vendredi 28 novembre 2008

Le problème des SDF va bien au-delà des centres d'hébergement.

Aujourd'hui, cher lecteur, je voudrais te faire partager un peu de mon expérience de vie, ce que je vais faire, comme tu le sais, de manière anonyme une fois de plus. Depuis plusieurs jours, en fait depuis que les températures ont commencé à baisser, ce qui arrive chaque année à un certain moment, la polémique a rebondi sur les SDF, une fois de plus. Les propos de Christine Boutin, repris par Sarkozy avant d'être démenti par Fillon (un peu difficile à suivre...) ont choqué. Comme beaucoup, mon camarade Manuel s'est fendu d'un billet pour s'en plaindre aujourd'hui, certes aussi pour faire un peu de provocation avec les LHC, mais il soulève, derrière son aspect satirique, certaines questions.

J'ai eu la possibilité, depuis 1999, de travailler comme bénévole pour une association qui bosse avec les SDF. Je n'en citerai pas le nom, parce que je m'exprime ici sans que ses dirigeants le sachent et je ne veux pas que mon discours soit perçu comme celui de cette association. Depuis neuf ans, je rencontre donc régulièrement des SDF. Ce n'est pas courant : tous les habitants de la région parisienne voient tous les jours des SDF et les côtoient dans les rues, les transports en commun, les lieux publics. Cependant, la majorité d'entre eux ne leur adresse jamais la parole. Les sans-logis sont membres d'une catégorie de population qui reste relativement isolée. Pourtant, ce n'est pas le cas de tous : lorsqu'un, ou plusieurs, se localise régulièrement à un endroit, les habitants du coin se mettent souvent à le suivre. Contrairement à ce que l'on pourrait penser dans cette société profondément individualiste, la solidarité réapparaît assez rapidement lorsqu'on a la souffrance au pied de chez soi. Je le vois bien chaque jour avec les deux clochards qui s'installent devant la mairie des Lilas, dont Régis, qui est une figure de la commune et est connu de tous.

Il faut d'abord, cher lecteur, que j'essaie de t'expliquer pourquoi une partie des SDF refuse systématiquement les centres d'hébergement. Ce comportement peut paraître totalement aberrant dès que la température descend. Si on y réfléchit un peu, il est même aberrant tout le temps : la rue est un endroit dangereux, même pour un SDF qui n'a que peu de choses, et surtout la nuit. Pour expliquer cette contradiction apparente, il faut tenter de saisir la situation. En fait, de nombreuses catégories de personnes sont à la rue, et souvent de manière assez courte. Dans la plupart des cas, les gens se prennent en charge, parviennent à trouver des contacts dans les services sociaux ou auprès des associations, sont aidés par leurs proches et ressortent de la rue rapidement. Il est à signaler que de nombreux SDF travaillent, particulièrement en région parisienne, mais ne peuvent se payer de logement à cause de salaires trop faibles ou précaires.

Mais il y a les autres, ces SDF qu'on appelle plutôt des clochards traditionnellement. La plupart des clochards sont atteints par diverses pathologies relevant de la psychiatrie et qui ne sont pas traitées. Soit la personne était touchée avant par sa situation sociale, familiale, intime, et sa pathologie l'a amenée dans la rue, soit elle en a tellement pris plein la tête dans la rue qu'elle a fini par disjoncter. Les études montrent qu'une personne qui vit plus de six mois à la rue, ou qui y passe un hiver, est fatalement atteinte par ces maladies psychiatriques. Beaucoup d'entre eux finissent par ne plus pouvoir se réinstaller dans un appartement sans un vrai travail de réadaptation.

Or, les centres d'hébergement regroupent, pour une nuit, une masse de ces gens complètement dérangés. Très vite, des bagarres, des agressions, des vols et même des viols se déroulent. Les SDF les moins atteints supportent cela très mal, et essayent d'éviter au maximum de s'y rendre. Pourquoi un tel niveau d'insécurité ? Souvent, ces centres sont à peine gardés (une ou deux personnes), et comment faire face à une cinquantaine de SDF ? Donc, les sans-logis deviennent brusquement complètement cohérents.

Les forcer à aller dans ces centres, en dehors de tout aspect liberticide, est donc les condamner à des souffrances assez fortes, même si celles de la rue peuvent être beaucoup plus importantes.

