vendredi 26 septembre 2008

Le film "Entre les murs" nous promet encore des débats pénibles.

Ça y est, cher lecteur, une période pénible commence pour les profs. La palme d'or du festival de Cannes 2008 vient de sortir en salle. Ce film, Entre les murs, est censé nous faire partager la vie d'un professeur de lettres dans un collège difficile d'un arrondissement de l'Est parisien.

Le film est sorti mercredi et aucun des professeurs de mon lycée dit difficile ne s'est encore rendu dans une salle obscure pour le visionner. Pourtant, nous sommes presque une centaine, et je me disais que certains collègues se rueraient pour se faire une opinion. Moi-même, je dois te dire que je recule. D'abord, je vis toutes mes journées de travail dans un établissement scolaire et revoir ma réalité journalière dans un film où on va forcément tout caricaturer pour toucher davantage le public, est un moment pénible. Quant on va au cinéma, franchement, cher lecteur, c'est pour se distraire, non ? J'ai toujours été en opposition avec les films imposés. J'avais mis beaucoup de temps à aller voir Indigènes il y a deux ans, d'abord parce que les profs d'histoire parlaient déjà de la vie des soldats coloniaux dans notre armée, et ensuite parce que tout le monde aimait. Mes élèves de l'époque m'avaient d'ailleurs un peu sermonné sur cette question, et ils avaient sans doute raison.


Mais il y a une autre raison : lorsque les médias mettent aujourd'hui en avant des profs qui parlent du métier, ils ne choisissent jamais les collègues qui écrivent des bouquins pour dire qu'ils se sentent bien et qu'ils sont heureux de faire ce boulot. Dernièrement, nous avons eu droit à des professeurs comme J.P. Brighelli, auteur de La fabrique du crétin, brûlot soi-disant objectif et clairvoyant, mais mettant en réalité en avant une rêve d'école totalement réactionnaire. Il en était de même des collègues qui ont interviewé
Xavier Darcos sur France 2 il y a quelques jours. Cette mise en avant de professeurs malheureux participe au démontage de l'école publique que mène depuis 2002 le pouvoir en place.

La sortie d'un film sur l'école va donc amener les blogueurs, quels que soient leurs bords, à lancer des billets péremptoires sur la situation de l'Éducation nationale. Mon métier est certes l'objet de critiques particulières parce que nous sommes payés par les impôts. Il est d'ailleurs normal que les citoyens en parlent, vu qu'ils mettent leurs enfants dans le système et qu'ils en attendent beaucoup et je ne veux surtout pas réserver le débat aux professionnels. Cependant, ce qui m'agace toujours, c'est que des gens qui n'ont jamais plus mis les pieds à l'école depuis qu'ils ont eu leur bac, voire qui n'y ont jamais été (beaucoup ont aussi été dans le privé, car il existe un système privé en France, cher lecteur), se permettent de lancer des pamphlets sans aucune réalité avec un ton péremptoire pénible. Ce matin,
Ivan Rioufol démarre une série de billets qui risque d'être longue et qui va me forcer à de longs commentaires pour ramener un peu de rationalité dans tout cela. Bon, je ne commenterai pas chez Rioufol, car il ne répond pas et cela n'a aucun intérêt, mais j'attends les autres au tournant.

La sortie de ce film va aussi amener la télévision à faire des reportages sur le sujet pour grignoter des parts d'audience en profitant de la vague d'intérêt suscitée par le film. Cela a commencé dès hier soir. Les deux présentatrices déprimantes d'Envoyé Spécial nous ont présenté ainsi un reportage sur un collège sensible de la banlieue de Strasbourg, qui a l'air, d'ailleurs, aussi réjouissante que la banlieue parisienne qui entoure mon lycée dit difficile. Ce reportage amène toujours à de réels caricatures. Ainsi, lorsque les reporters arrivent dans le collège le premier jour, un groupe de jeunes garçons fait exploser des pétards dans une poubelle devant le collège, manquant de provoquer un incendie. Immédiatement, un téléspectateur classique va se dire : "Oh là là, les petits sauvageons !!! Mais que fait la police ???"


