine-Saint-Denis: globalement, le 93 vote très majoritairement à gauche, et a longtemps été une terre de conquête du PCF à sa grande époque. Il y a bien quelques bastions de droite, comme le Raincy par exemple, mais ils sont très minoritaires. Il s'agit donc d'une zone où les partis de gauche sont très peu menacés électoralement par la droite. La déroute sarkozienne des dernières élections municipales et cantonales a d'ailleurs consolidé la gauche, puisqu'elle a même arraché Aulnay-sous-Bois à l'UMP: seul le maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, qui navigue entre l'UMP et le Modem, a sauvé sa tête de manière assez nette alors qu'il dirige une commune traditionnellement à gauche.

Et pourtant, durant les dernières municipales, la Seine-Saint-Denis a connu un véritable psychodrame local au niveau politique: le PS a décidé de se débarrasser des restes de la grande époque du PCF dans la région. La cause semble en être simple: le PS savait qu'il avait la possibilité d'arracher le conseil général, à cause de l'évolution politique et sociale du département, au PCF, et Claude Bartolone, ancien ministre et député de la 6ème circonscription du 93, voulait le fauteuil de président du conseil général. La guerre a donc été déclarée, et, à part aux Lilas et à Montreuil (à cause de la présence de Dominique Voynet), les deux partis se sont royalement écharpés durant les deux-trois mois de la campagne.

Finalement, le résultat n'a pas été aussi dramatique pour le PCF qu'on aurait pu le croire. Certes, il a perdu Aubervilliers et Montreuil mais a sauvé la plupart des autres communes. Il a perdu le conseil général, mais c'était impossible statistiquement de le conserver, et on ne peut pas dire que le PCF a fait une campagne très offensive là-dessus. Donc, finalement, tout ce désordre n'a pas servi à grand-chose.

Mais moi, cher lecteur, cette débandade de la gauche me révolte. En effet, dans le passé, lorsque le PCF était stalinien, je pouvais comprendre que les deux mouvements ne s'entendent pas réellement. D'ailleurs, ils n'ont que peu gouverné ensemble, entre 1945 et 1947 seulement durant la période d'union sacrée de la sortie de la guerre. Ensuite, ils se sont affrontés de diverses manières et Mitterrand n'a pris des ministres PCF en 1981 que pour les ramener vers des idées moins radicales et pour siphonner leur électorat. Or, c'est durant cette période que, dans les villes du 93, les communes ont souvent été dirigées par des majorités d'union, alors que les cultures politiques étaient fondamentalement différentes voire contradictoires.

Depuis le milieu des années 1980, le PCF comme le PS ont bougé vers la droite. Certes, il reste des différences dans les plate-formes, mais il est clair que la rupture n'est plus aussi radicale qu'elle l'était par le passé. Je trouve que les alliances sont bien plus cohérentes maintenant. Donc, s'il n'y a plus de grandes différences idéologiques aujourd'hui (l'acceptation officielle de la démocratie par le PCF, car elle existait de fait, a quand même rapproché les différentes forces de gauche), c'est qu'on est passé à une lutte d'appareil, pour conserver les bastions et qui ne change à mon avis pas grand-chose à la vie des citoyens de ces communes.

Que je sois clair, lecteur agacé: je ne veux pas maintenir artificiellement en vie le PCF en lui permettant de garder des communes s'il ne peut gagner régulièrement les élections. Je pense même que cela empêche le parti de se remettre en cause et de renouveler sa doctrine. Pourtant, dans un contexte où la droite est hyper-offensive et où ses valeurs dominent la société, je veux bien que la gauche s'entretue, mais il faudrait aussi penser aux citoyens qui, pendant ce temps, doivent supporter les réformes du gouvernement et ont le fort sentiment que, si l'alliance PCF-PS revenait au pouvoir, on aurait pas vraiment mieux.

Alors, comment gérer les conflits internes à la gauche? Quelques idées pour les municipales:

  • Je crois qu'il ne faut jamais avoir de liste commune au premier tour d'une élection, sauf s'il est clair que les membres des partis ont défini une plate-forme commune d'action et que la droite est trop menaçante. C'est là à chaque mouvement de convaincre que ses idées sont les meilleures et qu'il est apte à gouverner.
  • Au second tour, il y a deux possibilités:
    • Soit les candidats ont pu bâtir un programme commun d'action qui permet à chacun de retrouver ses petits sans renier son identité. A ce moment-là, c'est le parti qui est arrivé en tête à gauche au premier tour qui prend la direction de la liste commune et qui prend ensuite le contrôle de l'exécutif s'il y a victoire.
    • Soit les candidats ne peuvent s'entendre, et les listes restent séparées, mais cela doit rester lié aux circonstances locales et ne doit pas être une stratégie générale.
  • Entre les élections, les partis doivent être sans arrêt en connexion, discuter des programmes et des idées, réagir ensemble aux mesures de la droite ou gouverner le cas échéant. Cela doit être fait dans le respect de chaque parti et en permettant à chacun de s'exprimer librement dans la gauche, y compris pour critiquer les autres s'il y a besoin. Il ne faut pas non plus qu'un parti écrase les autres, car la qualité du débat en serait diminué.
Là, c'est vrai que j'en veux plus au PS d'avoir axé sa campagne dans le 93 davantage contre le PCF que contre l'UMP. La gauche n'y a rien gagné, à part de perdre encore de sa crédibilité de force de gouvernement alternative à l'UMP. Le pire, c'est que cela se poursuit: il paraît que les maires PS ferment les bureaux PCF dans les mairies qu'ils ont emportées lors des deux dernières municipales. On est vraiment dans les bas-fonds de la politique, fut-elle de gauche...

2 commentaires:

  1. Merci Mathieu pour cette réflexion sur les divisons de la gauche et pour le dernier petit paragraphe en particulier. Par contre, je ne suis pas tout à fait d'accord sur un point avec ton analyse : si les idées du PCF sont sans doute moins radicales qu'il y a quelques décennies, elles tranchent quand même encore (et de plus en plus ces dernières années) avec celles du PS. Surtout lorsqu'on entend parler certaines personnalités comme Manuel Valls !.. Que penses tu de lui d'ailleurs ?

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  2. Le PS est un grand parti avec de nombreux leaders qui s'expriment. Il a de nombreux courants. Manuel Valls fait partie de l'aile droite, et est persuadé que c'est en suivant la voie ouverte par Tony Blair que la gauche peut l'emporter.

    Bien évidemment, et cela transparaît dans mes posts, je ne suis en rien d'accord avec lui, et les récents résultats des élections partout en Europe semble confirmer qu'il est, avec d'autres, dans la mauvaise voie pour la gauche réformiste. Je reste persuadé qu'on ne peut pas associer les valeurs du libéralisme économique avec une dynamique de progrès social et démocratique.

    Maintenant, rien ne prouve que Valls et ses amis soient en majorité dans le PS. Je pense que les militants socialistes ne sont pas des blairistes, contrairement aux dirigeants, mais qu'ils sont plus dans la veine jaurèssienne traditionnelle en France. Ils se demandent comment revenir au pouvoir, et pensent peut-être que cette voie-là est la meilleure. Qui sait...

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