La question est intéressante, mais elle est à mon sens mal posée. Demander cela au militant de droite n'a pas grand sens. En effet, la plupart des militants de droite éprouve une aversion certaine pour les mouvements populaires, qu'ils estiment fondamentalement manipulés par la gauche (et particulièrement par les gauchistes), et donc avec des arrière-pensées politiques nombreuses. Je le sais bien lorsque je parle ici des mouvements enseignants. Avant de réfléchir au pourquoi d'un mouvement social dans l'éducation, la plupart de mes lecteurs de droite estiment que ces mouvements sont un mélange d'opportunisme particulariste et d'engagement politique face au gouvernement de droite. Malheureusement, si cela a parfois été vrai dans le passé (je me souviens avoir été manifesté contre le CPE rien que pour emmerder un gouvernement que je n'appréciais pas, même si je n'étais pas concerné), les mouvements qui touchent l'éducation aujourd'hui sont d'un autre ordre, bien plus de l'ordre du désespoir face à l'évolution du système éducatif qu'à la contestation gauche contre droite.
L'absence de réaction gouvernementale est pour moi à chercher justement à cet endroit. Un gouvernement, de droite comme de gauche, vise avant tout à satisfaire son électorat de base. Sarkozy sait pertinemment que ses électeurs n'apprécient pas les mouvements sociaux et se regroupent derrière leurs leaders s'il y a moyen de briser des gauchistes.
Le problème, c'est que le contexte a changé. En ce moment, l'ensemble de l'électorat, y compris de droite, marque un réel agacement face à une politique qui ne correspond pas non plus à ses critères traditionnels. La conduite personnelle de Sarkozy agace, les comportements de certains patrons choquent, y compris à droite, la vision libérale du monde, qui n'était pas naturelle dans la droite française, est vite devenue impopulaire dans la majorité du fait de la faillite du modèle anglo-saxon. Même la situation de la Guadeloupe a parfois touché les soutiens de la droite républicaine, qui se sont malgré tout regroupés lorsque les violences ont surgi.
Dans ce climat, les syndicats ont pourtant largement joué un rôle d'accompagnement du pouvoir. Ayant soutenu les mouvements des 29 janvier et 19 mars, je dois te dire que je suis bien plus dans l'expectative face à la manifestation unitaire du 1er mai. En effet, où va-t-on avec ces grèves et ces manifestations témoignages ? A-t-on l'espoir d'obtenir réellement quelque chose ? Plus ça va, et plus j'ai le sentiment que ce n'est pas le cas. J'ai même la conviction que nos syndicats sont de plus en plus désarmés face à une opposition population-gouvernement-patronat à propos de laquelle ils ne peuvent rien, à part tenter d'éviter une explosion généralisée.
Dans son billet du jour, CSP considère que le gouvernement cherche la violence, pour pouvoir reprendre la main et écraser les contestations, et pour préparer un grand train de réforme. Très sincèrement, je crois plutôt que notre gouvernement navigue à vue. Certes, il sait que la répression des mouvements sociaux satisfait son électorat, mais il est aussi conscient des grands changements qui s'opèrent en ce moment dans les mentalités des électeurs français. La gestion de la crise guadeloupéenne, et les solutions catastrophiques trouvées, ont largement montré que nos dirigeants ne savaient pas comment se tirer de là.
Finalement, la vraie question est plutôt de savoir pourquoi, malgré le climat délétère, l'explosion ne s'est pas encore produite. D'abord, les salariés du privé sont dans une situation telle que le climat n'est pas forcément propice à l'action. Ensuite, les fonctionnaires ne se lanceront pas car la violence et le blocage ne sont plus vraiment dans notre culture sociale. Les syndicats pourraient avoir aussi un grand rôle dans un mouvement social cohérent, solide et combattif, tout en n'étant pas forcément violent : leur apathie, voire leur accompagnement social, a pour le moment canalisé la frustration des salariés du privé mais elle accroit le risque d'explosion violente.
En clair, il me semble que si l'explosion se produisait aujourd'hui, ou demain, personne n'en sortirait vainqueur, vu les bouleversements actuels de notre société. De toute façon, la violence, même lorsqu'elle est légitime, ne produit que rarement de bonnes choses. Espérons que nous pourrons faire avancer notre vision du monde sans avoir besoin d'en arriver là.
Bien vu.
RépondreSupprimerSi la situation est explosive, ce n'est pas tant du fait de l'incurie du gouvernement que la nullité abyssale du PS et du fait que les centrales syndicales se comportent face au mouvement social comme des poules face à un couteau.
