mardi 30 septembre 2008

Citoyen américain frappé par la crise, sors de ta torpeur et vite !!!

Comme tu as sans doute pu le lire, le Congrès a préféré rejeter le plan Paulson qui visait à mener un véritable sauvetage par la puissance publique des grandes banques et des compagnies d'assurance des États-Unis. Je ne vais pas me lancer ici sur les causes de la crise : Dorham en a fait aujourd'hui une excellente analyse. Je ne vais pas non plus m'intéresser aux conséquences possibles : ce qui s'est passé hier en Autriche est une possibilité de ce qu'il pourrait bien se passer dans les années à venir dans l'ensemble de l'Europe.

Une chose m'accroche en cette soirée. Pourquoi les représentants démocrates et républicains se sont-ils retrouvés pour faire échouer cette première mouture du plan Paulson ? Au départ, je me suis dit que c'était des libéraux doctrinaires qui rejetaient l'intervention de l'État, ou bien qu'ils avaient la trouille d'engloutir 700 milliards de dollars dans des banques en creusant encore bien davantage le gouffre abyssale de la dette américaine plus qu'il ne l'est déjà. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les sénateurs et les représentants ont eu les chocottes de leurs électeurs qui ne voudraient pas payer pour les élites déviantes de leur pays.

Dorham montre assez bien le rôle des spéculateurs dans le processus de la crise actuelle. Personnellement, je voudrai plutôt insister sur le soi-disant libéralisme des Américains. Après la dépression des années 1970, les Américains ont soutenu des chefs d'État qui ont appliqué avec force la doctrine néolibérale. Il s'agissait de bloquer les salaires et de favoriser les entreprises et les capitalistes dans la réallocation des richesses. Comme il fallait quand même soutenir la consommation et l'investissement des ménages dans un cadre de revenus bloqués, les gouvernements américains ont joué sur la baisse de la dépense publique, la baisse des impôts et la facilitation massive du crédit. L'ouverture du crédit a été continue, mais un processus pervers est vite apparu. Les ménages américains se sont surendettés : usant des crédits revolving, des crédits immobiliers, puis finalement des subprimes, ils n'ont cessé d'hypothéquer leurs revenus futurs, et sont finalement arrivés à un taux d'endettement de 240% des revenus, bien au-delà de leurs capacités réelles de remboursement.

Dans ma vieille éducation franchouillarde, le crédit est normalement quelque chose qui s'appuie sur un revenu réel. Quand on s'endette, c'est qu'on s'engage un jour ou l'autre à rembourser. On s'engage sur ses revenus futurs, que l'on peut parfois prévoir en partie. Si on ne peut plus payer, on vend ses biens et on fait faillite. C'est à priori à chaque citoyen de savoir ce qu'il peut réellement investir ou pas. Sur ce domaine, je suis totalement pour la responsabilité. Pour moi, si tu veux acheter quelque chose que tu n'as pas les moyens de financer, tu peux faire un crédit, mais seulement si tu as les moyens de le rembourser. Si ce n'est pas le cas, tu peux travailler plus pour hausser ton revenu, te qualifier et obtenir un emploi mieux payé ou réclamer des augmentations de salaire si tu estimes que ton travail n'est pas salarié à sa juste valeur.

Or, les Américains n'ont pas joué ce jeu. Certes, les banques ont vendu des crédits pourris à des gens qui ne pouvaient pas les payer, en le sachant totalement. D'un autre côté, les citoyens ont contracté des crédits qu'ils savaient déjà ne pas pouvoir payer. Ils l'ont fait de manière totalement irresponsable, pour pouvoir continuer à accéder à ce rêve américain de la propriété, de la possession de l'automobile ou même simplement de l'achat des consommables chaque jour dans les supermarchés. Aujourd'hui, la banque se purge et trinque. Les citoyens vont trinquer aussi, car ils sont responsables, que ce soit par la perte de leurs biens ou par le futur paiement d'impôts qu'il va bien falloir assumer sous peine de voir leur épargne disparaître dans les faillites bancaires.

