C'était ma première élection présidentielle. En 1995, j'étais trop jeune de quelques semaines pour pouvoir m'exprimer. Passionné de politique comme je le suis, j'avais été assez déçu par la campagne électorale, alors que j'étais convaincu que le leader du PS ne pouvait que l'emporter.
Pourtant, pour ce premier tour, je n'ai pas voté. En fait, j'ai bien voté, mais par procuration, car je me trouvais dans les Alpes, en train de suivre depuis 4 jours une formation pour une grande association dont je suis membre. J'étais déconnecté de la campagne, et je n'avais pas suivi les inquiétants revirements des sondages. Vers 19h50 (nous sortions de table), on nous a ouvert un salon où se trouvait une télévision. Je me souviens encore de la tête déconfite de PPDA, et je me rappelle m'être dit que cela devait être assez positif pour la gauche. Et puis, les visages sont apparus.
La salle est devenue atone. Les chocs étaient nombreux : une abstention record, les extrêmes à 30% des voix, le leader de la gauche éliminé et Le Pen tenant, quelques minutes plus tard, un discours d'un triomphalisme vraiment baroque. Je me souviens être sorti de la salle et m'être jeté sur mon téléphone, appelant les membres de ma famille, mes amis à Paris (sauf Manuel qui était à l'étranger à ce moment-là), pour savoir comment cela se passait. Bizarrement, j'ai été très inquiet pour mes proches, imaginant des mouvements de foules et des débordements. Inquiétude inutile, il n'y a quasiment rien eu.
Très vite, dans mon stage, les discussions ont débutées, entre des gens qui ne se passionnaient pas particulièrement pour la politique. Nous nous sommes demandés combien Le Pen réunirait de votants en second tour. Les estimations les plus folles ont émergé : un collègue bénévole donnait le FN à 40% au second tour, et les autres paniquaient autour de lui. Personnellement, je ruminais, me jurant que ça y était, dès mon retour à Paris, je m'engageais en politique. Je ne l'ai pas fait depuis, c'était simplement l'ambiance du moment.
Finalement, je suis rentré à Paris deux jours plus tard, surpris de la tranquillité de la ville. Rien n'avait bougé, en apparence, et la vie poursuivait son cours. Seule la manifestation du 1er mai allait remuer les choses.
Il y avait pourtant une chose qui avait complètement changé : la France représentée par nos médias n'était plus la même. Brusquement, la délinquance avait disparu, tout le monde s'aimait, les petits vieux pouvaient aller faire leurs courses tranquillement. Quant au papi d'Orléans, il avait disparu brutalement des écrans. Le Pen avait rendu la France belle médiatiquement, avec le merveilleux Jacques Chirac pour la sauver de la catastrophe à venir si le leader frontiste l'emportait.
Bon, cela n'a pas duré. Dès le second tour passé, avec l'arrivée de Sarkozy à l'Intérieur, la France redevenait terre d'insécurité, mais d'une insécurité en baisse. Comme quoi, la France perçue s'adapte bien au contexte politique…
Cette élection était loin des yeux, loin du cœur, mais je me souviendrai à jamais que c'est le jour où Chirac m'a gracié pour mes absences militaires...
RépondreSupprimerJoli billet. On était peu, hier, à parler du 21 Avril...
RépondreSupprimerL'insécurité est un sentiment. Est-elle une réalité? Non: vivre c'est prendre des risques. Matthieu, tu connais un peu l'histoire. Avant le guerre 1914-1918, il y avait à peu près autant de meurtres qu'aujourd'hui (un peu moins de 1.000/an) alors qu'il y avait 41.000.000 d'habitants contre 65.000.000 aujourd'hui.
RépondreSupprimerToujours pour soutenir la comparaison avec la "Belle Epoque", les journaux évoquaient sans ceswse les bandes de jeunes qui mettaient Paris et sa banlieue à feu et à sang. On les appelaient alors les Apaches. Lisons ceci sur wikipedia: "il faut sans doute aussi évoquer le rôle des grands journaux parisiens qui n'hésitèrent pas à mettre à la une les « exploits » de ces bandes et à entretenir ce sentiment d'insécurité, qui auto-alimenta le phénomène.". Ca ne vous rappelle rien?
@ Manuel : ah, forcément...
RépondreSupprimer@ Faucon : les excuses de toute la classe politique passionnent davantage les foules.
