dimanche 30 novembre 2008

Les arguments du pro-travail dominical.

Tu auras remarqué, cher lecteur, que souvent, je n'aime pas trop me mêler des polémiques en cours dans la blogosphère. Celle sur le travail dominical en est une qui m'intéresse, certes, mais j'ai loupé le coche. De nombreux blogueurs politiques ont déjà largement traité la question, résumant les positions de tous, ce qui a effacé de fait le besoin d'affirmer la mienne. Pourtant, je voudrai y revenir maintenant.

J'ai entendu à la radio cette semaine la représentante d'une association de salariés du Val-d'Oise qui défendait le travail dominical. J'ai immédiatement dressé l'oreille en me disant que j'allais entendre une libérale résumer les positions de son mouvement politique. C'est pour cela que je n'ai pas noté le nom de cette dame et le nom de son association : j'ai essayé de la retrouver sur Google, mais impossible. Donc, je vais parler contre une personne dont je ne peux citer le nom. et qui ne pourra pas se défendre. Je sais, cher lecteur, c'est mal, mais enfin, dans cette affaire, ce n'est pas la personne mais l'argumentaire qui m'intéresse. Cependant, je ne le referai plus, enfin, je crois...

Cette salariée (qui devait bosser dans une grande surface) n'a absolument pas développé d'argumentation politique. Sa logique était apparemment simple : "Je gagne 1 200 € par mois, ce qui m'empêche de consommer comme je l'entends. Si on m'autorise à travailler tous les dimanches, et pas seulement pendant les fêtes, mon salaire va s'élever de près de 200 € par mois. Je ne comprends pas pourquoi on s'acharne à me refuser cela."

Reprenons donc le raisonnement. Cette supporter du travail dominical n'avait donc aucune affinité pour les idées libertariennes. Ce qui l'intéressait était d'élever son pouvoir d'achat en travaillant un peu plus. A l'évidence, le discours de Sarkozy est donc passé. Cette femme considère qu'elle ne pourra pas faire augmenter son salaire, et qu'il faut donc travailler plus. Cette assertion est vraiment problématique. En effet, la productivité des salariés français n'a cessé de s'élever, pour devenir l'une des plus hautes du monde. Or, les salaires évoluent beaucoup moins vite, ce qui signifie que le profit va ailleurs, peut-être en partie vers les investissements, mais sans doute en majorité vers les actionnaires. On en est donc arrivé à un point où les gens sont tellement persuadés que l'action collective ne leur amènera rien, qu'ils sont prêts à travailler plus, c'est-à-dire aussi à augmenter les profits des entreprises, pour espérer ramasser quelques miettes salariales.

Si cette croyance a disparu, c'est aussi à cause de la faillite des syndicats et de la gauche. Les syndicats sont devenus tellement peu crédibles que certains d'entre eux se font traîner en justice par leurs salariés lorsqu'ils essaient de sauver le repos du dimanche. Cela ne vient pas de l'archaïsme syndical, mais plutôt du fait que les salariés savent plus ou moins que les syndicats ne peuvent plus faire augmenter les salaires, et qu'il faut donc céder des choses pour l'obtenir. C'est aussi le symbole de la faillite de la gauche actuelle, car ces salariés savent qu'il n'y a pour le moment aucune alternative crédible à l'UMP pour obtenir un peu plus de salaire et d'amélioration de nos conditions de vie.

Je me demande aussi, cher lecteur, quelle vision ont les salariés de leur travail. Le raisonnement classique des pro-travail est que, si un salarié veut bosser, pourquoi l'en empêcher. Ce qui pèche là-dedans, c'est qu'une bonne partie des salariés français souffrent de leur travail. Le choix de bosser le dimanche sera donc forcément une souffrance supplémentaire. Les choses changent totalement lorsqu'une personne aime son métier et choisit de le faire : ce serait mon cas si j'étais à ce point en recherche salariale. Mais je ne le suis pas, car mon salaire est suffisamment élevé pour que je n'en ai pas le besoin.

Cette mesure vise donc à l'évidence les pauvres et ceux pour qui le travail est plutôt un poids qu'un plaisir. Il est d'ailleurs intéressant de voir que notre militante associative est prête à se faire souffrir encore plus pour pouvoir consommer. L'idéologie consumériste devient dans cette affaire l'alliée des valeurs libérales. En étant assez éloigné d'elle, je dois te dire que ces interviews me font prendre conscience de la difficulté pour la gauche actuelle de traiter ce problème. Les valeurs de gauche amèneraient plutôt à réduire la consommation, d'autant plus en prenant en compte l'environnement. Or, il est évident que nos concitoyens, noyés dans la jouissance consumériste, n'y sont pas prêts. Il va falloir, à gauche, trouver des idées et un discours qui puissent faire sauter le verrou de la surconsommation. Voilà un vrai défi intellectuel que je trouve passionnant !

