dimanche 21 décembre 2008

Discours de Sarkozy sur l'égalité des chances : un constat discutable, et des mesures souvent creuses.

Cher lecteur, Nicolas Sarkozy a fait un discours et... Bon, je sais, il en fait un par jour, voire même plus. Je ne connais pas sa moyenne, mais je suis sûr que le président tourne à trois ou quatre allocutions importantes par semaine. A force, son discours se retrouve totalement noyé dans la masse des communiqués, ce qui est parfois dommage. Ce fut un peu le cas du discours sur l'égalité des chances qui a été prononcé mercredi 17 décembre, à l'école polytechnique. Dans ce discours, Sarkozy a repris des thématiques obamiennes pour présenter une politique qui laisse de côté la face ethnique des blocages sociaux pour se concentrer sur les discriminations sociales. Je voudrais revenir ici sur quelques aspects de ce discours.

Une grosse partie est consacrée à l'éducation. Sarkozy y dresse d'abord un constat, puis propose des mesures. Je voudrai revenir d'abord sur une citation du président :

On ne peut pas prétendre faire vivre l’idéal républicain si l’on n’est pas capable de reconnaître que notre modèle d’intégration qui durant un siècle a si bien fonctionné ne fonctionne plus. Parce que c’est la vérité. Parce que ce modèle qui pendant un siècle a tant contribué à réduire les inégalités se révèle désormais impuissant à les réduire quand il ne contribue pas à les aggraver.
Cette première affirmation mérite qu'on s'y arrête. Le fait de dire que la République a été intégratrice dans le passé au niveau scolaire est une aberration. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le système scolaire était extrêmement sélectif et visait à faire émerger une élite, certes appuyée sur l'idée de mérite, mais reproduisant en fait les élites. Au début du XXe siècle, le baccalauréat était réservé à une ultra-minorité. L'école s'est progressivement ouverte, et a permis à une majorité de Français d'accéder aux qualifications les plus élevées. Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que l'une des principales réformes d'ouverture du système éducatif a été réalisée par un gouvernement de droite. Il s'agit de la loi Haby, en 1975, créant le collège unique. Finalement, l'école n'a jamais aussi bien fonctionné qu'aujourd'hui. Il est cependant vrai que depuis le milieu des années 1990, les résultats au bac n'augmentent plus, étant figés autour de 65% d'une classe d'âge, et il s'agit là d'un réel blocage, mais pas d'une dégradation.

Pour résoudre ce blocage, plusieurs solutions sont proposées pour le milieu scolaire. En voici un résumé :
  • Le président met d'abord en avant la suppression de la carte scolaire comme une mesure favorisant la fin des inégalités et des problèmes d'intégration. Je m'étais déjà exprimé sur cette mesure, symbole, à mon avis, de la fausse libéralisation par excellence.
  • Le président propose ensuite la refonte des écoles pour favoriser la mixité sociale. Ici, pourquoi pas, vu que de nombreuses écoles ont été faites dans une logique de quartier, mais attention à la cohérence administrative. Déplacer des élèves tous les jours pour les mixer risque aussi d'occasionner des coûts et de fatiguer des enfants obligés de se déplacer sur des distances plus longues. De plus, faut-il forcément couper les enfants à l'école de leurs lieux de vie ? Là, je n'ai pas de réponse, mais je pose la question.
  • Le plan banlieue prévoit des internats pour les bons élèves des milieux modestes, sans doute les plus méritants dans l'esprit du président. Cependant, le mérite explique-t-il tout ? Les enfants sont-ils forcément seuls responsables de leurs succès ? Enfin, tant pis pour les élèves en difficulté.
  • La création de filières d'excellence dans des lycées en difficulté peut avoir un impact, mais s'il s'agit seulement d'envoyer les élèves actuellement en centre-ville prendre des cours en banlieue, aucun intérêt. Le problème est plutôt que les élèves pauvres y entrent, et qu'on casse les moyens de reproduction des élites.
  • L'obligation pour tous les lycées de présenter 5% d'élèves en classe prépa est par contre une mesure sans intérêt. Si le nombre de classe prépa reste identique, les lycées auront seulement à prendre parmi plus d'élèves : il est à craindre qu'ils continuent à sélectionner en priorité par les réseaux traditionnels.
Il y a quand même quelques mesures positives là-dedans : le désenclavement des quartiers est une excellente priorité, mais qui nécessite des investissements. Les écoles de la seconde chance sont aussi de vraies réussites là où elles existent. Il n'y a pas que du vent, mais des mesures qui risquent d'être sans conséquence.

Je ne dirai rien sur le reste du discours, car je n'ai pas toujours les compétences pour me prononcer.