@ Ferocias : bien sûr, entièrement d'accord. En fait, les crimes n'ont cessé de reculer. Cependant, le sentiment reste réel, à mon avis par la faute de nos élites qui l'entretiennent.
je suis toujours surpris de voir qu'on peut à la fois stigmatiser les faiblesses de jospin et exonérer ses successeurs dont pas un n'aura été à sa hauteur. en comparaison, ils sont pourtant minables, et par surcroit se font régulièrement ridiculiser par les rares prestations de Jospin.
RépondreSupprimerj'ai voté 4 fois jospin (dont une procuration en 2002) et fait campagne en 2002. ce n'est qu'après que j'ai pris un peu de distance, jusqu'à 2004.
j'observe que ce sont ceux qui ont papillonné en 2002 et snobé la campagne qui ensuite donnent des leçons de militantisme une fois la catastrophe avérée. si le vide était si grand après le départ de jospin, comment se fait-il qu'il n'aie jamais été comblé? pourquoi Hollande, qui a "gagné" deux congrès ensuite, ne s'est jamais imposé?
il faudrait peut etre retrouver un certain sens du sérieux si on prétend faire quelque chose en 2012, mais au vu des postures choisies dans l'actualité récente c'est mal parti.
@ Martin P. : Jospin était peut-être formidable, mais il a perdu en 2002. C'est triste, mais le réhabiliter n'empêche pas de voir cette triste réalité.
RépondreSupprimerPour les autres, je suis d'accord avec toi, mais cela n'empêche pas de voir les réelles faiblesses de l'ancien Premier ministre.
tu l'as dit: il était premier ministre, exécutif sortant, ce qui fait que sa défaite est moins singulière que celle de SR...
RépondreSupprimeret sa campagne n'a pas été bonne, sauf en comparaison de celle de SR...
je ne vais pas refaire le débat jospin-SR, simplement pointer l'étrange habitude qu'on certains de parler de faiblesse de jospin tout en trouvant ses successeurs excusables. c'est selon moi exactement l'inverse: toutes les conditions politiques (autres que la qualité des candidats) expliquent 2002, et aucune 2007.
@ Martin : bon, on en a parlé ce soir. Je laisse donc ton commentaire ainsi...
RépondreSupprimerJ'aimais bien Jospin...
RépondreSupprimerDommage que la gauche n'aie tiré aucune des leçons de cet événement. Elle renâcle toujours à aborder les thèmes de l'insécurité et de l'immigration, ce qui laisse gagner facilement la droite. Et elle fait également le jeu de l'extrême gauche : elle lui apporte une complaisante caution mais sans se radicaliser elle-même.
Bref, le PS aurait du tirer les mêmes conséquences que Jospin après le premier tour, CAD se retirer de la politique française pour laisser émerger une véritable gauche socio-démocrate présentant une alternative à cette droite conservatrice et sécuritaire. C'est le Modem qui a pris cette place.
@ Paul : bof... Si on allait sur le terrain de l'immigration de la même manière que Sarkozy, on deviendrait de droite. Quand à la sécurité, le PS dit depuis longtemps que le traitement de cette question doit d'abord se faire par la réduction des violences faites par le système capitaliste.
RépondreSupprimerPar contre, entièrement d'accord avec toi sur le fait que le PS n'a tiré aucune leçon du 21 avril 2002.
"Quand à la sécurité, le PS dit depuis longtemps que le traitement de cette question doit d'abord se faire par la réduction des violences faites par le système capitaliste".
RépondreSupprimerC'est ce que je disais : une réponse teintée du marxisme le moins intelligent possible. A qui veut-on faire croire que les petits caïds de banlieue qui pourrissent la vie des habitants de la banlieue sont les victimes des "violences capitalistes" ? Le mec qui s'est fait brûler sa voiture par un petit con qui gagne 10 fois plus de thunes que lui en dealant, et qui en plus touche tout un tas d'aides sociales venant des impôts qu'il va payer sur sa nouvelle voiture, tu crois que cette réponse va l'aider à se détourner du vote FN ?
Une réponse qui passe donc complètement à coté du sujet, et donc qui ne mène nulle part... ou plutôt qui mène directement à un échec électoral de plus !
@ Paul : je vais essayer de ne pas m'énerver, devant une reprise aussi littéral du discours médiatique sur les jeunes de banlieue.
