Bon, je tiens à te rassurer tout de suite, cher lecteur. Je ne vais pas me lancer dans la terrible polémique qui a suivi l'entrée de Didier Goux dans le réseau LHC. Je l'ai déjà fait en me moquant, et je m'arrêterai là.
Voulant apparemment se rassurer, notre camarade blogueur a mis en avant quelques concepts forts sur la mondialisation qui structurent ses valeurs idéologiques. Il y a dans ce texte quelques idées qui me gênent et qui méritent qu'on s'y arrête. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas lancé dans la polémique historique.
Tout d'abord, Rubin reprend un article d'un autre blogueur pour affirmer que le processus de mondialisation est intimement lié au système capitaliste. Cette affirmation est tout à fait juste dans une optique récente. Cependant, la mondialisation est bien antérieure à l'idée même de capitalisme. Dès l'antiquité, les hommes ont voyagé sur la planète et ont commercé, alors que nous étions dans un système économique totalement différent. Certes, le processus a été long, à cause de techniques bien moins performantes qu'aujourd'hui, mais il n'a cessé de progresser. Il s'est accru avec le capitalisme, c'est juste, mais aussi et surtout grâce aux évolutions considérables des technologies des transports. Je confirmerais donc que le capitalisme a eu un impact indéniable sur la mondialisation, mais que ce processus est entamé depuis bien longtemps. Rendre les deux idées congénitales est une facilité qui ne résiste pas à l'analyse historique.
Et puis, vient ensuite une seconde idée, bien plus problématique encore. S'attaquant à tous les critiques actuels du système, Rubin affirme, péremptoire :
« Désolé de décevoir les apôtres de la "refondation" du capitalisme — de gauche comme de droite —, mais il faut parfois se rendre aux évidences les plus... évidentes : la mondialisation, c'est le capitalisme ; et le capitalisme, c'est la mondialisation. Vous n'arrêterez ni l'un ni l'autre.
Capitalisme d'État, retour à un capitalisme non financier ou encore patriotisme économique pour les uns ; protectionnisme, altermondialisme voire changement de système pour les autres : tout cela relève en réalité du même fantasme, du même rêve éveillé — celui d'un retour en arrière impossible. »
Pour moi, en tant qu'historien de formation, cette analyse est totalement inacceptable. Le temps est une ligne. Par définition, il est totalement impossible de revenir sur ce qui a été réalisé. Pour réfléchir sur le monde, il nous faut le prendre tel qu'il est aujourd'hui, et faire des propositions à partir de ce qu'on espère voir arriver. En plus, Rubin se pique de faire de la divination, puisqu'il se montre capable de nous prédire que le processus, tel qu'il existe aujourd'hui, ne peut être stoppé. D'abord, peu de gens parlent de le stopper. Surtout, il est impossible de prévoir ce qui se passera dans un futur proche ou lointain. Malheureusement, et c'est bien dommage, on ne peut réellement utiliser l'histoire pour prévoir ce qui va se passer dans l'avenir. Même si la mondialisation s'est, depuis 200 ans, déroulée de cette façon, rien ne dit qu'elle évoluera comme cela ensuite.
Il y a quelques jours, j'avais moi-même émis des critiques sur la mondialisation actuelle, processus ayant permis d'étendre l'appareil productif occidental à l'ensemble du monde pour permettre un partage plus inégal des richesses. Cette critique reste fondée, et ce n'est pas le G20 qui y apporte une quelconque modification.
Alors, cher lecteur, n'écoute pas ceux qui veulent te prédire l'avenir, car ils ne le peuvent pas. Fais toi ta propre opinion, soit critique, et n'hésite pas à proposer d'autres voies possibles, même les plus utopistes. C'est cela qui fonde le débat et, au-delà de lui, la démocratie.
J'aime bien tes "polémiques historiques" :)
RépondreSupprimerRubin s'est fait dans ce billet, le porte parole de la notion de "there is no alternative" que dénonce Chomsky.
RépondreSupprimerJe suis heureux de lire que mon ami, en sa qualité d'historien, réfute cette idée de capitalisme inéluctable.
Par ailleurs je trouve que Nicolas et toi même êtes sévères avec le G20, qui pour une fois a mis de réelles propositions sur la table Que le CAC 40 est plutôt positif, on ne va pas tout balancer aux ordures non plus, l'alternative se trouve certainement dans un juste milieu.
Personne ne peut prédire l'avenir, c'est clair.
RépondreSupprimerpar contre dire : "D'abord, peu de gens parlent de le stopper." là il ne s'agit pas de prévisions, mais simplement d'une lecture de ce qui se passe aujourd'hui. Beaucoup de gens veulent stopper le capitalisme, et ou en remettre en cause les fondements. Je vous invite à vous renseigner sur les fondements du capitalisme, qui sont la liberté d'entreprendre, et le respect des engagements. Le capitalisme est le complément ou l'émanation économique du système politique libéral. Bien sûr que beaucoup de gens veulent remettre cela en cause. A commencer par les socialo-communistes qui ne supportent pas l'idée que l'on ne puisse pas tout construire de toute pièce. C'est pourtant une idée assez proche de celle consistant à dire qu'on ne peut pas prévoir l'avenir. Si on souligne les limites de l'esprit humains, et la nécessaire prise en compte de ces limites dans la réflexion, alors il faut le faire de manière systématique, et pas seulement quand ça arrange.