14 commentaires:

  1. Les raisons pour l'autorisation du dominical doivent être combler un manque commercial.
    Mais l'ouverture le Dimanche augmentera-t-elle la consommation?
    J'en doute. quand y'a pas d'argent pour le samedi y'en aura pas pour le Dimanche, ça ne fera que déplacer les consommateurs d'un jour à un autre selon commodité.
    Si la raison du travail dominical est un gain supplémentaire pour les employés, on n'a qu'à ouvrir la nuit, et payer double.
    On est en période de récession, de crise, ce débat doit être refermé, et réouvert lorsque la France aura du fric.

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  2. Tout à fait d'accord avec ton analyse.
    Les seuls syndicats qui défendent encore (vaillament mais désespéremment)le repos dominical sont la CFTC et FO.
    Les autres doivent avoir peur d'être ringards ...
    Mais tu as raison, lorsqu'on regarde de plus près les mouvements revendicatifs sur les salaires, ça fait peur : la plupart des conventions collectives ont même des salaires qui débutent en dessous du SMIC !
    Ce qu'il y a de paradoxal, c'est que souvent, le patronat local n'est pas forcément enthousiaste pour ouvrir le dimanche.
    En revanche, dès qu'un commerce ouvre, les autres veulent ouvrir aussi, comme si les consommateurs allaient leur échapper.
    En réalité, la loi offre beaucoup de possibilités de faire travailler le dimanche, et en décembre dernier, un amendement sournois passé à 2 heures du matin (sans qu'aucun député, de gauche ou de droite n'en parle plus que ça) a autorisé les magasins d'ameublement à ouvrir le dimanche. Ce qui ouvre encore un pan.
    De plus, le contrôle n'est pas aisé et parfois, par le jeu des amendes qu'on ne peut mettre qu'une fois par salarié quelque soit le nombre de dimanches travaillés, donne des amendes ridicules.
    Amendes totalement amorties par l'ouverture.

    Cette offensive sur le travail du dimanche avec tout le discours autour sur "la liberté" des salariés, est purement idéologique. Elle n'a aucun sens économique.
    Les médias aussi y participent, en nous assomant de résultats de sondages bidons, qui conclueraient au désir de travailler le dimanche des salariés.

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  3. Avec Sarkozy nous avons le retour en force d'une morale patronale du XIXe siècle, absurde et révoltante. L'épuisement inexorable des matières premières et les bouleversements climatiques obligeront tôt ou tard à revenir là-dessus… C'est de là que surviendra peut-être un changement des mentalités, parce que le déficit de conscience sociale ou politique est devenu tel dans la population, depuis «la chute des idéologies» et l'explosion du consumérisme, qu'une remise en cause du modèle actuel de société est peu probable.

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  4. @ Manuel : pour moi, même si on a du fric, le débat est questionnable. Si l'ensemble des Français avait plus de pognon, il le dépenserait en semaine. L'extension du temps de dépense disponible ne changerait rien à l'affaire. Tout cela est une vaste fumisterie visant à diffuser la valeur de soi-disant liberté pour amener d'autres transformations. C'est de la vulgarisation idéologique.

    @ Audine et LCC : merci pour vos longs commentaires auxquels je souscris pleinement.

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  5. Vous écrivez : "il est d'ailleurs intéressant de voir que notre militante associative est prête à se faire souffrir encore plus pour pouvoir consommer. L'idéologie consumériste devient dans cette affaire l'alliée des valeurs libérales".

    Consommer ? C'est mot de privilégié ça... Elle peut aussi "souffrir plus" juste pour pouvoir boucler ses fins de mois. Pour vivre. Non ?

    Au fait elle sort d'où cette association ? J'ai regardé sur Google. Rien. Une manip ? Ou des vrais gens ?

    JR

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  6. @ Rosselin : cela aurait pu être le cas, mais cette femme évoquait bien la "consommation". Cela m'a suffisamment marqué.

    J'admets ne pas avoir été capable de retrouver la source. Je ne me souviens plus quel jour de la semaine j'ai entendu cela, et sur quelle radio. Impossible à retracer donc. J'en suis désolé, je sais que cela nuit un peu à la crédibilité du billet. Vous êtes obligé, Rosselin, de vous baser sur ma bonne foi.