On pourrait me dire : "Privilégié, tu es d'une sévérité sans nom. Comme si les citoyens pouvaient avoir connaissance de leurs capacités de remboursement ? Comme si tout cela n'avait pas été possible parce que des élites leur ont vendu ces crédits ?" C'est vrai, et les élites ont leur part de responsabilité, d'autant plus qu'ils se sont largement enrichis grâce à ce système. Cependant, les citoyens ont voté pour ces gens, ils ont souscrit des crédits et ont revoté pour ces gens, continuant à gober leurs discours sans esprit critique, tout cela mâtiné d'un libéralisme bon teint qui promettait la richesse. De plus, il ne s'agit pas dans ce cas de l'erreur d'une minorité : tous les Américains sont endettés, et largement. C'est la société dans son ensemble qui s'est fourvoyée.

Les Américains pourraient se rendre compte de leurs erreurs, et se comporter en responsable. Il va falloir payer dans une première période, mais peut-être pourra-t-il ensuite y avoir une remise en cause des dogmes, voire une discussion sur la répartition des richesses réelles, et pas sur les constructions délirantes des banquiers. Cependant, la réaction des parlementaires fait craindre que les Américains continuent à gérer leurs finances de manière totalement irrationnelle et irresponsable.

Certains libéraux prétendent qu'il est normal de ne pas payer les erreurs des élites. Dans le cas de cette crise, les fautes sont partagées : les élites ont proposé des idées pourries, les autres ont accepté les idées pourries. En France, nous devons tous, en tant que citoyens, nous poser des questions fondamentales sur la consommation, le crédit, le travail et sa rémunération, la répartition des richesses de plus en plus inégalitaire. Sinon, par notre irresponsabilité qui nous amène à confier à des capitalistes cupides le pouvoir, nous risquons nous aussi, à terme, d'en payer durement le prix.

D'ailleurs, la crise américaine a un petit côté rassurant. Pour faire accepter le blocage des salaires et l'enrichissement massif des riches depuis 1973, les élites américaines ont dû ouvrir les vannes du crédit, car les Américains gardaient malgré tout une volonté de progrès. Ils ont fait des bénéfices délirants, mais le système s'est cassé la tête. Espérons que nos amis américains vont comprendre que la seule valeur réelle, comme le disait Marx autrefois, est le revenu de son travail, et que s'endetter sur du vide en confiant les bénéfices de sa production aux capitalistes est séduisant sur le court terme, mais très nuisible sur le long terme.

21 commentaires:

  1. Il me semble que vous oubliez la dimension irrationnelle qui se cache dans le fait de consommer à crédit. Pour de plus en plus de gens la raison pure n'a pas sa place au moment où ils décident de s'endetter, ils cèdent à un vertige de désir. Bon, à cette heure-ci je n'ai plus les idées assez claires. Je vais réfléchir davantage à votre billet…

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  2. @ LCC : en fait, ce billet avait aussi une dimension ironique, pour montrer aux libéraux, qui parlent toujours de la rationalité des acteurs économiques, qu'il faut aussi relativiser ce type d'idée.

    A bientôt, pour un nouveau commentaire.

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  3. @MathieuL.

    Je trouve que ton analyse des circonstances de la crise du crédit aus USA est juste et pertinente: incitation abusive au surendettement irrationnel des ménages.

    Mais, je te rappelle que le libéralisme demande et prévoit une information honnète et complète des acteurs respectifs; ce qui n'était manifestement pas le cas: il y a eu tromperie et carence des banques prêteuses sur la valeur hypothécaire.

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  4. @Penthievre

    Pourtant c'est au nom du libéralisme que les organes de contrôle des activités bancaires sont devenus de moins en moins regardants...

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  5. @ Penthièvre : pourtant, les économistes sont de plus en plus conscients que la base du fonctionnement du marché est plutôt l'opacité, plus propice aux affaires. D'autre part, on peut fournir l'information mais les acteurs économiques sont-ils capables de l'interpréter ?

    Dans ce cas précis, je pense que de nombreux ménages auraient très bien pu se rendre compte que les crédits qu'ils souscrivaient étaient délirants. Je ne crois pas les Américains moins bons gestionnaires que nous.

    @ Fabrice : le libéralisme tel que le défendent nos camarades blogueurs n'a jamais existé nul part. En plus, dire que le libéralisme permet la lisibilité de l'information est une gageure : comment garantir que l'information est lisible lorsque la puissance publique n'est pas là pour la confirmer.

