L’été diplomatique n’aura pas été calme, alors que la France somnolait dans un mois d’août pourtant peu clément. De nombreux événements importants ont chamboulé jusqu’à notre vision géopolitique de la planète. Et pourtant, cher lecteur, et pourtant, la crise géorgienne n’était pas une surprise, et elle pose la question de notre responsabilité de pays occidental.
On a sans doute du mal à percevoir le traumatisme qu’a représenté en Russie l’effondrement de l’Empire soviétique. Pour nous, le fait est très positif : un système totalitaire s’est écroulé, la mondialisation a réellement pu décoller, de nombreux conflits se sont éteints d’eux-mêmes. Je ne suis pas sûr que cette vision soit partagée en Russie. Ce cataclysme a d’abord entraîné la disparition de la Russie en tant que grande puissance, les Russes basculant d’un coup du côté des puissances régionales. Ensuite, elle a perdu un espace territorial immense, retombant au début du XVIIIe siècle au nouveau de son extension, et laissant partout dans les quatorze autres nouvelles républiques nées de l’URSS, d’importantes minorités russes. Enfin, suivant les bons conseils occidentaux, la Russie a certes construit un début de démocratie mais a libéralisé son système économique avec une telle brutalité, tout en laissant subsister un important secteur étatique totalement dépassé, qu’elle est entrée dans une récession très grave qui a couru tout au long des années 1990, ruinant de nombreux citoyens qui ne vivaient pas si mal que cela durant l’ère soviétique.
Évidemment, nous ne sommes pas pour grand-chose dans l’effondrement soviétique, mais nous avons donné des conseils aux Russes ensuite, nous leur avons prêté beaucoup d’argent, nous avons commencé à soutenir les pays baltes dans leur volonté de rattachement à l’UE. Puis, progressivement, nous nous sommes désintéressés de cet immense espace géopolitique, nous, les citoyens.
Pendant ce temps, agacés par leur effondrement, les Russes soutiennent l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999. Celui-ci leur promet une rupture et un redressement économique. Il va y parvenir en ramenant l’État au cœur de l’économie, en reprenant le contrôle de l’activité pétrolière et gazière et en surfant sur la hausse des prix des matières premières. Grâce à cette politique, la Russie est, depuis le début des années 2000, en croissance forte (presque 5% par an) et la richesse du pays augmente.
En parallèle, Poutine, qui est très loin d’être un libéral, comme d’ailleurs la très large majorité des Russes, mène une politique qui réduit régulièrement les libertés, prend le contrôle des médias et utilise de plus en plus le nationalisme pour souder les citoyens derrière lui. Rien de plus facile : les Russes sont heureux de se sentir à nouveau une nation importante qui compte dans le monde. Au début, cela se manifeste par la lutte contre les terroristes islamistes à l’échelle mondiale, mais aussi par la deuxième guerre de Tchétchénie. De même, les autorités russes soutiennent des gouvernements amis dans les républiques voisines. Enfin, la Russie se lance, grâce aux dollars du pétrole et du gaz, dans la rénovation de l’énorme parc militaire soviétique, certes un peu vieilli maintenant, mais encore disponible et suffisamment dangereux pour effrayer n’importe quelle puissance de la planète.
Le problème d’un gouvernement dictatorial et nationaliste, c’est qu’il doit toujours avoir du grain à moudre pour alimenter sa propagande et tenir sa population, d’autant plus qu’il subsiste, même très affaiblie, une opposition en Russie. Poutine va s’appuyer sur les actes des pays occidentaux pour rebondir et trouver de nouveaux adversaires, et en jouant à la fois sur deux craintes fondamentales des Russes : la peur de l’encerclement et la peur du recul de la puissance.
En effet, qu’avons-nous fait pendant tout ce temps ? Nous avons d’abord intégré l’Europe de l’Est à l’UE. Bon, cela n’était pas trop grave, puisque ces pays n’étaient pas dans l’URSS, à l’exception des trois pays baltes, et ne sont pas tous slaves. Pourtant, il ne faut pas oublier que la Pologne faisait partie de la Russie au XIXe siècle… Ensuite, nous avons agi contre des alliés traditionnels de Moscou, comme la Serbie en validant l’indépendance du Kosovo, ou les anciennes républiques soviétiques en soutenant le renversement des régimes pro-russes (Ukraine, Géorgie, tentative en Belarus) et en promettant des adhésions à l’UE et à l’OTAN à plusieurs de ces pays, les rattachant ainsi à l’Ouest. Les Américains poursuivent leur projet de bouclier anti-missile qui vise officiellement les Rogue States, mais pourrait tout autant concerner la Russie. Ils installent aussi des bases militaires en Asie du Sud, occupent l’Afghanistan (juste au sud de l’ancienne zone d’influence soviétique…), influencent les Etats du Caucase pour contrôler les flux pétroliers sans passer par la Russie (oléoduc BTC).