Par contre, le fait que le gvt navigue à vue n'est aucunement incompatible avec le fait qu'il surfe sur des actes violents (plus ou moins orchestrés) pour faire peur aux bonnes gens.
C'est même plutôt cohérent.
Pour le moment on peut simplement constater que les syndicats redoutent autant de se faire déborder, que le gouvernement une explosion. C'est le sens des grandes manifs et du 1er Mai unitaire, un exutoire. Faut-il le regretter? Le problème c'est qu'on ne voit pas clairement sur quoi pourrait déboucher cette fameuse explosion qui menace…
RépondreSupprimerElle ne profiterait qu'à ceux dont les solutions ne sont aujourd'hui pas acceptables comme NPA ou FN. Ce n'est pas en disant aux français ce qu'ils veulent entendre qu'on va régler le problème. On peut dire que c'est de la faute des étrangers et il faut fermer les frontières et vivre en autarcie ou nationaliser toutes les entreprises, en interdisant les licenciements mais on voit le résultat du travailler plus pour gagner plus : ça fait pschitt !
RépondreSupprimer@ Etiam : dire que le PS est responsable est un peu gros. Il ne gouverne plus depuis 2002. Il a sans doute une part de responsabilité, mais enfin. Pour les syndicats, c'est plutôt dans la gestion de la contestation qu'ils posent des problèmes. Pour la violence, sans doute, mais je ne pense pas qu'il attende cela avec grande impatience.
RépondreSupprimer@ LCC : tu as sans doute raison. Quant aux résultats de l'explosion, je n'en sais bien évidemment rien. Malheureusement, je ne suis pas devin.
@ Pazmany : oui, les extrémistes profitent toujours des violences, crise économique comprise.
M'enfin on dirait qu'on est au bord de la guerre civile, prêts à en découdre tant notre survie paraît menacée, alors que nous sommes parmi les personnes les plus riches et dont la situation est la plus enviable dans toute l'histoire de l'humanité. Gardons le sens de la nuance.
RépondreSupprimer@ Paul : il faut voir l'ambiance dans les cortèges. Tu devrais aller faire un tour le 1er mai, pour te faire une idée.
RépondreSupprimerHa oui je vous imagine bien, tel les mineurs de Germinal, l'un croquant dans la dernière patate pourrie qu'il lui reste, l'autre portant dans ses bras son enfant mort. Mais trêve de moquerie, tu me donnes une bonne idée et j'irais effectivement faire un tour le 1er mai pour voir de mes yeux ce que la France compte de plus désespéré. Bonnes vacances et rdv le premier mai !
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec toi. Je crois en outre qu'on nous a injecté l'idée de l'inéluctable depuis un moment. Le gouvernement navigue peut-être à vue mais ses idées ont lentement et sûrement fait leur chemin depuis des années avec l'aide des médias. L'idée que le mal réside dans la dépense publique, le bien dans le gain privé a gagné les esprits et ça, il fallait le faire.
RépondreSupprimerSi je peux me permettre de rebondir sur le commentaire de Paul, rigolo certes mais dans le fond un peu énervant : nous ne sommes pas les plus malheureux, c'est vrai, mais à quoi cet état de fait est-il dû ? Nous avons l'éducation pour tous, le système de remboursement de soins, la retraite par répartition, les services publics, notre devise nationale prônant l'égalité... Autant de choses qui ont construit ce que nous sommes. Si l'on ne se bat pas pour les garder, comme on s'est battu pour les obtenir, autant voter pour le retour des famines, de la violence et de la hausse de la mortalité infantile chères à ceux qui cherchent de "vraies raisons" de manifester. Non merci. J'ajoute que si le gouvernement n'avait pas pour unique but la baisse des dépenses dans le domaine des soins, du logement et de l'éducation de ses électeurs, il y aurait moins de manifs.
Bon premier mai @Paul et n'hésite pas à dire aux chômeurs et travailleurs pauvres que tu croiseras la chance qu'ils ont d'avoir encore un toit et des supermarchés discount. Ça leur fera chaud au cœur...
y a un des présupposés qui est faux . On peut être de droite et même franchement de droite et considérer tout mouvement de protestation potentiellement violent comme pouvant révéler une opportunité et pas seulement comme un risque.
RépondreSupprimerGustave Lebon comme Gramsci sont aussi lus à droite . Donc le constat est la : il y a du combustible on peut l'utiliser à diverses choses ( si vous étiez une petite souris dans les états majors syndicaux vous verriez qu'il y a une stratégie mais évidemment ca dépend comment le 3terrain " répond , voir les séquéstrations ).
