vendredi 18 février 2011

Est-ce bien le moment de bouleverser le paysage des syndicats enseignants ?

Lorsqu'on est enseignant, cher lecteur, il n'y a pas beaucoup de moyens de s'informer sur l'actualité politique de l'éducation. La presse classique ne parle que peu de ce milieu, sauf lorsqu'un homme politique décide que le moment est opportun. Les blogs tenus par des profs et qui ne sont pas des sites de partage de séquences pédagogiques sont aussi très peu nombreux. Certes, j'ai pu en croiser quelques-uns dans ma courte carrière de blogueur, mais ils ne parlent souvent pas que d'éducation, voire pas du tout, ce qui peut paraître tout à fait sain par ailleurs.

Heureusement, il y a le Café pédagogique. Ce site, qui veut nous transmettre "toute l'actualité pédagogique par internet", a l'avantage de répercuter de nombreuses informations sur notre milieu, autant au niveau national qu'au niveau européen et international.

Le Café est loin d'être neutre. Lorsque j'ai débuté et que je me suis abonné à la newsletter, il roulait très nettement pour le SGEN-CFDT, syndicat réformiste qui a longtemps porté des projets pour l'école très en rupture avec le système éducatif actuel. Dernièrement, le Café a pourtant cessé de retransmettre tous les communiqués de cette centrale (quoiqu'on en trouve encore parfois) pour se tourner vers le SE-UNSA.

Ce syndicat reste très minoritaire dans le secondaire, mais il y est présent par son puissant syndicat des chefs d'établissement (le SNPDEN-UNSA) et il a une implantation plus forte dans le primaire. Pour te situer politiquement ses militants, le Syndicat des Enseignants (SE) a été fondé au moment de l'éclatement de la Fédération de l'Education Nationale (FEN) par ceux qui constituaient le courant majoritaire en déclin de cette ancienne centrale très dominante de l'éducation, "Unité, Indépendance et Démocratie", et qui firent exploser la fédération majoritaire en 1992 en mettant dehors les syndicats dirigés par le courant "Unité et Action", principalement le SNES (pour les profs du secondaire) et le SNEP (pour les profs de sports). Les divergences entre les deux courants étaient nombreuses, mais pour te résumer les choses très schématiquement, cher lecteur, sache que UID se situait dans la sphère d'influence du PS alors que U&A traînait plutôt avec le PCF. Depuis, les choses ont beaucoup changé mais la rivalité subsiste. Les anciens militants UID ont fait adhérer le SE à l'UNSA pendant que les syndicats exclus ont inventé la FSU, fédération beaucoup moins contraignante avec ses syndicats que l'ancienne FEN. La FSU domine largement le syndicalisme enseignant depuis, autant en voix qu'en nombre de militant.

Or, on peut constater, sur le site du Café pédagogique, que les articles tentent systématiquement de lier le SE avec l'un des deux principaux syndicats de la FSU, le SNUipp, qui syndique les professeurs du primaire. Certes, le SE a récupéré une bonne partie des militants du Syndicat National des Instituteurs (SNI), qui était membre de la FEN, mais le SNUIpp-FSU, fondé de toute pièce en 1992 par les militants U&A du SNI, a pris très vite la majorité. Par contre, le Café ne parle quasiment plus jamais du SNES et répercute uniquement les appels FSU (lorsque le SNUipp est d'accord avec le SNES, donc), SE et ceux du SGEN une fois de temps en temps.

Ces recompositions signifient que le SE tente de faire exploser la FSU et de rattraper le SNUipp. Pour le moment, je ne pense pas qu'une telle évolution puisse arriver, mais les choses pourraient bien changer dans un futur très proche et...

Bon, tu vas me dire, cher lecteur : en quoi ces discussions ardues sur les syndicats enseignants me concernent-elles ? Je vais t'expliquer.

Comme tu le sais, l'Education nationale, pour de nombreuses raisons, va assez mal. Les syndicats enseignants ont l'avantage d'être quasiment tous opposés à la vision de l'éducation du gouvernement, même s'ils divergent sur la manière de réagir (le SE et le SGEN ayant tendance à prendre ce qu'ils estiment bon dans le paquet, les autres restant sur des oppositions systématiques, même si le SNES a pu montrer, sur la masterisation des concours, qu'il était brusquement capable de changer de posture...). Par contre, si jamais le PS l'emportait, se poserait la question de savoir quelle position tenir.