En conséquence, les citoyens russes étaient inquiets et espéraient des actes qui rappelleraient le glorieux passé soviétique. Jusqu’ici, le gouvernement russe s’était contenté de paroles, mais cela ne pouvait suffire, car le peuple attendait. Une étape a été franchie avec la Géorgie, matérialisant une fuite en avant qui pouvait déjà se sentir dans le passé. Il est vrai que personne n’imaginait un tel passage à l’acte, moi compris dans mes cours de géographie. En agissant ainsi, les Russes nous adressent deux messages :
On a sans doute du mal à percevoir le traumatisme qu’a représenté en Russie l’effondrement de l’Empire soviétique. Pour nous, le fait est très positif : un système totalitaire s’est écroulé, la mondialisation a réellement pu décoller, de nombreux conflits se sont éteints d’eux-mêmes. Je ne suis pas sûr que cette vision soit partagée en Russie. Ce cataclysme a d’abord entraîné la disparition de la Russie en tant que grande puissance, les Russes basculant d’un coup du côté des puissances régionales. Ensuite, elle a perdu un espace territorial immense, retombant au début du XVIIIe siècle au nouveau de son extension, et laissant partout dans les quatorze autres nouvelles républiques nées de l’URSS, d’importantes minorités russes. Enfin, suivant les bons conseils occidentaux, la Russie a certes construit un début de démocratie mais a libéralisé son système économique avec une telle brutalité, tout en laissant subsister un important secteur étatique totalement dépassé, qu’elle est entrée dans une récession très grave qui a couru tout au long des années 1990, ruinant de nombreux citoyens qui ne vivaient pas si mal que cela durant l’ère soviétique.
Évidemment, nous ne sommes pas pour grand-chose dans l’effondrement soviétique, mais nous avons donné des conseils aux Russes ensuite, nous leur avons prêté beaucoup d’argent, nous avons commencé à soutenir les pays baltes dans leur volonté de rattachement à l’UE. Puis, progressivement, nous nous sommes désintéressés de cet immense espace géopolitique, nous, les citoyens.
Pendant ce temps, agacés par leur effondrement, les Russes soutiennent l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999. Celui-ci leur promet une rupture et un redressement économique. Il va y parvenir en ramenant l’État au cœur de l’économie, en reprenant le contrôle de l’activité pétrolière et gazière et en surfant sur la hausse des prix des matières premières. Grâce à cette politique, la Russie est, depuis le début des années 2000, en croissance forte (presque 5% par an) et la richesse du pays augmente.
En parallèle, Poutine, qui est très loin d’être un libéral, comme d’ailleurs la très large majorité des Russes, mène une politique qui réduit régulièrement les libertés, prend le contrôle des médias et utilise de plus en plus le nationalisme pour souder les citoyens derrière lui. Rien de plus facile : les Russes sont heureux de se sentir à nouveau une nation importante qui compte dans le monde. Au début, cela se manifeste par la lutte contre les terroristes islamistes à l’échelle mondiale, mais aussi par la deuxième guerre de Tchétchénie. De même, les autorités russes soutiennent des gouvernements amis dans les républiques voisines. Enfin, la Russie se lance, grâce aux dollars du pétrole et du gaz, dans la rénovation de l’énorme parc militaire soviétique, certes un peu vieilli maintenant, mais encore disponible et suffisamment dangereux pour effrayer n’importe quelle puissance de la planète.
Le problème d’un gouvernement dictatorial et nationaliste, c’est qu’il doit toujours avoir du grain à moudre pour alimenter sa propagande et tenir sa population, d’autant plus qu’il subsiste, même très affaiblie, une opposition en Russie. Poutine va s’appuyer sur les actes des pays occidentaux pour rebondir et trouver de nouveaux adversaires, et en jouant à la fois sur deux craintes fondamentales des Russes : la peur de l’encerclement et la peur du recul de la puissance.