    Bienvenue sur ce blog en tout cas.

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  7. Mon Dieu, elle veut consommer et dépenser son argent, la vilaine ! Que ne revenons-nous pas à l'époque heureuse de nos arrières-grands parents, qui vivaient avec trois fois rien et en étaient heureux... Et oui, forcément, ceux qui pouvaient vraiment dépenser étaient une toute petite minorité de privilégiés. L'accès au confort, et donc au "superflu" s'est démocratisé et tout le monde veut y avoir droit. Quel mal à cela ? Sur quoi te bases-tu pour dire que c'est une mauvaise chose ? Les gens veulent travailler plus, pour gagner plus, pour acheter ce qui leur plait : et il faudrait l'interdire ?
    Peut-être qu'il faut arrêter de penser à la place des gens et de leur imposer une "bonne" façon de vivre. Personne ne force personne à consommer.

    Sinon Mathieu, tu te demandes où donc passe l'augmentation de productivité : c'est pourtant simple. Il me semble que depuis 100 ans le niveau de vie s'est élevé, et que parallèlement le temps de travail a fortement diminué. On est plus productif mais on travaille moins, l'un dans l'autre cela s'équilibre.

    Et sinon concernant l'ouverture le dimanche : cela peut apporter un regain de consommation, les gens qui n'avaient pas le temps les autres jours d'aller à Ikéa par exemple pouvant y aller le dimanche; l'étalement de la fréquentation du samedi sur le dimanche permet aussi d'effectuer ses achats dans de meilleures conditions ce qui incite à plus acheter. Si ces deux cas de figures ne se réalisent pas, c'est bien simple, l'ouverture le dimanche ne sera pas rentable. Autant vous dire qu'il y aura tout d'un coup moins de lobbying en ce sens, et que chacun se dépéchera de revenir à la situation antérieure...

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  8. Ce débat sur le travail le dimanche est une grande hypocrisie. Dimanche prochain, sortez de chez vous et regardez les gens travailler : restaurants et snacks, cinémas, épiceries, transports, et j'en passe car je pourrais remplir la page. Les employés de Quick ou de la SNCF travaillent le dimanche, ceux de Castorama n'ont pas le droit.
    J'allais oublier Michel Drucker : où est FO ? Pourquoi n'empêche-t-elle pas Drucker de travailler le dimanche ?
    Vivement dimanche !

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  9. @ Elyas : d'abord, notre modèle de consommation n'est pas pour tout le monde ! Si les 6,3 milliards d'hommes consomment comme cela, on est mort.

    Ensuite, travailler plus n'est pas une augmentation de salaires, concept devenu tabou dans ce monde. Je pense que vu les efforts de productivité, c'est anormal que les revenus soient bloqués.

    Le gain de productivité est bien plus fort. Depuis 1980, le temps de travail a diminué de 12,5% et vient de réaugmenter, alors que le PIB a cru de près de 30%. Il y a un différentiel très fort, et les choses ne s'équilibrent pas.

    Je ne comprends pas ton dernier argument. Soit on travaille sur des plages-horaires différentes, et dans ce cas, on a le même temps pour consommer. Soit on travaille plus et, même si on gagne plus, on a moins de temps pour consommer. Faut que tu précises ton idée.

    @ Paul Guignard : il est assez normal que les services publics travaillent en permanence dans certains cas. Pour le reste, je suis assez d'accord avec toi.

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  10. @Mathieu
    Si les 6,3 millairds d'hommes se mettent à consommer comme cela tout de suite, on est mort; mais si cela se fait progressivement il n'y a pas de raisons que l'on n'y arrive pas. La productivité augmente et le progrès permet des avancées considérables.

    Oui le PIB a fortement crû, mais la population française aussi (quelque chose comme 15%). Il faut donc regarder également le PIB/habitant...