Depuis quelques temps, les élus PS jouent clairement le SE-UNSA contre les autres syndicats de l'éducation, et particulièrement contre la FSU, pourtant majoritaire en voix mais dont les dirigeants sont encore jugés trop à gauche. Cela signifie donc que le front syndical se fissurera. Dans ce cadre, la FSU pourrait fortement tanguer et le SE espère bien trouver des militants et des moyens en chopant le SNUipp au passage. En arrière-plan, se trouve les possibilités pour le PS de mener le catastrophique programme qu'il a l'air de vouloir mettre en avant, accroissant à mon sens les dérives actuelles du système.

Ces luttes d'arrière-cour montrent une chose : le PS n'a pas l'air de vouloir rechercher le vote enseignant en 2012 (près de 800 000 personnes quand même) et va vouloir s'appuyer sur des syndicats qui ont plus tendance à défendre une vision de l'école (celle du PS apparemment, mais peut-être est-ce la vision du SE qui est devenue celle du PS ?) que leurs syndiqués et leurs collègues. Le PS va chercher ainsi à flatter le reste de l'électorat, plutôt anti-prof.

Quel que soit le scénario, ces manœuvres sont dangereuses dans la situation actuelle car elles entraînent les syndicats dans des luttes intestines qui ne servent à personne, à part aux militants qui les mènent. Elles montrent à quel point les dirigeants politiques de la gauche sont détachés de la base, et à quel point le système syndical est dans un état déplorable. Est-ce normal qu'un grand parti de gauche s'inspire des idées d'un syndicat qui a fait 8,08% des voix dans le secondaire aux élections professionnelles de 2008 pour concevoir son programme sur le collège et le lycée ?

Or, que vont faire les 60% de profs qui votent à gauche d'habitude si le PS poursuit dans cette veine ? Bonne question que nous allons tous nous poser dans les prochains mois, ce qui ne va pas aider notre moral à s'améliorer.

Bon, encore faudrait-il que la gauche gagne en 2012, ce qui est vraiment très loin d'être fait...

12 commentaires:

  1. Très très instructif, merci !

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  2. @ Cloran : et totalement critiquable par ailleurs, n'hésite pas si besoin.

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  3. J'espère qu'ils vont voter Bayrou, le seul candidat qui les défend vraiment...

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  4. @ L'Hérétique : tu viens encore de faire descendre mon moral...

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  5. ça fait mal au crâne tant d'acronymes de syndicats.
    On voit bien le genre de querelles intestines que peuvent se livrer ces clans.
    D'où des grèves peu massives finalement...même en Sarkozia!

    Dommage que les gamins et leur avenir soit au milieu.
    Pas moyen de se battre pour des valeurs et des méthodes efficaces d'apprentissage sans politiser le débat?
    Et pendant ce temps là, le P'tit Nico et son Chatel ont un véritable boulevard.

    Moins de clivages, moins d'égo de chefaillosn, plus de solidarité contre les ravages des néocons qui sapent l'école de la République.

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  6. On dirait une sicilienne mais j'y vois plutôt une défense slave.

    Bravo, maître !

    Tellement peu de billets à vocation échiquéenne pour que l'on ne se réjouisse pas de celui-ci.

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  7. @ CPolitic : sur les grèves, la dernière était quand même assez bien suivie. Les grèves enseignantes restent très fortes finalement par rapport à d'autres milieux.

    Je ne crois pas, de plus, qu'il soit possible d'envisager sa manière d'enseigner sans y mettre de la politique. C'est tellement imbriqué...

    Enfin, je répète que les syndicats sont unis, en tout cas pour le moment.

    @ Mtislav : merci !

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  8. Pas d'accord sur la fin de l'article évidemment, mais je trouve le reste plus tôt juste.

    Laurent (syndique au SE-UNSA)

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  9. oh !! plutôt (et non plus tôt)

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  10. @ Laurent Fillion : merci. Cela prouve que mon opposition avec les thèses de l'UNSA ne m'a pas entraîné à faire un article trop engagé. C'était ma crainte au départ.

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  11. cela prouve surtout qu'on peut encore débattre sereinement avec un collègue qui ne partage pas les mêmes idées sur le métier ... et ça c'est vraiment trop rare !

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  12. @ Laurent : je n'avais pas envisagé cette rareté, mais si vous le dites...

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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