Non, on ne peut pas prédire l'avenir.
Non, on ne peut pas construire la société en imposant un état de fait par une règlementation. La société évolue et est le fruit d'une somme d'actions qu'aucune intelligence humaine ne peut saisir. Dire que l'on connait les conséquences de telle ou telle décision politique est une fumisterie intellectuelle. La seule chose que l'on connait, c'est la manière de définir ce que peuvent être des règles justes, et s'y tenir. Une règle juste qui a émergé lentement de l'histoire : la loi doit être la même pour tout le monde. Pour la patrons comme pour les autres. Si ce n'est plus le cas, c'est qu'on affaire à une règlementation et pas à une loi.
à bientôt
@ MGP : merci.
RépondreSupprimer@ Manuel : J'attends la réaction de Rubin pour valider l'idée du TINA. Pour le G20, c'est par rapport au sujet. Il ne visait pas vraiment à refonder le capitalisme, mais à proposer quelques mesures de régulation.
@ LOmiG : Merci à toi de rappeler ici certains de nos désaccords fondamentaux. Je vais te répondre en deux points très simples.
Sur le capitalisme, bien sûr que je souhaite le transformer. Ici, dans cette situation, je parlais du processus de mondialisation. D'autre part, je trouve que tu fais encore ici une transformation historique : le libéralisme, réellement inventé au XVIIIe siècle, est apparu après le capitalisme, qui a commencé à se développer dès le XVe siècle dans certaines régions d'Europe. Pour moi, le libéralisme est une idéologie de justification, dont je ne nie pas certains apports positifs, comme la fin de la division en ordre de la société.
Pour le reste, je ne ferai que répéter ce que j'ai déjà dit sur ton blog. Pour moi, le libéralisme est autant une construction du monde que les autres idéologies. Quand à ta différenciation entre loi et réglementation, je la rejette. La loi est issue d'un débat démocratique et d'un vote du peuple ou des représentants. Il n'existe pas de lois immanentes.
A bientôt,
D'un autre côté, que voulez-vous prévoir, si ce n'est le futur ?
RépondreSupprimerJ'adore ta phrase d'accroche !
RépondreSupprimerSinon, je suis de l'avis de Lomig. Il n'est pas souhaitable d'enrayer la progression de la démocratie libérale. Et je pense même que ce n'est pas possible, l'homme connaissant toujours un tropisme fort vers la liberté, (quoique l'homme libre en connaisse un semblable pour la servitude parfois). Du temps de la guerre froide, les gens des pays communistes cherchaient à rejoindre les rangs des démocraties, pas l'inverse !
Le "capitalisme" et la mondialisation ne sont que les conséquences de cette ascension inexorable de la démocratie libérale.
D'ailleurs, je me permet un double post où je me demande pourquoi l'on parle de "capitalisme" et non d'économie de marché. Le deuxième terme me semble plus approprié pour décrire notre système économique.
RépondreSupprimer@ Didier : faire des hypothèses, mais ne rien prévoir du tout.
RépondreSupprimer@ Paul : merci pour le compliment du départ.
Pour le reste, je suis en désaccord avec toi. Rien ne dit que la démocratie soit liée avec le système capitaliste. Les gens de l'Est voulaient nous rejoindre parce que chez eux, c'était l'enfer. Et, selon les spécialistes, ce phénomène a été davantage lié à l'échec économique du modèle soviétique qu'à l'attrait de l'Ouest.
Pour le terme capitalisme, c'est Rubin qui l'a employé. Pour moi, le terme est valide : un système où les moyens de production sont détenus par des personnes privées investissant leurs capitaux. Société libérale me semble beaucoup plus flou.
Je ne conçoit pas vraiment qu'on puisse être dans une démocratie libérale, c'est à dire qui respecte les droits de l'homme, et connaître une économie de plan. Si part du principe que la liberté est la règle, alors les échanges économiques sont libres. Ça n'empêche pas de poser des règles, mais la liberté reste le principe. Je te l'accorde, ça a des conséquences qui peuvent être, sur le plan humain, insupportables.
RépondreSupprimerA l'inverse, si on décide d'instaurer une économie planifiée, il faut priver les gens de liberté. Il est impossible de séparer liberté économique et autres libertés. C'est la raison pour laquelle tous les régimes communistes, sans exception, ont été des dictatures.
Et puisque tu es amateur d'incipits camusiens, tu aimeras surement cette citation de l'auteur que je trouve excellente et qui résume parfaitement le dilemme :
"Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever ta liberté pour assurer ton pain ?"
@ Paul : tu oublies une chose, qui s'appelle la démocratie. Une économie de plan peut se mettre en place par un choix démocratique, comme en France dans les années 1950. Les pays communistes se sont plantés parce qu'ils ont interdit la critique et les règles standards de la démocratie, nécessaire pour améliorer le système.