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  6. Je pense que l'américain n'a pas tellement le choix. Tu (Mathieu) dois être au courant qu'aux U.S le crédit fonctionne sur la base d'un système de points. Plus tu as de crédits, que tu rembourses correctement, plus le taux d'intérêt auquel tu peux prétendre est bas.
    Donc, pour espérer obtenir un taux intéressant pour l'acquisition de la résidence principale, il faut avoir accumulé quelques points.
    De plus contrairement à chez nous, aux U.S, le taux variable est largement répandu, ce qui veut dire qu'un taux variable est beaucoup plus avantageux qu'un taux fixe. C'est d'ailleurs la même chose ici avec les prêt en devises suisse, et ça se passe très bien.
    Le problème, c'est que le banques ont prêté à des gens au delà de leur capacité d'endettement et qu'à la moindre hausse importante du taux directeur, ils ne pouvaient plus payer.
    Le problème n'est donc pas le comportement du citoyen américain, car celui ci lui est dicté par le mode de fonctionnement américain, le système est ainsi, on doit faire avec.

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  7. @ Manuel : désaccord total sur ce dernier commentaire. Dans une démocratie, un système se réforme, car le peuple est souverain. Si on veut changer un système, on élit les gens qui vont le faire. Les Américains ont cautionné et cautionne ce système de l'irresponsabilité et de la croissance sans fondement. J'espère qu'ils vont bientôt changer de vision.

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  8. Changer de système?
    Facile, Obama ou Mac Cain, qui donc va changer le système?

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  9. je te suis bien dans ton raisonnement mais ...

    Il ne faut pas négliger le fait que c'est l'Etat américain lui même qui a souhaité aider les plus démunis à accéder à la propriété (c'était le rôle des fameux Freddy et Fanie que de refinancer les banques prêteuses). Il y a même une loi obligeant les banques à prêter à taux préférentiels.
    On pourrait qualifier les motivations sous-jacentes de "sociales" !

    Imaginons qu'en France, on ait institué un système comparable (maintenant c'est plus possible)on aurait probablement applaudit des 2 mains me semble t'il ...surtout si la mesure avait été prise par les Socialistes !...il est vrais que l'échelle n'aurait pas été la même et donc les conséquence dans une situation comparable, bien moindres mais est-ce que cela ne signifie pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions et qu'il faut mesurer toutes les conséquences possibles d'une mesure en apparence positive ?

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  10. @Mathieu L.

    Il faut aussi prendre en compte le fait que les prêts à taux variables sont beaucoup plus répandus aux USA qu'en France.

    Si les taux montent ( moins de cash, cause dépenses militaires et déficit abbyssal) et que l'accédant se retrouve en situation de ne plus suivre, il se dit qu'il peut et va vendre (à une valeur spéculative brillante qu'on lui a fait miroiter) et chercher un logement plus modeste.

    Le problème , c'est que beaucoup mettent en vente en même temps, et que le marché immobilier s'effondre; les banques se retrouvent avec des valeurs hypothécaires totalement dévaluées (titres pourris).
    En bonne logique, c'est bien l'Etat US, qui a couvert les prises de risque des prêteurs de compenser, par le recours au bubget nationnal des contribuables.
    Sinon, c'est malhonète, car l'Etat était bien le souteneur de la démarche initiale, pas forcément justifiée, et surtout, pas vraiment libérale.

    Merci de vos commentaires très intéressants.

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  11. Tu considères que la crise actuelle valide les théories de Marx ? Vraiment ? Ou alors c'est purement rhétorique ?

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  12. En tout elle invalide les théorie d'autorégulation libertariennes..

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  13. @manuel,

    pas du tout; au contraire, cette situation illustre la caution et l'interventionnisme de l'Etat, qui se substitue ainsi aux vrais responsables. Donc, totalement anti-libéral!

    L'attaque est manquée, mais les conséquenses seront au final supportées par les contribuables de l'Etat US.

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  14. Mais Penthièvre, l'intervention de l'État se négocie maintenant, elle n'est pas la cause de la crise!
    La crise est là parce qu'on a laissé faire la spéculation boursière, qu'on n'a pas règlementé tout ça.

