samedi 7 novembre 2009

Identité nationale ta mère !

Depuis que le gouvernement a lancé sa charge sur l'identité nationale, malgré le piège évident qu'elle représente, les blogueurs ne cessent de publier des billets, certains assez touchants et même intéressants, d'autres que je trouve parfois étonnant.

Par exemple, l'Hérétique nous propose un système de points pour accéder à la nationalité française. J'espère qu'il proposera de déclasser l'ensemble de nos concitoyens qui "sifflent l'hymne national, brûlent notre drapeau, s'en prennent à nos institutions et à nos forces de protection (police, pompiers, ambulances et hôpitaux), agressent et/ou volent ceux dont on veut être le concitoyen". Ainsi, avec la dernière partie de la phrase, on pourrait se débarrasser d'une bonne partie de la classe politique française et de nos élites, comme certains banquiers par exemple.

Tiens, c'est marrant. En plein débat sur ce thème, les sans-papiers mènent un mouvement social d'ampleur mais qui reste peu évoqué par la presse, pour obtenir le respect de leurs droits élémentaires. A la Porte des Lilas, ils sont toujours là, depuis le 12 octobre ! Heureusement que les blogs québécois estiment nécessaire de relayer l'information...

Bon, pour en finir avec ce thème, j'ai envie de te faire partager, cher lecteur, un texte assez connu par ailleurs de Fustel de Coulanges, que je travaillais avec mes élèves dans l'ancien programme d'histoire-géographie, et qui les fait assez bien réagir :

En octobre 1870, l’historien français Fustel de Coulanges répond à l’historien allemand Th. Mommsen. Celui-ci avait affirmé que l’Alsace était allemande en s’appuyant sur des arguments ethniques et linguistiques.

« […] Vous croyez avoir prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande, parce que sa population est de race germanique et parce que son langage est allemand. Mais je m’étonne qu’un historien comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité.
Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien que les peuples ne sont presque jamais constitués d’après leur origine primitive. Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les États. Chaque nation s’est ainsi peu à peu formée, […] sans qu’on se soit préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations correspondaient aux races, […], la Russie et l’Autriche se diviseraient chacune en trois ou quatre tronçons. Votre théorie des races est contraire à tout l’état actuel de l’Europe. Si elle venait à prévaloir, le monde entier serait à refaire.
La langue n’est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle cinq langues, et pourtant, personne ne s’avise de douter de notre unité nationale. […]. Vous vous targuez de ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c’est à Strasbourg que l’on a chanté pour la première fois notre Marseillaise.
Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. […]. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. […]. Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage. Mais par la nationalité et le sentiment de la patrie, elle est française. Et savez-vous ce qui l’a rendu française ? Ce n’est pas Louis XIV, c’est notre révolution de 1789. […].
Vous êtes, Monsieur, un historien éminent mais, quand nous parlons du présent, ne fixons pas trop les yeux sur l’histoire. La race, c’est de l’histoire, c’est du passé. La langue, c’est encore de l’histoire, c’est le reste et le signe d’un passé lointain. Ce qui est actuel et vivant, ce sont les volontés, les idées, les intérêts, les affections. L’histoire vous dit peut-être que l’Alsace est un pays allemand ; mais le présent vous prouve qu’elle est un pays français. […].
Soyons plutôt de notre temps. Nous avons aujourd’hui quelque chose de mieux que l’histoire pour nous guider. Nous possédons au XIXe siècle un principe de droit public […]. Notre principe à nous est qu’une population ne peut être gouvernée que par les institutions qu’elle accepte librement, et qu’elle ne doit aussi faire partie d’un État que par sa volonté et son consentement libre. […]. Si l’Alsace est et reste française, c’est uniquement parce qu’elle veut l’être. Vous ne la ferez allemande que si elle avait un jour quelques raisons pour vouloir être allemande. »

Fustel de Coulanges, L’Alsace est-elle allemande ou française ?, Réponse à Th. Mommsen, professeur à Berlin, 1870.

Franchement, j'envie le Faucon de pouvoir ainsi partir en vacances...

Ouh, le privilégié qui se plaint de ne pas avoir de vacances : c'est fait exprès pour attirer les trolls ! Je vais bientôt être la Rama Yade de la blogosphère...

14 commentaires:

  1. Ce texte m'inspire deux remarques :
    - l'auteur emploie le moi race au sens où l'on dirait ethnie aujourd'hui, car en Europe, et en Autriche qu'il cite en ex., à l'époque il n'y avait qu'une seule race, que des blancs pour être clair.
    - ce texte est plus destiné à justifier la position de la France vis à vis de l'Alsace, perdue à l'époque, qu'un texte de portée générale ; de même pour l'historien à qui il répondait. C'était un dialogue où chacun mobilisait les arguments ad hoc pour justifier le rattachement de l'Alsace à l'un ou l'autre pays.

