samedi 7 janvier 2012

Ah, enfin des petits chefs à l'Education nationale !

Il est toujours passionnant de voir comment quelques idées, qui paraîtraient saugrenues dès qu'on prendrait le temps de réfléchir, subsistent dans le subconscient de la population.

Le président de la République en a aligné une bonne série lors de ses voeux aux profs aux militants de l'UMP. Il a annoncé comment il allait continuer à massacrer l'Education nationale si jamais il gagnait, comment il allait réutiliser la stratégie du bouc-émissaire, déjà employée en 2007 contre les retraites des cheminots, pour gagner des voix.

Parmi les idées étranges, existe dans l'inconscient collectif l'idée toujours vivace de l'homme providentiel. Ah, cette réincarnation permanente du roi, qu'on a injustement assassiné il y a quelques siècles, a survécu dans la peau magique du président, et dans l'entreprise, de l'entrepreneur. Souvenons-nous à quel point cet entrepreneur, personnalité centrale des doctrines économiques capitalistes, parvient, à lui seul, à susciter la création de richesse que le commun des mortels ne peut décidément pas faire par lui-même. Un vrai petit Louis XIV miniature...

Face à lui, il n'y a que des incompétents. On trouve le capitaliste, incapable de générer de la richesse autrement que par la rente mais qui sent parfois qu'il faut faire confiance à l'entrepreneur ; le salarié, qui n'est bon à rien d'autre qu'à obéir ; le syndicaliste, idiot fainéant qui ne pense à rien d'autre qu'à préserver ses propres privilèges, et éventuellement ceux de ses collègues ; le fonctionnaire qui est surtout là pour entraver l'entrepreneur.

L'Etat est d'ailleurs aujourd'hui dirigé comme cela, avec son entrepreneur en mouvement perpétuel à sa tête, entouré de gentils organisateurs très dynamiques, et gênés en permanence par toutes les pesanteurs de ce beau pays de citoyens à l'esprit obsolète, la France.

Mais voilà, cher lecteur, dans l'appareil d'Etat, d'entrepreneurs il n'y a point, le petit chef du haut ne pouvant tout. Et encore moins dans l'Education nationale. Comme on passe notre temps à étriller les profs, on considère que ceux-ci ne sont absolument pas innovants et qu'ils n'inventent jamais rien. On se demande presque ce qu'ils font, d'ailleurs, à part attendre tranquillement que cela se passe.

Les libéro-droitiers cherchent donc à mettre en place, dans l'Education, un entrepreneur qui va enfin donner à ce petit monde un peu de dynamisme. Ils ont trouvé pour cela le chef d'établissement, qu'ils rêvent de transformer en un petit entrepreneur qui mènerait tout ce petit monde grâce à son génie inné mais néanmoins flamboyant. Ce chef, mettant en place des projets, gérant les équipes, soutenant les enseignants plein d'initiative, deviendrait un moteur. Aujourd'hui, il est tellement contraint.

Par ailleurs, ce chef aurait la faculté de recruter ses profs et donc, par là-même, de les mater. La réforme en cours de l'évaluation, même si elle a été repoussée d'un an, est une nouvelle pierre de cet édifice.

Ainsi, quand, dans la classe politique, on parle d'autonomie des établissements, on parle en fait d'autonomie du chef d'établissement, qu'on conçoit comme une sorte de petit chef.

Le rêve est donc là :

  • des établissements indépendants dirigés par des petits chefs, eux-mêmes complètement soumis au pouvoir de l'administration, et donc, du politique, mais sans que cela ne soit dit ni clairement énoncé par le pouvoir politique en question,
  • des petits chefs qui se vengeront de cette réalité sur des enseignants vassalisés,
  • des enseignants frustrés, qui n'auront pas le droit d'enseigner comme ils le souhaitent, alors qu'ils sont maintenant recrutés à haut-niveau, et qui se vengeront sur les élèves, car ils seront jugés par le petit chef qui leur imputera les réussites et surtout les échecs des bambins,
  • des élèves aux parcours individualisés, qui seront bien évidemment responsables de leurs échecs et les profs n'arrêteront pas de le leur reprocher.
Cette école apprendra à tous l'art de la soumission. Fera-t-elle rêver les gamins ? J'en doute fortement. Mais après tout, le but n'est pas que les gamins rêvent, mais qu'ils soient soumis.

Cette utilité du petit chef, tu y crois, cher lecteur ? Je parierais que vous êtes tous, à un moment ou à un autre, tombé sur un petit chef qui avait enfin trouvé une raison à son existence : embêter les autres en étant chef. Ces personnes suscitent-ils plus de création de richesse que les autres ? Là encore, j'en doute fortement.

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