Heureusement, le reporter parvient à déjouer la chose en parlant du phénomène de test que suscite la caméra. Il y a en effet une réalité importante à prendre en compte lorsqu'on travaille avec des adolescents, qu'ils soient dans des situations terribles ou pas. Un adolescent, par définition, cherche à construire sa personnalité d'adulte et à fixer les limites à ses actes. Il est dans une situation très pénible : il aimerait être un adulte mais a encore besoin de l'attention des adultes, que ce soit de ses parents ou des profs. Enfin, il est en pleine construction de sa personnalité amoureuse et sexuelle et, particulièrement pour les garçons, cherche à montrer en permanence qu'il est un adulte et qu'il est courageux, en clair "qu'il en a une grosse !!!". La présence d'une caméra est un excellent moyen de se mettre en valeur selon les codes de la cité, mais l'affrontement avec l'enseignant l'est aussi quotidiennement.


Moi, je suis toujours très indulgent avec ces comportements. Évidemment, je sanctionne, mais il faut être souple. Je me souviens, cher lecteur, de mes propres souffrances d'adolescent, et, si je n'excuse pas, je tente de me mettre dans la compréhension. Après huit ans d'enseignement, je suis maintenant assez persuadé que nos élèves adolescents recherchent trois choses fondamentales :

  • De la sévérité car ils ont besoin de cadres que les parents et la société n'impriment plus automatiquement.
  • De la justice, car ils souhaitent être traités comme des adultes mais aussi être punis comme tels.
  • De l'indulgence et de la compréhension, donc de la bienveillance, indispensable à la construction de la personnalité.

Ce cocktail est dur à mettre en place, car il demande une énergie et un détachement que nous avons parfois du mal à gérer, parce que c'est fatiguant et très usant psychologiquement.

Bon, il va bien falloir que j'aille voir ce film. S'il ne s'agit pas encore du constat d'un prof dépressif sur les "méchants élèves qui veulent pas apprendre", je te promets d'en faire un billet.

P.S. : tu remarqueras ma citation du mot sauvageon. Il s'agit d'un hommage posthume à Jean-Pierre Chevènement qui a pris sa retraite et dont on entend plus parler, et qui... Hein, quoi, Chevènement fait toujours de la politique ? Où ça ? Ah, il est au Sénat depuis dimanche ??? Bon, je ne change rien, il s'agissait bien d'un hommage posthume à un homme politique retraité.

5 commentaires:

  1. Je suis très méfiant vis à vis de ce film. C'est la construction et le choix d'une certaine élite qui trouve sans doute moral de s'apitoyer sur le sort de ces pauvres jeunes de banlieues.

    J'ai peur que ça ne donne lieu à caricature, avec d'un côté des jeunes qui ne se reconnaîtront pas, de l'autre, des jeunes qui se sentiront encore stigmatisés, et au milieu, des profs qui auront encore le sentiment d'un coup médiatique sans lendemain.

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  2. Vous êtes forts, tous les deux, les plans sur la comètes avant d'avoir vu le film!
    Je n'ai pas entendu ni lu qu'il s'agissait d'un film ou on avati un pauv' ti prof avec une bande de voyous, j'ai entendu et lu des critiques sur l'exagération de certains aspects mais surtout sur le fait que le prof est trop proche de ses élèves, et que cela n'est pas très réaliste... Ce à quoi le metteur en scène réponds que c'est une fiction.
    Faudrait aller le voir et revenir en discuter...

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  3. @ CC : j'ai les mêmes peurs.

    @ Manuel : j'aime bien parler pour ne rien dire. Si je vais voir le film, je vous ferai un CR.

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  4. Bonjour Mathieu,
    Je suis d'accord avec Manuel : je crois que c'est la première fois que je lis ou entends parler d'un film par tant de gens qui ne l'ont pas vu, y compris des gens du métier ... :)
    et ce, avant même sa sortie, d'ailleurs.
    C'est bizarre que tu n'aies pas envie d'aller le voir, il y a si peu de film sur l'enseignement !

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  5. @ Audine : je traîne la patte à cause des extraits que j'ai pu voir. Cependant, comme je le disais plus haut, je vais finir par aller le voir.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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