vendredi 5 septembre 2008

La rentrée n'est plus ce qu'elle était...

Aujourd'hui, cher lecteur, je dois te dire que je suis un peu déprimé. Pourquoi ? A cause de la rentrée. Tu vas me dire, cher lecteur énervé, que je suis encore en train de râler d'avoir repris le travail alors que je suis un sale privilégié qui a 15 semaines de vacances par an. Non, cher lecteur, ne me juge pas mal, ce n'est pas de cela que je parle. Je parle de l'ambiance dans mon lycée dit difficile.

Cela fait maintenant un peu moins d'une dizaine d'années que je travaille ici, ce qui veut dire que la rentrée des classes n'est plus tellement quelque chose qui m'angoisse. J'ai de bonnes bases pour mes cours, des élèves qui me connaissent et qui sont sympas globalement, de bonnes conditions de travail. Mon salaire est sorti de la zone qui me rendait la vie dans la région parisienne difficile. Vraiment, je n'ai pas de réelles raisons de me plaindre.

C'est vrai que pour certains profs, les conditions de la rentrée ne sont pas simples, comme je te l'expliquais ici, mais cela ne touche que les nouveaux pour le moment, ce qui devrait m'attrister, mais pas me toucher comme cela. Non, vraiment, je n'ai pas de raison de me plaindre.

Jusqu'à maintenant, la salle des profs, le premier jour, bruissait de projets pédagogiques, d'initiatives, de discussions sur des nouveaux cours, d'échanges sur nos élèves, de l'organisation du lycée. Tout cela se faisait dans un enthousiasme réel, et si une lutte devait surgir, elle se faisait aussi dans la joie et la bonne humeur, car nous avions tous le sentiment, que nous soyons de gauche ou de droite, de participer à une belle oeuvre qui honore notre nation : l'éducation de nos enfants et l'avenir de notre pays.

Les choses changent doucement. Ce qui me touche, c'est l'ambiance générale des salles des profs. Tout suinte la déprime et le renoncement. L'évolution de la politique gouvernementale nous montre que nos élites considèrent que l'éducation pour l'ensemble du peuple n'est plus la priorité. Il faut bien que tu comprennes, cher lecteur, que la massification de l'éducation est assez récente en France, puisqu'elle a commencé durant les années 1950 pour se parachever dans les années 1990. C'est donc un processus nouveau et qui n'est donc pas parfait. C'est vrai que des gamins sortent de l'école sans diplôme, c'est vrai que tous ne deviennent pas des citoyens emplis d'une culture humaniste, c'est vrai que certains ont des problèmes de lecture et d'écriture et c'est vrai que nous peinons, nous autres enseignants, à trouver des solutions. Mais est-ce une raison pour balancer le bébé avec l'eau du bain, à cause de difficultés qui concernent 3% des élèves ? Il faut au contraire réfléchir à aider ces 3% tout en continuant à éduquer convenablement les 97% restants.

Lorsque Sarkozy est arrivé, nous avons tous cru à une révolution libérale, comme je le disais hier. Nous étions prêts, nous les profs militants et investis, à défendre nos idées dans un débat démocratique et à nous confronter à ce gouvernement. Je m'étais dit aussi que si un modèle libéral se mettait en place, même si j'étais contre, ce serait le choix du peuple et il faudrait le faire. Ma réaction aurait été la même en cas de retour de notre système scolaire dans une logique réactionnaire comme Gilles de Robien la mettait en avant ces dernières années.

Mais là, rien de tout cela. La seule logique qui prévaut est la comptabilité. Il n'y a pas de projet positif, rien qui puisse nous dire qu'on va vers du différent même si on est contre. Il n'y a rien. Notre pays, alors que l'état du monde demande que nous investissions massivement dans l'éducation et la recherche est en train de renoncer à un modèle ancien, sans rien proposer d'autre. Nous voyons nos rêves et nos engagements de vie s'effondrer tout doucement. A cela, pas d'alternative apparente. Le gouvernement ne parle que d'heures supplémentaires et d'économie, de moins d'heures de cours pour les élèves. C'est tout. C'est désespérément tout.