P.S. : je tiens à te recommander ce billet de Koz, qui m'a touché, pour des raisons que je suis encore incapable d'expliquer. J'en ferais sans doute un billet, si je parviens à comprendre les causes.

7 commentaires:

  1. Pourquoi absolument viser une plus grande réussite au bac?

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  2. "Enfin, tant pis pour les élèves en difficulté."
    Cette seule petite phrase mérite un billet.
    Parce que c'est une démission intolérable de la part des politiques.
    Les élèves en grande difficulté ne le sont pas seulement d'un point de vue scolaire. Beaucoup ne reçoivent pas l'éducation parentale qui leur est due, beaucoup auraient besoin de soins, beaucoup finissent mal. De plus ces enfants sont en nombre conséquent (dans mes écoles, il y en a forcément deux ou trois par classe, ce n'est pas rien !)
    Je trouve scandaleux que Sarkozy nie le problème. Je ne lui demande pas d'envoyer ces enfants au bac, mais de donner de vrais moyens aux institutions de prendre en charge les difficultés lourdes.

    Pour le reste, comme tu le soulignes bien, rien que son analyse de l'école républicaine dans l'histoire est à pleurer. Ce gars ne connaît rien à l'histoire de son pays. Il la déforme pour servir son propos. Je trouve que les historiens devraient avoir le droit de porter plainte contre un président qui manipule les faits historiques et les foules.

    Quant à la carte scolaire, c'est pratique : ça détourne l'attention. On s'en fout. Si une politique de mixité sociale au sein des quartiers existait, le problème ne se poserait plus. Comme tu le fais justement remarquer, les déplacements des élèves vers des écoles plus lointaines constitue, pour moi, une aberration de plus.

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  3. @ Manuel : l'accès au bac est pour moi le symbole de l'élévation progressive du niveau de qualification de notre société. Le bac permet l'accès aux études supérieures. Contrairement à ce qui est souvent affirmé par les déclinologues, le bac a toujours un niveau d'exigence assez élevé. J'ai ainsi découvert, grâce à un collègue de maths, que nos élèves de seconde d'un lycée dit difficile, lorsqu'ils avaient un bon niveau, étaient capables de résoudre sans difficulté les exercices de l'équivalent du baccalauréat américain. A mon humble avis, l'école doit viser à permettre au maximum de Français, quelle que soit la qualification préparée, d'avoir le plus haut niveau possible, pour le bien de la démocratie et le bon fonctionnement de notre société. C'est aussi vrai pour les bacheliers généraux que pour les bacs professionnels : y a pas de raison que les gamins du professionnel n'aient pas aussi le droit à la culture.

    @ MGP : oui, j'aurais pu en faire un billet, mais bon, j'ai l'impression de rabâcher sur ce thème. Je te laisse te lancer sur ce sujet.

    Pour le reste, entièrement d'accord avec toi. Dommage que la population ne soit pas consciente de cette situation. Finalement, Sarkozy est vraiment dans la tradition : il privilégie le mérite et ne s'intéresse qu'aux bons élèves...

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  4. Je suis d'accord avec toi quand tu dis que l'école doit permettre d'élever le niveau d'un maximum de français. Idéalement, il faudrait parvenir un jour aussi près que possible des 100%. Et je ne trouve pas que ce soit un but utopique pour le 21e siècle!
    La remarque de Marie-Georges quant au fait que la mixité sociale commence (et selon moi finit, presque!) à l'organisation de la cité, est tellement juste que cela devrait être systématiquement opposé aux discours fumeux du pouvoir.

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  5. @ LCC : j'ajouterais juste qu'on demande à l'école de compenser la ségrégation spatiale. C'est complètement démagogique, et infaisable par ailleurs. Bon, d'un autre côté, on sait tous que les discours de Sarkozy sont souvent plus des annonces sans suite que de vraies réalisations. Mais restons méfiant...

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  6. Viser une éducation plus haute pour notre jeunesse, c'est bien et normal, mais placer le bac au centre de tout, je ne suis pas d'accord.
    Amener les élèves à un niveau d'études qualifié, personnalisé, c'est je pense ce à quoi il faut tendre. Maintenant, ça ne sera pas forcément. le bac

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  7. @ Manuel : le bac recouvre maintenant une multitude de diplômes. Il y a certes les trois bacs généraux, mais aussi de nombreux bacs techniques et professionnels qui sont qualifiants et de bonne qualité. Ces diplômes, qui permettent aux gamins du professionnel d'avoir un meilleur niveau général, leur offrent aussi du travail. Ils ne doivent pas être négligés, car les diplômes plus jeunes (CAP, BEP) sont de moins en moins recherchés par les employeurs.

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