vendredi 2 mai 2008

Attention, les amis, une nouvelle guerre se prépare

Durant mon voyage aux Etats-Unis, j'ai eu l'occasion, à quelques reprises, de me plonger dans les médias locaux, en particulier sur les grandes chaînes d'information et dans le New York Times. A plusieurs reprises, ces médias ont évoqué la situation de l'Iran et la façon dont les Américains voient les choses.

Alors, je ne vais pas passer par les Quatre Chemins, chers lecteurs, et je vais vous annoncer une grande nouvelle: les Etats-Unis se préparent à bombarder l'Iran! Vous allez me dire: "Ca y est, il déraille, le prof d'histoire-géo, il voit des conflits partout. Il s'imagine qu'après son désastre en Irak, l'armée américaine va se relancer dans une nouvelle guerre à grande échelle. N'importe quoi!" Et pourtant, cher lecteur, et pourtant, les reportages le montrent bien, et je vais tenter de vous le démontrer.

CBS, en particulier, lorsqu'elle lance un sujet sur cette question, inscrit sur l'écran un gros logo avec marqué dessus: "Iran", genre 24 mais en réel. Et là, commence une explication générale de texte sur les causes du problème. On voit le président iranien visiter une usine, qui ressemble furieusement à une centrale nucléaire, accompagné par des officiels du régime. Là, le journaliste arrête l'image et souligne la présence du ministre de la défense iranien, qui serait responsable de l'ensemble du programme nucléaire de l'Iran, et donc, l'homme à abattre. Succède à cela des images de l'Irak et de Bagdad en particulier, dans lesquelles on voit les soldats américains combattre et récolter des armes un peu partout. Tout cela se termine par une carte de l'Iran, avec de gros points rouges clignotants qui correspondent aux sites stratégiques du pays, que ce soit les centrales nucléaires ou les usines d'armement. On nous dit que l'administration réfléchit à un bombardement de ces points, qui ont l'avantage de ne pas être près des centres urbains.

Pour justifier ce bombardement futur, les médias américains, qui semblent soutenir l'initiative, emploient trois arguments-massues:
  1. L'Iran est une dictature infâme qui oppresse son peuple, en particulier les femmes. Il est évident que les dictatures doivent être traitées avec fermeté.
  2. L'Iran arme les mouvements terroristes qui massacrent les soldats américains en Irak tous les jours, car les armes trouvées en Irak sont iraniennes.
  3. L'Iran se prépare à se doter de l'arme nucléaire, ce qui représente une menace certaine pour toute la région, voire pour le monde.
Si on suit ce raisonnement, il est implacable, et il est clair que l'Iran doit être bombardée. Cependant, je voudrai tenter de répondre à chacun de ces arguments pour montrer en quoi ils sont tout de même extrêmement discutables.
  1. L'Iran est certes une dictature, et comme toute ses semblables, elle doit être combattue. Cependant, ce n'est pas une nouveauté, et les bombardements ne sont pas la solution. Ils ont déjà été utilisés dans le passé (souvenons-nous de la Libye, du Soudan et surtout de l'Irak dans les années 1990) et ne chassent pas les dictatures en question. De plus, ils tuent des citoyens de ces pays qui n'aiment pas forcément leurs régimes politiques, et même si c'était le cas, ce ne serait pas une raison suffisante pour les tuer. D'autre part, il y a plein de dictatures qu'on ne bombarde pas, comme la Corée du Nord, où même la Chine qui tue les Tibétains. L'argument moral, comme d'habitude en relations internationales, ne justifie rien, voire masque les vraies raisons de ces interventions.
  2. L'Iran fabrique des armes et il faut détruire ses usines d'armement. Là, c'est déjà plus cohérent. Cependant, les plus gros fabriquants d'armes sont des démocraties ou des grandes dictatures qu'on ne parle pas de bombarder (Chine, Russie...). Surtout, le lien avec les révoltés irakiens est spécieux. En effet, les médias nous ont raconté depuis 2003 que ces terroristes étaient majoritairement des sunnites, alors que les Américains souhaitaient gouverner plutôt en avant les chiites, majoritaires dans le pays et écrasés par Saddam. Or, l'Iran est un pays à majorité chiite. Elle armerait donc des terroristes sunnites proches d'Al-Qaida, alors que ceux-ci sont anti-iranien? On ne peut qu'en douter. S'ils arment des gens, ce sont des chiites, qui sont pourtant au pouvoir en Irak aujourd'hui. Beaucoup de contradictions là-dedans.
  3. Reste le problème nucléaire. Personnellement, je ne suis pas particulièrement contre le fait d'empêcher les dictatures de la planète de se doter de l'arme ultime. Les Israéliens ont ouvert la voie en détruisant le réacteur irakien d'Osirak en 1982. Cependant, nous sommes les premiers à avoir laissé des pays très instables se doter de cet armement: n'oubliez pas que le Pakistan, pays en plein désordre politique et menacé par les islamistes, détient la bombe, de même que la Corée du Nord. Il est délicat de dire qu'on en veut pas pour les Iraniens, alors qu'on laisse les Nord-Coréens s'équiper progressivement. Ce qu'il y a derrière cela, c'est la question de savoir si la possession de la bombe fait partie de la souveraineté de chaque Etat ou peut être contrôlé par les autres nations. Nous avons, dans le passé, considéré que la seconde option était la bonne, puis tenté d'imposer la première aux autres avec le Traité de Non-Prolifération (TNP) à partir de 1968. On a d'ailleurs pas empêché l'Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du Nord de s'équiper. A l'évidence, la question demanderait à être clarifiée. Il est sûr que les Américains défendent simplement leurs intérêts, ne voulant pas qu'un pays puisse les gêner dans leur exploitation du Golfe Persique.
Epilogue: dans ces reportages, la TV américaine n'évoque ni l'ONU, ni les autres puissances. Vu d'ici, on se sent bien seul dans le monde...