RépondreSupprimerJe bosse tous les jours dans un bahut de banlieue, dans lequel il y a plein des jeunes dont tu parles là. La très grande majorité de ces gamins sont tout aussi pauvres que les gens qui se sont fait cramer leurs bagnoles. Souvent, ce sont les mêmes. Si tous les gamins de cité faisaient du pognon avec la drogue, il n'y aurait plus de marché ! Franchement, là, Paul, tu dis n'importe quoi. La plupart de ces gosses ont des parents ouvriers, employés de service ou chômeurs. Eux-mêmes ne roulent pas du tout sur l'or. Quant aux aides sociales, c'est sûr qu'avec des RMI à 450 € par mois et un SMIC à 970 €, cela permet de toucher "10 fois plus de thunes que lui". Alors, c'est clair qu'ils font souvent des conneries, mais pas dans le contexte que tu décris là.
Par définition, le dealer, lui, veut du calme. Il déteste que les flics viennent dans sa cité, parce que cela lui pourrit son commerce. Il fait tout pour tenter de calmer les petits, et les attirent éventuellement vers la consommation de drogue, mais rarement vers le trafic lui-même. Le caïd qui gagne son pognon veut du calme, et pas des compagnies de CRS.
Je ne dis pas que cela détournera l'électeur du FN moyen du vote FN, mais si on disait moins de conneries dans les médias sur les gamins de cité, ça irait déjà mieux. La plupart d'entre eux sont des pauvres gosses, pas plus que cela.
Tu te trompes en croyant que je tiens un discours détaché de la réalité et tu as complètement déformé mes propos.
RépondreSupprimerEn passant, le mythe du dealer "grand frère" qui veut du calme est une grosse fumisterie. Déjà tu n'imagines pas la violence de ce milieu, les jeunes sont tentés par le trafic mais préfèrent se faire embaucher par les caïds plutôt que de se faire exploser la tronche pour avoir vendu à leur compte. Ne pas faire entrer la police dans les cités et laisser les grands frères faire régner l'ordre, c'est abandonner l'idée d'une loi républicaine qui s'applique pour tous. Comment veux tu que les "jeunes" respectent cette loi après ?
Enfin bref, ce que je voulais dire, c'est que cette négation gauchiste du drame des banlieues, et l'achat de la paix sociale à coups de subventions ne fait que repousser le problème et croître le vote FN et les amalgames qui vont avec.
@ Paul : je n'imagine peut-être pas la violence de ce milieu mais j'y bosse. Excuse-moi d'essayer de te faire un peu partager mon vécu. Maintenant, tu peux le nier, mais ne connaissant pas ton vécu personnel, je vais arrêter de personnaliser la discussion.
RépondreSupprimerJe n'ai pas dit que la police ne devait pas entrer dans les cités, je disais que les caïds n'avaient pas intérêt à ce qu'elle y aille. Si les gamins vont vers les caïds, c'est bien qu'ils sont pauvres à la base.
Je ne nie pas le drame des banlieues, je dis juste que c'est l'échec des politiques sociales et que c'est la misère qui le provoquent. Je te dis aussi que les aides publiques, dans ce cas, n'ont qu'un impact très réduit, en tout cas pas sur les jeunes eux-mêmes, et que ce n'est pas parce que ces gamins vivent sous perfusion de l'État qu'ils font ce qu'ils font. Au contraire, l'État s'est tiré des banlieues. Il n'y a plus grand-monde là-bas, à part l'Éducation nationale quand un bahut est au centre d'une cité...
Je pense qu'on est d'accord sur un truc, c'est que quand on ouvre une école, on ferme une prison.
RépondreSupprimerLe problème c'est que le discours de gauche (que je trouve entre parenthèses condescendant : pauvre = délinquant par nature) a fait croire qu'il fallait simplement fermer les prisons pour devenir civilisés.
Je n'irais pas jusqu'à dire comme certains que la gauche a laissé volontairement pourrir les cités pour faire monter l'électorat FN et casser la droite. Mais même si c'est pas volontaire, les effets sont les mêmes.
@ Paul : un pauvre n'est pas un délinquant par nature, mais un délinquant riche ne brûle pas des voitures, il faut autre chose.
RépondreSupprimerEntre parenthèse, si cela avait été la stratégie, c'est un échec. Depuis 1983 (premier gros score du FN), 13 ans de droite et 13 ans de gauche...