RépondreSupprimerMoi, je dirais la chose suivante : je préfère pouvoir, démocratiquement, choisir avec mes concitoyens ce que nous pouvons faire tous ensemble de notre pain.
ton point de vue, Mathieu L., est presque l'illustration exacte de ce que Salin listait comme "sources" du contructivisme socialiste :
RépondreSupprimer1) Egalitarisme :
"Il existe en effet deux notions différentes de l’égalité, l’égalité des droits et l’égalité des résultats. La première inspirait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 («Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits», phrase qui était cependant immédiatement suivie d’une autre dont l’inspiration était plus collectiviste : « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune») ; mais c’est la seconde notion qui est devenue dominante et elle est d’ailleurs formellement affirmée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui reconnaît toutes sortes de «droits à» (droit au travail, à la Sécurité sociale, etc.). La première notion est manifestement libérale et individualiste, puisqu’elle consiste à reconnaître l’égale dignité de chacun, mais à le laisser libre de développer son propre destin à partir du moment où ses droits sont déterminés et respectés. La seconde est un pur produit du constructivisme, puisqu’elle consiste à penser que l’on peut interférer avec les résultats de l’action humaine et imposer une répartition des richesses conforme au modèle décidé par les détenteurs du pouvoir, en donnant a priori à chacun des droits sur l’activité d’autrui."
2) Absolutisme démocratique :
"Le caractère démocratique d’un pays ou d’une institution quelconque est devenu le critère d’évaluation prioritaire. [...]
L’extension de cet absolutisme démocratique va évidemment de pair avec une méfiance très grande à l’égard des solutions de marché et c’est pourquoi on s’achemine bien souvent vers la recherche de solutions de type collectiviste où la négociation et le «dialogue », par l’intermédiaire de représentants démocratiquement élus, sont censés conduire à un consensus. C’est l’illusion de la convergence des intérêts, non pas entre les individus - ce que seul le marché permet de réaliser - mais entre les groupes organisés.
Le résultat de cette conception de la vie sociale est évidemment le corporatisme qui, étrangement, a conduit la France d’aujourd’hui à ressembler à la France de l’Ancien Régime. Cette ressemblance n’est d’ailleurs pas le fruit du hasard. Elle est seulement le résultat d’une conception de la vie sociale où la source de tout pouvoir réside non pas dans les individus, mais dans la sphère politique. De ce point de vue, il importe relativement peu que le pouvoir politique soit de nature monarchique ou démocratique. Aucun pouvoir en effet n’a les moyens d’organiser la cohérence des besoins individuels, il ne peut qu’agir grossièrement en plaçant les individus dans des catégories, professionnelles, religieuses, ou sociales, en prétendant reconnaître l’existence d’intérêts catégoriels et en organisant centralement leur coexistence. Comme nous le verrons constamment, l’État crée des abstractions collectives - par exemple les intérêts catégoriels -, il prétend qu’ils existent par nature et qu’il est évidemment le seul à pouvoir les organiser de manière à assurer la cohésion sociale, puisqu’il s’agit d’«intérêts collectifs».
Cette conception collectiviste de la société conduit naturellement à la politisation de la vie quotidienne. Tout est le résultat des luttes pour le pouvoir, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou de l’activité entrepreneuriale. Mais parce qu’elle ignore les besoins individuels, aussi bien que les informations individuelles, cette conception, loin de conduire à l’harmonie, est source de frustrations et d’envies insatiables. Lorsque les choix quotidiens de votre vie sont essentiellement effectués par d’autres que vous, même si ceux qui décident sont censés être vos représentants, vous devez soit subir leurs décisions, soit vous lancer dans un combat épuisant et inégal pour essayer d’exprimer et de faire comprendre la réalité de vos besoins."
3) Illusion du savoir, ou scientisme :
"Le constructivisme repose sur un formidable orgueil intellectuel : pour vouloir modeler la société à sa guise, il faut évidemment supposer à la fois que l’on connaît les objectifs de ses membres - comme si l’infinie diversité de ces objectifs individuels pouvait faire l’objet d’un processus réducteur de synthèse globale - mais aussi que l’on connaît les meilleurs moyens d’y arriver, c’est-à-dire que l’on a une connaissance parfaite des processus d’interactions complexes qui composent une société. [...]
Tous ces constructivistes veulent plier la réalité à leurs désirs, par des moyens nécessairement illusoires, puisqu’ils n’ont pas la connaissance, mais seulement la prétention de la connaissance. Aussi, pour poursuivre leurs desseins, mobilisent-ils toutes les théories-alibis de notre époque, toutes celles qui semblent parer leurs actes d’une couverture scientifique.
En réalité, cette approche est non pas scientifique, mais scientiste, c’est-à-dire qu’elle prend l’apparence habituelle de la science, par exemple son caractère mathématique, mais elle ne répond pas à ses exigences méthodologiques fondamentales."
à bientôt
@ LOmiG : merci pour tous ces extraits. Je n'y adhère pas mais c'est intéressant.
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