    L'idée de "temps pour consommer" est un peu bête je te l'accorde. Ce n'est pas une question de durée (à partir d'un certain seuil en tout cas) mais de moment. Si tout le monde travaille pendant les mêmes plages horaires, y compris les magasins, cela signifie que l'on a pas le "temps de consommer" puisque quand on sort du travail les magasins ferment aussi, peu importe le temps de loisir que l'on a par la suite. Décaler les plages horaires permet de faire les magasins pendant son temps-libre, même si le temps d'ouverture est le même : c'est le cas de l'ouverture le samedi (parfois associée à une fermeture le lundi). L'ouverture du dimanche représente un jour de consommation en plus pour les gens qui travaillent en semaine. Pour les gens qui travaillent le dimanche, ils auront un autre jour de repos dans la semaine, par exemple le mardi : là aussi un jour pour consommer en plus. Alors que sinon schématiquement le dimanche personne ne consomme car personne ne travaille, et le mardi non plus car pour le coup tout le monde travaille.
    Bien sûr cela ne s'appliquerai pas si tout le monde se mettait à travailler le dimanche, mais ce n'est pas ce dont il est question.

    Je ne sais pas si je suis très clair dans mon raisonnement ?

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  11. @ Elyas : alors, je reprends ton raisonnement. La majorité des Français bosse entre 35 heures et 40 heures par semaine. Les magasins sont ouverts six jours sur sept dans leur grande majorité. Seuls les petits commerçants sont fermés un jour et demi par semaine. Cela signifie donc que les magasins sont ouverts plus longtemps que le temps de travail moyen des Français. Qu'est-ce qu'apporte le dimanche ?

    Donc, je n'ai toujours pas compris ton argumentaire...

    Pour le PIB, même si on prend en compte une hausse de population de 15%, en parallèle, la part des salaires dans la répartition du PIB a diminué aussi. Cela signifie qui si on corrèle la hausse de la productivité (30%), la baisse du temps de travail (12%), la déperdition des salaires dans le PIB (200 milliards d'euros) et la hausse de la population (15%), je crois quand même que les capitalistes sont gagnants globalement...

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  12. Excellent billet. Bravo. Ce commentaire est ridicule mais je n'ai rien a dire de plus. En vérité l'analyse de ce constat est tellement frappante qu'elle laisse béat. On ne s'en rend pas compte tant le processus est lent, mais les gens sont résignés, ça fait peine à voir.

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  13. @Mathieu
    Oui, les magasins sont ouverts plus longtemps que le temps de travail moyen des Français, en particulier avec le samedi. L'ouverture du dimanche rajoute un jour en plus; ce qui laisse donc plus de temps aux français pour faire leurs courses. Car sinon le seul jour "vraiment" disponible c'est le samedi : ce qui implique que ceux qui ne peuvent/veulent pas le samedi sont bien embêtés; avec le dimanche cela leur donne une possibilité en plus. Par ailleurs le samedi concentre une part très importante de la clientèle hebdomadaire, ce qui en fait un jour assez infernal. Quand il faut faire la queue des heures, que c'est la cohue, etc, cela n'incite pas à faire ses achats. Donc soit on y renonce, soit on se contente du strict nécessaire.
    Pour prendre une analogie un peu pourrie, c'est comme quand tu voyages en car : si on te dit qu'il n'y a qu'une pause pipi (j'avais prévenu que c'était nul), à l'idée de te bousculer aux toilettes avec tous tes petits camarades tu laisses tomber et tu te retiens. Si maintenant il y a deux pauses, cela répartit la fréquentation des toilettes sur ces deux pauses; les "indécis" (ceux qui peuvent se retenir) seront plus nombreux à aller faire leurs besoins.

    Je sais que ma comparaison est franchement bancale, mais ce que je veux dire c'est que l'ouverture du dimanche apporte un confort et un choix, ce qui facilite le passage à l'acte d'achat pour les clients les plus indécis (ceux qui n'ont pas d'urgence à acheter ou n'auraient pas pensé acheter). Cela facilite l'achat "d'impulsion". Après on peut être contre; mais en tout cas cela peut avoir un impact sur la consommation : c'est d'ailleurs ce que font de nombreux magasins pour les fêtes de Noël, faciliter la vie des clients pour multiplier les opportunités d'achat (horaires élargies, achat par internet, se faire livrer ses courses...).

    Concernant le PIB : je ne sais pas trop ce que tu entends par "capitalistes" ? Pour moi ce sont tous ceux qui font partie du système capitaliste, dont toi, moi, et la plupart des gens sur cette planète. Du coup je suis d'accord pour dire que les capitalistes sont "globalement gagnants" : mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que tu voulais dire ;).
    En tout cas je ne suis pas convaincu que la part "confisquée" sur les salaires soit si importante que tu le laisses entendre; je t'accorde néanmoins que le capitalisme s'est financiarisé ces dernières décennies, et que la spéculation financière (en partie utile, mais en partie seulement) a en effet absorbé une partie des sommes que tu évoques.

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