Il ne s'agit pas pour moi de discuter du projet éducatif qui serait le plus valable pour notre pays. Il s'agit simplement d'affirmer que là où on voit le vrai déclin d'une démocratie, c'est lorsqu'elle renonce à éduquer de la même manière l'ensemble de ses enfants, mettant en place des inégalités qui ne peuvent que menacer la cohésion des citoyens. C'est lorsqu'elle renonce à la recherche et à l'aménagement. C'est lorsqu'elle renonce, en clair, à des projets collectifs qui peuvent nous donner des espoirs et nous faire rêver, pour nous et nos enfants, à un avenir meilleur.

Aujourd'hui, les profs sont déprimés. Nos syndicats, pas toujours capables d'exprimer des stratégies cohérentes, peinent car ils savent que le gouvernement ne considère plus que l'éducation est une priorité. Eux aussi sont en partie responsables de cette situation, mais ils savent que de toute façon, il n'y a aucune alternance qui se dessine avec un vrai projet éducatif et que la gauche de gouvernement semble ne plus beaucoup s'intéresser à cette question.

Pour une fois, je vais te citer une phrase de Danton : "Après le pain, l'éducation est le premier besoin d'un peuple".

P.S. : pour la première fois, aujourd'hui, je me suis dit que j'allais penser à changer de métier, car le combat n'en valait plus la peine. Écrire ce billet m'a servi de thérapie. Maintenant, cher lecteur, je suis prêt à repartir...

18 commentaires:

  1. Sans défendre le gouvernement actuel, je ne pense pas qu'il soit responsable de cet état de fait, ni qu'on pouvait en attendre quoique ce soit de ce point de vue.
    L'éducation nationale a profondément changer ces 25 dernières années. Et la dernière, et importante étape de la massification dont tu parles, pierre angulaire du projet éducatif de Jack Lang, s'est aussi accompagnée d'un changement de mentalité. L'éducation a perdu son statut de droit pour acquérir celui de du et malheureusement, de passage obligé et subi.
    Heureusement, il y a encore des profs (et des non-profs) pour y croire ;)

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  2. Tu m'as presque fait couler la larme... Je ne suis pas ironique, j'ai beaucoup aimé ton texte!
    A mon avis, Sarkozy n'est pas à l'origine des problèmes, mais il ne les solutionne pas.

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  3. La société entière, dont vous êtes, est déprimée. Elle ira de mal en pis, si vous, les profs, qui avez "le privilège" redoutable de préparer son avenir n'y croyez plus… Ce que vous dites sonne aussi sombrement que les perspectives du changement climatique. Espérons que la joie d'enseigner vous reviendra à tous, cela signifiera sans doute que le pays va mieux… (À propos, bon centième anniversaire!)

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  4. Je me joins à jlf, tu m'as fait déprimer pendant un moment...

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  5. Merci à tous pour les commentaires.

    @ CC : le gouvernement actuel a quand même fortement accéléré le mouvement du désinvestissement. De plus, mettre une part de la responsabilité sur J. Lang me semble un peu court.

    @ Manuel : non, Sarkozy n'avait pas commencé le mouvement, mais il l'accentue et rapidement. Les choses n'ont jamais été aussi déprimantes, depuis que je travaille en tout cas.

    @ JLF : je te rassure, j'ai toujours grand plaisir à enseigner. C'est tout ce qu'il y a autour qui me pose problème... Attention cependant, je pense que le changement climatique est encore plus grave, mais c'est peut-être un peu lié.

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  6. D'accord avec toi sur les 2 points. Le gouvernement actuel semble parachever le processus de destruction en court. Sa logique purement comptable sonne le glas de la "mission" de l'éducation nationale qui se transforme de plus en plus en centre de formation.
    Quant à JL, il n'est pour rien dans l'évolution des mentalités. Il n'a eu que la malchance que son projet idéaliste corresponde à la remontée du conservatisme et de l'individualisme.

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  7. Faut pas s'inquiéter^^
    Je fonctionne beaucoup à l'intuition et et je visualise à peu près toutes mes pensées (les anglo-saxons appellent ça "big picture"). Du coup, mes raisonnement paraissent souvent lapidaires vu que je ne suis pas très bon en description.

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  8. @ CC : je m'inquiète toujours pour mes fidèles lecteurs. ;)

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  9. Hé ben hé ben, un petit coup de déprime...