En effet, qu’avons-nous fait pendant tout ce temps ? Nous avons d’abord intégré l’Europe de l’Est à l’UE. Bon, cela n’était pas trop grave, puisque ces pays n’étaient pas dans l’URSS, à l’exception des trois pays baltes, et ne sont pas tous slaves. Pourtant, il ne faut pas oublier que la Pologne faisait partie de la Russie au XIXe siècle… Ensuite, nous avons agi contre des alliés traditionnels de Moscou, comme la Serbie en validant l’indépendance du Kosovo, ou les anciennes républiques soviétiques en soutenant le renversement des régimes pro-russes (Ukraine, Géorgie, tentative en Belarus) et en promettant des adhésions à l’UE et à l’OTAN à plusieurs de ces pays, les rattachant ainsi à l’Ouest. Les Américains poursuivent leur projet de bouclier anti-missile qui vise officiellement les Rogue States, mais pourrait tout autant concerner la Russie. Ils installent aussi des bases militaires en Asie du Sud, occupent l’Afghanistan (juste au sud de l’ancienne zone d’influence soviétique…), influencent les Etats du Caucase pour contrôler les flux pétroliers sans passer par la Russie (oléoduc BTC).
En conséquence, les citoyens russes étaient inquiets et espéraient des actes qui rappelleraient le glorieux passé soviétique. Jusqu’ici, le gouvernement russe s’était contenté de paroles, mais cela ne pouvait suffire, car le peuple attendait. Une étape a été franchie avec la Géorgie, matérialisant une fuite en avant qui pouvait déjà se sentir dans le passé. Il est vrai que personne n’imaginait un tel passage à l’acte, moi compris dans mes cours de géographie. En agissant ainsi, les Russes nous adressent deux messages :
1. Il est hors de question que vous nous repoussiez dans nos frontières actuelles et que vous fassiez de nous des vassaux. Nous tenons à reprendre le contrôle de nos marges et à redevenir une grande puissance.
2. Si vous continuez à intriguer auprès de nos satellites, nous sommes maintenant prêts à utiliser la force s’il le faut pour nous imposer.
Ces deux messages sont le résultat de nos politiques passées et présentes. En y repensant, il est clair que les Etats-Unis et l’UE ont été légers dans leurs gestions des relations avec la Russie. Nous en payons aujourd’hui les conséquences.
Il y a maintenant plusieurs pistes possibles, mais aucune ne me satisfait réellement. Je crois que nous arrivons au bout d’un cycle et que les relations internationales vont se tendre. A côté, les islamistes nous apparaîtront comme un joyeux souvenir. Plusieurs pistes donc :
· Soit nous jouons du big stick, et nous disons maintenant aux Russes que nous sommes prêts à intervenir contre toute atteinte à l’intégrité territoriale d’un État souverain. Complètement enfermés, les Russes se lanceront alors à la recherche d’alliés (tiens, il semblerait que les Chinois et les Iraniens soient disponibles) et nous testeront. Il faudra alors être prêt à assumer les conséquences de nos paroles. Franchement, cher lecteur, cela ne me réjouit nullement, d’autant plus que le gouvernement russe actuel a montré sa capacité à user de la force si besoin.
· Soit nous usons plutôt du soft power, et nous définissons une zone d’influence maximale au Kremlin. Évidemment, cela nous décrédibilisera auprès des peuples à qui nous avons tout promis et que nous abandonnerons. D’un autre côté, cette solution est plus pacifique mais est aussi à risque, car rien ne dit que les Russes respecteront cet espace et ne prendront pas cette entente comme une faiblesse. Il faudra sans doute, à un moment ou à un autre, user de la piste n°1.
· Soit nous ne faisons rien et nous laissons tomber les États de la région, prêt à voir renaître une sorte de nouvelle URSS capitaliste (nouveau) et dictatoriale (pas nouveau). Nous serons complètement décrédibilisés, mais nous aurons peut-être la paix et éviteront la constitution d’un nouveau bloc eurasiatique.
Personnellement, je suis assez pour la deuxième piste, car j’ai toujours été éberlué de voir avec quelle légèreté nos gouvernements s’engageaient dans la région. Il faut que nous affirmions notre volonté, sans pour autant nous engager au-delà de notre capacité réelle. Il est vrai que je propose une sorte de nouveau containment. Je crains malheureusement que ce soit la seule solution viable…
Car ce que révèle cette situation est important : il n’existe pas de superpuissance capable de s’opposer à un grand État bien armé, du fait des moyens de destruction dont nous disposons tous maintenant, sans remettre en cause l’existence de notre espèce. Nous risquons rapidement de revenir à une situation de type guerre froide. J’espère que nous saurons la gérer sans prises de décisions inconsidérées.
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