Exact, la droite n'a aucune "aversion pour les mouvements populaires". D'ailleurs, ça veut dire quoi UMP ?
RépondreSupprimerPlus sérieusement, les gars du 6 février 1934 ou du 26 mars 1962 n'étaient pas particulièrement gauchistes.
@ Mathieu L.
RépondreSupprimerLe PS n'a pas besoin d'être au pouvoir pour être mauvais et pour ne pas représenter une force d'alternance crédible.
Quand les membres d'un parti passent plus de temps à se cracher dessus qu'à envisager une alternance, je ne pense pas ça donne envie de voter pour eux. Et ça, ça ne date pas de 2002.
Enfin, je pense que beaucoup de gens aimeraient voter pour un parti de rupture avec le néolibéralisme, et non d'accompagnement courtois de cette idéologie.
je viens de découvrir ce billet que je trouve extraordinairement bien posé, clair, net et surtout avec un certain fond qu'on n'est plus guère habitué à trouver chez les stakhanovistes du blog... plus pressés de faire de l'audience que de l'analyse. Bravo à toi, tu gagnes à être connu...
RépondreSupprimeret je dis ça sans flatterie, pas mon style. moi j'aime ou pas. et pis cé tout ! by GdeC
@ Paul : les grandes manifestations récentes étaient très diverses, avec beaucoup de salariés du privé. Je suis impatient d'avoir ta vision du 1er mai.
RépondreSupprimer@ Paul et Ben justement : oui, j'ai peut-être été un peu rapide. Cependant, le 6 février 1934 a plutôt été un mouvement d'extrême-droite. Pour moi, la droite recourt à la rue beaucoup plus rarement. Perso, je préfère utiliser l'exemple du 30 mai 1968 ou des manifestations pour l'école libre de 1984.
@ MGP : cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer. La vérité est quelque part entre les deux...
@ Etiam : certes, en ce moment, le PS est tout sauf attirant...
@ GdeC : merci pour les compliments !
@ Mathieu : oui tes exemples sont bien meilleurs. Je taquine, mais tu as raison, les gens "de droite" sont moins enclin à aller revendiquer dans la rue. Une autre façon de faire de la politique, une autre culture politique, que je ne sais trop comment analyser.
RépondreSupprimerJe ne puis toutefois m'empêcher de penser que le défilé de rue est une méthode qui nous vient des extrêmes. Les régimes fascistes, et les totalitarismes en général nous ont largement habitué à des défilés grandioses pour montrer la force de leur groupe. D'ailleurs n'admet-on pas généralement que c'est grâce à la "marche sur Rome" que Mussolini a pris le pouvoir ? Les mouvements de foule m'ont toujours fait un peu peur (sauf au stade vélodrome bien sûr !).
Note que je ne cherche pas à associer les manifestations de gauche aux défilés fascistes, je pense que les gens qui y participent sont dans un tout autre esprit : la non-uniformité de ces cortèges en est un signe.
Enfin bref, l'appropriation de l'espace public à des fins politiques est un sujet passionnant et je me languis déjà le premier mai. J'espère que les manifestations marseillaises seront à la hauteur !
@ Paul : non, je ne suis pas d'accord. Les mouvements de rue sont bien plus anciens. N'oublie pas que la Révolution française s'est faite comme cela. De même, on en trouve de nombreux dès le Moyen-Âge, et je suis sûr qu'il y en avait dans l'Empire romain. Ce qui est sûr, c'est que les extrêmes les ont largement utilisés, mais en s'appuyant sur l'expérience des mouvements plus classiques. D'ailleurs, c'est à double-détente : le 6 février 1934 a été largement contrebalancé par la grande manifestation du 12 février 1934, avec 4 millions de manifestants, comme la manif des gaullistes du 30 mai répondait aux manifs du mois de mai. Tu devrais lire les oeuvres de D. Tartakowsky là-dessus, c'est passionnant.
RépondreSupprimerJe n'ai pas dit que les extrêmes avaient inauguré l'usage de la rue en politique, mais qu'ils en faisaient une habitude. J'irais voir si je trouve du Tartakowsky à la BU, ce sujet est très intéressant !
RépondreSupprimer@ Paul : j'avais fait un billet sur elle il y a quelques temps. Tu peux le trouver ici.
RépondreSupprimerJe note, faut que je lise ça avant le premier mai !
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