    Je ne partage pas tout à fait ton analyse de la situation, même si il est vrai que le gouvernement Sarkozy n'affiche pas vraiment l'Education Nationale comme sa priorité.
    Habituellement, chaque année voit son lot de remise en cause des programmes avec volonté de refonte totale et ambitions de reformé ambitieuse pour ne pas dire démesurée. Beaucoup moins avec Darcos, j'ai l'impression... Du coup peut-être, un sentiment des profs qu'on se désintéresse d'eux.
    Mais finalement, n'est-ce pas plus mal qu'on cesse de tout chambouler à tour de bras ?
    L'enseignement en collège et lycée est loin d'être parfait, c'est sûr, et il y a de quoi faire, notemment en terme d'orientation, etc... Mais je ne trouve que cela soit à proprement parler "prioritaire" au sens "urgent"; l'enseignement y est quand même de qualité et j'en garde en très bon souvenir.

    A mon sens, d'autres pans de l'éducation sont bien plus urgents, car catastrophiques; et là je pense à la formation professionnelle et à l'enseignement supérieur, en particulier les universités.
    Et pour être passé par la fac, j'en garde pour le coup en très mauvais souvenir, tant en termes d'organisation, de préparation à la vie professionnelle, et d'efficacité. Et les conséquences sont dramatiques : formations qui ne débouchent sur rien, échec, chômage, perte de temps...
    Il est bien plus urgent d'agir, et surtout il y a beaucoup plus de pain sur la planche !

    Pour ce qui est du primaire-collège-lycée, mis à part des modifications d'améliorations, pas besoin à mon sens de tout chambouler; "juste" de revaloriser le rôle et l'importance des enseignants à leurs yeux et aux yeux des gens.

    Au final je trouve cela un peu paradoxal : j'ai l'impression Mathieu que tu aurais limite préférer que le gouvernement cherche à "détruire" l'E.N., plutôt qu'il la laisse telle quelle. Bref, que les professeurs sont "en manque d'attention".
    Alors que finalement, cela peut tout simplement vouloir dire que le système fonctionne (ou en tout cas mieux que par le passé)...

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  10. Salut Elyas,

    Non, ce que j'aurai préféré, c'est ce que tu dis, c'est-à-dire qu'on cherche à améliorer l'existant qui n'est pas si mal. Or, on le rend plus mauvais en ce moment, même si les fondements ne sont pour le moment pas atteints. Mais attention, une réforme du lycée est en préparation.

    Par contre, entièrement d'accord avec toi sur le supérieur. C'est notre gros point faible, et c'est là que l'Etat devrait travailler.

    Pour ta dernière remarque, oui, je préférerai lutter avec des gens qui ont des idées et des valeurs qu'avec des gens qui n'en ont pas et qui font de la comptabilité. Cela restreint fortement le niveau du débat politique.

    Ne t'inquiètes pas, le gouvernement s'occupe de nous.

    A bientôt,

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  11. je découvre ton blog et suis plutôt d'accord avec ce que tu as écrit dans ce post.
    raison de plus quand on y croit encore (comme toi et moi si j'ai bien compris) pour ne pas abandonner.
    face aux déclinologues et ceux qui abandonnent l'education nationale, doit se mettre en action un mouvement de réflexion et de propositions. Les mouvements pédagoqiques et certains syndicats semblent l'avoir compris.

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  12. Faudrait faire des programmes un peu plus pragmatique qui ne soient pas une émanation des philos-psychos de l'E.N. (comment ça je provoque ? comment ça je provoque ?:p )

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  13. @ Lofi : les syndicats l'ont-ils compris ? Personnellement, j'attends de voir.

    @ CC : même pas mal !!!

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  14. J'ai écris "certains syndicats".
    (notamment celui que tu as oublié dans ta liste de liens !)

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  15. Lofi n'ose pas vous le dire, c'est un grand timide, mais vous découvrirez sur son blog qu'il s'agit de "l'UNSA". Je sais, ça fait rire de voir cité le syndicat offciel de la gauche bobo et "mutualiste" dans les organisations qui pourraient nous apporter quelque chose mais bon, ça aurait pu être pire : le SGEN par exemple.
    C'est curieux de voir Lofi venir débattre ici, lui qui a -si j'ai bien compris- interdit son propre blog à ses contradicteurs.

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  16. @ Canut : ne vous connaissant pas, Lofi et vous, je vais vous laisser régler vos comptes.

    Par contre, j'ai en effet oublier l'UNSA dans ma liste, et je vais l'ajouter.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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