Souviens-toi, cher lecteur. En 2007, l'une des premières décisions du président fut de tenter d'obliger les enseignants à lire à leurs élèves, le 22 octobre, la lettre écrite par Guy Môquet à sa mère juste avant son exécution en 1941. Il a ensuite retenté le coup avec l'adoption des enfants juifs déportés par chaque enfant de CM2. Ces tentatives, les plus médiatiques, ont couvert la principale innovation introduite par Sarkozy sur ce plan-là : l'introduction de l'histoire des arts à tous les niveaux du système éducatif, de l'école primaire jusqu'au lycée en s'appuyant sur un programme largement influencé par le chef de l'Etat. Cette volonté, concernant le lycée, va loin. Sarkozy veut faire ouvrir un ciné-club dans chacun des lycées de France, et aurait déterminé une liste de 200 films, libres de droit, que les enfants pourraient regarder. Pourquoi ces 200 films ? On ne sait pas, mais le président nous a garanti que ces œuvres étaient patrimoniales.
Attention, cher lecteur, ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Je sais pertinemment que je travaille pour l'enseignement public. Le politique se doit donc d'y intervenir. De plus, en France, la conception des programmes d'histoire-géographie a été, depuis le début du XIXe siècle, un enjeu important pour nos dirigeants. Les conflits des années 1960 sur les programmes Braudel, l'affrontement entre René Haby et Giscard, ou entre Chevènement et l'inspection générale restent dans nos inconscients collectifs d'enseignant. Pourtant, depuis le début des années 1990, la conception des programmes s'était un peu échappée des mains du politique pour tomber dans celles des experts. On pouvait penser que les interventions intempestives du pouvoir dans les savoirs seraient au moins réduites à la fixation d'un cap, et que les commissions travaillant sur ces sujets pourraient s'inspirer davantage des travaux de la recherche pour réformer.
Avec Sarkozy, il n'en est rien. Vu ses conceptions politiques, on s'attendait à ce que le président revienne sur les programmes et réintroduise une manière assez traditionnelle d'enseigner, surtout à la suite de ses discours sur mai 68 durant la campagne électorale. Il n'a pour le moment pas touché aux programmes (la réforme en cours au collège a été lancée avant lui et sur le lycée, personne n'a encore parlé de changer les programmes) mais il a été, de manière symbolique, beaucoup plus loin.
Jusque là, le pouvoir fixait les programmes et les manières d'enseigner. Depuis le début des années 1990, il imposait l'étude de certains documents dans les différentes leçons au collège, mais laissait une marge assez large de liberté aux professeurs pour choisir leurs documents, en fonction des axes dominant la recherche. Or, Sarkozy a décidé, à plusieurs reprises, d'imposer ses documents aux enseignants, et donc, par là, aux élèves. Le patrimoine dicte ces décisions, ce qui signifie que le président parvient à concentrer en lui-même ce que les Français considèrent comme leur patrimoine. Or, c'est impossible. Personne ne peut, malgré des recherches intenses, définir un patrimoine commun à tous. C'est justement l'Etat qui transmet, par l'école, certains points de repère communs, mais ils ne suffisent pas à fixer ce que sont les fondements de notre société. Ce n'est pas le patrimoine des Français qui s'impose à tous par les décisions de Sarkozy, mais Sarkozy qui impose à tous sa vision du patrimoine des Français.
Beaucoup de mes collègues ont dénoncé le peu d'intérêt de la lettre de Môquet au plan historique. Je crois qu'il n'y a même pas besoin d'aller aussi loin. Le simple fait qu'un président décide du document que l'on doit étudier, et impose une problématique et une date pour l'aborder, est en soi un vrai problème. Il en est de même pour les autres démarches. Sarkozy se voit comme celui qui devrait fixer chez les citoyens les documents patrimoniaux nécessaires, parce qu'il les aime.
La résistance des enseignants à cette espèce de cérémonie s'explique donc par là. En France, les professeurs ont été formés dans le cadre de l'université, en lien avec la recherche, et ont appris une démarche intellectuelle rigoureuse, hors des affects. Elle leur permet d'aborder le même sujet de multiples façons, tout en essayant de transmettre aux élèves les valeurs que les programmes demandent. Ainsi, le fait qu'un chef d'État décide d'imposer son document, puis ses films et ses œuvres d'art, pose de vraies questions sur l'évolution de l'éducation.
Finalement, la lettre de Môquet est appréciée du président, et tous les enfants doivent donc l'entendre, sans raison historique pertinente et sans lien avec les programmes ni même avec un quelconque patrimoine. De plus, on ne voit pas bien pourquoi il faudrait accepter le caprice de notre dirigeant. Un président n'est pas là pour régir nos références et nos valeurs, mais pour diriger l'État.
Heureusement que Jacques Chirac n'avait pas les mêmes velléités : on aurait du western à toutes les sauces dans nos ciné-clubs…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez-moi vos doléances, et je verrai.
La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.