Suite à cela, je voudrai aussi, cher lecteur, te dire que sortir les SDF de la rue n'est pas juste une question de réquisitions de logement, de création d'emplois ou de centres d'hébergement. Cela ne peut se faire sans une forte politique de traitement psychologique des clochards, qui n'est vraiment possible que si la personne en question y est prête. Dans la plupart des cas, ils ne le sont pas; certains prétendent même que la rue est un choix, qu'ils y sont heureux et qu'ils n'en sortiront pas.

Il faut donc prendre ce problème, une fois de plus, en en envisageant tous les aspects. Cela demandera des investissements lourds, mais je crains que nos gouvernants n'y soient pas davantage prêts que dans bien d'autres domaines.

8 commentaires:

  1. Merci pour cet éclairage sur les conditions de nuitée dans ces centres d'hébergement.
    Sans vraiment les connaitre j'étais déjà offusqué par cette proposition forcée, tu apportes de l'eau à mon moulin.

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  2. La radio (inter) a récemment évoqué ces raisons du refus des centres d'hébergement par certains SDF. Ça ne suffit pas pour faire comprendre ce que sont les conditions véritables de cohabitation, le surcroit de désespoir qui peut naitre de cette promiscuité imposée… Beaucoup de gens s'émeuvent à l'idée que cette déchéance pourrait les toucher un jour, réflexe un rien égoïste, mais l'imaginaire d'une personne à l'abri est sans doute incapable de concevoir tout ce que cela implique.

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  3. Oui enfin le but de la proposition n'est pas de priver des SDF de leur liberté, de les maltraiter, ou de se désintéresser de leurs souffrances. La question est de sauver leur vie, en évitant qu'ils ne meurent de froid !

    Donc je pense qu'il n'y a vraiment pas de quoi s'offusquer, d'un "excès d'humanisme". Qu'on ne soit pas d'accord et qu'on discute la pertinence d'une telle solution, je le comprends tout à fait. Moi-même je ne suis pas forcément convaincu que ce soit une bonne chose.

    Mais c'est comme pour d'autres sujets (Témoins de Jéhovah refusant les transfusions, dépressifs ou anorexiques refusant les soins ou l'hospitalisation...) : où s'arrête t'on entre le libre-choix et le fait de protéger les gens d'eux-mêmes ?
    La question mérite d'être posée.

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  4. c'est tellement agréable d'entendre cela. c'est pourtant simple mais trop éloigné de nos politiques. Te souviens tu Même Jospin voulait supprimer les SDF lorsqu'il était en campagne.

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  5. @ Manuel : De rien.

    @ LCC : le rapport des abrités avec les SDF est compliqué. C'est vrai qu'il y a un fantasme de la rue. Il y a aussi l'état de ces personnes, très souvent déplorable et repoussant. Pourtant, je suis toujours étonné des rapports fréquents avec les riverains qu'ont les SDF.

    @ Elyas : lourde question que tu poses. Ce n'était pas directement l'objet de mon billet, puisque je visais juste à partager mes expériences avec vous. Cependant, cela mériterait un billet...

    @ Peuples : "supprimer les SDF" ??? Euh, tu veux dire leur trouver un logement je suppose. Nos politiques jouent sur des émotions, comme d'habitude. Le clochard en provoquant beaucoup, c'est un bon fond de commerce en période électorale.

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  6. Juste pour info, des extraits de cet article ont été diffusés dans le dernier numéro de Vendredi.

    LCC et Elyas, des extraits de vos commentaires y sont reproduits.

    A bientôt,

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  7. Bonjour,
    Actuellement étudiante en Master 2 de Communication, j’enquête sur la perception que les blogueurs ont du journal Vendredi. Sachant que vous y avait été publié, je serais très intéressée par vos réponses aux quelques questions qui suivent.
    Pour m’adressez votre retour : illana18@hotmail.com
    Merci par avance.

    1. Nom de votre blog OU de celui sur lequel vous publiez
    2. Votre identité (sexe, âge, profession)
    3. Thème du billet paru
    4. Comment percevez-vous le fait d’avoir été publié sur Vendredi ? (fierté, indifférence, autre)
    5. Etes-vous satisfait de la sélection qui a été faite de votre article ? (parties tronquées, parties reprises)
    6. Que pensez-vous de ce concept de journal (agrégation de contenus provenant exclusivement du net) ?
    7. Etes-vous lecteur de Vendredi ?

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  8. @ Anonyme :

    Je ne répondrais pas de cette manière. Si vous souhaitez une réponse, envoyez-moi un mail que je puisse vérifier que vous n'êtes pas un spam, et je vous répondrais. Vous trouverez mon mail dans mon profil.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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