    Bref un texte à replacer dans son contexte dont je ne sais ce que l'on peut en tirer aujourd'hui notamment sur la langue...
    Par ailleurs je ne me sens pas beaucoup de "communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances" avec les sans-papiers de la Porte des Lilas ou les femmes voilées que je croise à St-Denis.
    Que faire ?

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  2. salut le privilégié
    je me dis parfois que l'un des vrais clivages droite-gauche, c'est la question de l'immigration.
    Trop facile de renvoyer aux écarts de notre classe politique (pas si nombreux que tu le dis), sans parler d'un gros accès de démagogie sur les banques et les banquiers : particulièrement en France, qu'ont-ils fait de mal ?

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  3. @ Polluxe : bien évidemment, il faut remettre le texte dans son contexte, mais n'empêche que ces deux conceptions de la nationalité sont contenues dans ce débat sur l'identité nationale.

    Je ne me sens aucune communauté d'intérêts avec les dirigeants actuels de ce pays, et pourtant, je les reconnais comme Français et je les assume pleinement, ce qui ne m'empêche pas de les combattre. Il en est de même de toutes les composantes de la population. Quant aux sans-papiers, j'estime que le respect de leurs droits sociaux, en tant que travailleur, est important pour mes intérêts.

    @ L'Hérétique : oui, c'est un gros thème de débat.

    Ce qui me gène dans ton raisonnement, c'est que tu demandes des preuves aux candidats à la nationalité, mais tu ne juges jamais les personnes ayant déjà la nationalité, qu'ils ont obtenue, eux, de droit.

    En clair, soit c'est de droit, et c'est légitime (on est dans les clous ou pas), soit c'est un système sommatif et c'est arbitraire. Ton raisonnement me semble arbitraire.

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  4. Un jour, il est possible que je rende ma carte d'identité française. Elle est belle notre identité nationale.

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  5. Je suis d'accord avec Polluxe : ce texte me paraît faiblard. Plus d'un propagandiste que d'un historien.

    Manuel : vous NE POUVEZ PAS "rendre" votre carte d'identité. Et cessez de faire le gamin !

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  6. @ Manuel : malheureusement, Didier a raison. Tu ne peux pas être déchu.

    @ Didier : bien sûr que c'est un texte de propagandiste, comme tous les textes de ce type et toutes les contributions à ce débat à la con.

    Et lorsque je le bossais avec les élèves, je le présentais comme tel.

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  7. Je peux changer de nationalité, vous êtes gentils, mais je le peux.

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  8. @ Manuel : je ne crois pas pour autant que la France ne te considérera pas toujours comme français.

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  9. et si nous remplacions Allsace par Mayotte dans ce texte et le mot race par Nation? Je suis sur que tout soudain ce bon vieux Fustel serait a nouvel perçu comme ce grand humaniste qu'il a toujours été avant pendant et après son passage comme professeur d'histoire romaine a Strasbourg. C'est vrai que les Prussiens ont voulu le faire passer comme un affreux colonisateur. Voilà pour le coontexte." texte faiblard" non mais vraiment y en a qui m' amusent de plus en plus sur ce blog.
    G.

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  10. @ G. : oui, j'admets que je ne comprends pas bien ces réactions. Cependant, beaucoup de mes lecteurs sont très attachés à une vision de la nationalité qui est loin de celle de Fustel.

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  11. @Mathieu: je suis peut-être un peu faiblard, mais franchement, je ne vois pas bien en quoi consiste cette étrange vision de la nationalité que je ne connais pas et qui paraît si éloignée de celle de Fustel. De quelle philosophie se prévalent donc ces lecteurs du blog de notre bon privilégié? Quelqu'un peut-il m'expliquer leur position?
    Je les trouvais rigolos, mais si ils expriment quelque chose de sérieux, alors j'angoisse et je serai vraiment reconnaissant à celui qui pourra m'expliquer. Pour l'instant je crois surtout que le pauvre Fustel est surtout la victime d'une sorte de réaction épidermique et désordonnée d'esprits en friche et sans réel ancrage culturel. Peut-on éclairer ma lanterne?
    G.

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  12. @ Anonyme : je crois qu'ils expriment quelque chose de sérieux, mais je les laisse répondre, s'ils le souhaitent.

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  13. Explication du texte de Fustel, que j'ai trouvée dans le Voyage au bout de la Nuit: "La race, ce que t'appelles comme ça , c'est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la fain, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Il ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C'est ça la France et puis c'est ça les Français!" Il savait son histoire et sa géographie Céline...

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  14. @ Anonyme : je trouve cet extrait très intéressant, d'autant plus que je n'en ai aucun souvenir...

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