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  15. @ Manuel : le fait que les citoyens américains refusent de remettre en cause leurs valeurs, c'est un fait. Des fois, cela leur profite et parfois, cela leur fait du tort. Tant pis pour eux. Les Etats-Unis sont une démocratie, et, si elle est dans cet état, c'est aussi à cause des citoyens.

    @ Nicolas007bis : par définition, l'Etat est une démocratie aux Etats-Unis. L'Etat fédéral a donc mené sa politique avec un soutien populaire et une adhésion à la politique menée. Je l'avais déjà dit dans des articles précédents : je suis toujours étonné que nos concitoyens puissent aussi facilement donner le pouvoir à des gens qui vont dégrader leurs conditions de vie.

    @ Penthièvre : si tu reprends mon billet, tu verras que je m'intéresse surtout à la démarche des citoyens qu'à celle de l'Etat. Maintenant, tu as toi-même dit chez LOmiG il y a peu que la propriété était un fondement du libéralisme. L'Etat a voulu aidé les citoyens à l'acquérir, et les milieux d'affaire ont suivi à cause de l'aspect juteux de la chose. Les citoyens ont joué le jeu. Ils vont payer, tant pis pour eux, mais je suis étonné qu'ils maintiennent toujours leur confiance à ces idées.

    @ Rubin : dans l'article, c'était plutôt ironique, mais certains des processus en cours dans cette crise pourraient très bien correspondre à des logiques du "Capital", comme le partage de la valeur ajoutée de plus en plus défavorable à la majorité de la population et la nécessité d'en passer par le crédit pour compenser cette stagnation des revenus.

    @ Penthièvre 2 : je crois au contraire que si l'Etat paie, il est possible que les citoyens paient, et ils sont en partie responsables. Sauf si on fait encore appel aux fonds souverains étrangers, ce que l'Etat américain pourrait bien être tenté de faire une fois de plus...

    @ Manuel 2 : je suis d'accord avec toi sur ce coup-là.

    A bientôt, et merci à tous pour ces commentaires de qualité.

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  16. @ tous : excusez les multiples fautes d'orthographe, j'ai rédigé un peu vite et sans me relire. Cela m'apprendra.

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  17. @Manuel : qu'entends-tu par "spéculation boursière" ? et "réglementer tout ça", c'est faire quoi, spécifiquement ?

    @Mathieu : je ne crois pas qu'on ait attendu Marx pour découvrir la nature résiduelle du profit, et je crois encore moins que cette nature soit remise en cause aujourd'hui, économiquement ou moralement, sauf à prôner le retour au troc !

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  18. @ Rubin : tiens, il me semble que si, mais je reverrai mes classiques. Cependant, je n'ai pas dit que le système était remis en cause, loin de là, même si je le voudrai, je dis juste que certaines théories marxistes sur le capitalisme s'illustrent encore dans cette crise.

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  19. @manuel,

    il faut bien un jour que le principal responsable de la situation l'assume et ne se défausse pas; ça, c'est du libéralisme!

    L'intervention de l'Etat US ne se négocie pas en ce moment; elle est acceptable ou non, au nom des principes fondateurs et des erreurs respectives; ce n'est pas la même chose.

    @Mathieu L.

    Et je répète que l'affaire des subprimes n'est pas une spéculation boursière sur des biens de production (économie réelle) , mais sur les actifs consommés/consommables exagérément surévalués. Quand le détenteur ultime des titres pourris (sans grande valeur) présente son bilan, il s'aperçoit qu'il a prêté de l'argent à fonds perdus, et il peut mériter des réprimandes, ou, à tout le moins, assumer. Les règles de surveillance de la solidité des prêteurs ont été négligées, oui.

    Enfin, pas sur que les électeurs citoyens américains maintiennent leur confiance démocratique, pour un tel Etat. Encore que, s'il assume...

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  20. @ Penthièvre : la confiance en l'Etat, ils peuvent toujours en avoir ou pas. Ce qui compte, ce sont les gens qui le dirigent. Ceux-là, aujourd'hui, je n'aurai pas confiance en eux.

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  21. @Mathieu L.,

    moi non plus; de toutes façons, ils sont en fin de mandat.

    Mais la suite est plus incertaine que jamais.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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