2 commentaires:

  1. A mon avis les médias américains ne font qu'entretenir le climat de peur dont raffole tant la classe dirigeante américaine. Ce qui est dérangeant, c'est qu'ils se prêtent si facilement au jeu..
    Mais je doute sérieusement que les Etats-Unis préparent une nouvelle guerre, je pense que la déconfiture irakienne a laissé des traces dans les esprits, et tout le monde s'accorde sur le fait qu'un bourbier iranien serait sans aucune mesure avec un bourbier irakien.
    Maintenant s'il s'agit de frapper, secrètement des points stratégiques comme a pu le faire Israel en 1982 en Irak et en Automne dernier en Syrie, je me montrerais plus mesuré.
    Quel serait le paysage géo- politique au proche orient sans cette intervention israelienne en Irak? Saddam avec la bombe ou sans la bombe ça n'aurait pas été la même histoire.
    Le problème, c'est que les Etats Unis ne nous ont pas vraiment habitué à des interventions mesurées, ils aiment clamer haut et fort qu'ils sont les maîtres du monde et je pense que l'américain moyen adore ça.

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  2. Il y a aussi une habitude américaine à prendre en compte, c'est un pays qui est habitué à ne devoir sa cohésion que face à un adversaire identifié et diabolisé par les médias (communistes, islamistes, français quand on ose leur dire qu'ils font les cons). La classe dirigeante l'a très bien compris, et la profonde fracture au sein du peuple américain sur la guerre en Irak et ses conséquences ne peut être gommée que par l'apparition d'un nouveau grand méchant, à ce titre Ahmadinejad est le candidat idéal, polémiste et prompt à s'accaparer le manteau d'adversaire de son "Grand Satan". Là où je rejoins Manu, c'est sur le côté surprenant que le peuple américain se laisse une fois de plus berner sans se poser d'autre question... (ce qui est intéressant c'est de voir que le gouvernement Iranien utilise exactement la même technique, on donne un adversaire honni pour faire oublier les déconfitures et les oppositions internes, comme quoi finalement peu de choses séparent Bush et Ahmadinejad...)

    Sur l'intervention israelienne en Irak, je pense qu'avec ou sans la bombe Saddam Hussein n'aurait pas eu de comportement différent, c'était un dictateur complètement soumis aux grandes puissances occidentales, sa guerre contre l'Iran, son invasion du Koweit, rien ne fut décidé sans l'aval des USA, même si ces derniers ont toujours eu l'intelligence de ne pas le faire trop visiblement, ce qui a permis à Bush Senior de déclencher la 1e guerre du Golfe quand ça a commencé à grogner fort chez lui, on dit grand merçi Saddam de servir de soupape, un idiot utile c'est toujours appréciable...

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