jeudi 1 mai 2008

Le naufrage de la démocratie libérale?

Il semble de plus en plus criant que nos démocraties sont en mauvais état. Vue de France, la situation a l'air d'être purement franco-française, mais, quant on voyage un peu, on se rend compte que les mêmes questionnements existent ailleurs, à plus ou moins grande échelle.

Théoriquement, la démocratie est censée fonctionner dans l'intérêt général. Elle doit donc permettre à la société dans son ensemble de progresser, et à tous les individus de s'épanouir de la meilleure façon possible pour chacun, sans gêner le développement des autres. Évidemment, la notion de progression comme celle de l'épanouissement de l'individu sont soumises à discussion, mais c'est sain et normal. Chacun voit sa propre manière de s'épanouir, et les grands courants de pensée en donnent leurs versions. Chaque démocratie doit dégager des majorités et définir ce qui semble être le mieux pour la majorité des individus qui en sont membres.

Depuis la grande crise des années 1970, nous vivons dans une série étonnante de paradoxes. Globalement, la situation sociale et économique de la majorité des individus s'est dégradée, et ce dans la totalité des pays développés (je n'évoque même pas la situation des pays en développement). En parallèle, la confiance des citoyens pour les systèmes politiques s'est dégradée, et les politiciens ne font rien pour améliorer cela, ne cessant de mettre en avant l'avenir plus dur, les menaces diverses, les crises à venir. Une petite minorité a par contre vu sa situation s'améliorer, et les écarts sociaux se sont considérablement creusés. L'environnement poursuit sa course vers l'abîme, Si on était dans des démocraties cohérentes, nous aurions vu se développer des recherches intenses pour tenter de corriger le tir, et, depuis la fin des années 1970, des solutions seraient progressivement apparues (j'exprime, je le sais, une confiance aveugle dans le génie naturel de l'homme lorsqu'il regroupe une multitude de cerveaux pour avancer). Ces recherches ont existé, et elles ont donné lieu à une volonté de préserver la croissance économique à tout prix pour poursuivre les progrès entamés après-guerre. Cette croissance s'est maintenue: en France, il n'y a pas eu de récession notable, sauf en 1993, et la moyenne de 2 points de croissance de PIB par an a été atteinte. On est loin des 5% par an des trente glorieuses, mais bon, apparemment, ce n'est pas si mal... Pourtant, contrairement à ce qui s'était passé dans cette joyeuse période de croissance, la situation des classes moyennes et des pauvres s'est dégradée partout.

Face à cette situation délicate, les hommes politiques de tout bord restent accrochés à l'idée que la croissance économique doit être privilégiée à tout prix. Conformément à des idées dominantes aujourd'hui, ils considèrent dans leur majorité qu'il faut réduire la place de l'Etat, donc de la démocratie, dans la société, et qu'il faut laisser une grande place à l'initiative des autres acteurs. Il y a bien sûr des variantes, entre la politique très brutale des conservateurs américains et celle des socialistes français, qui ont tenté de préserver les systèmes sociaux républicains tant bien que mal. Dans tous les cas, on reste accroché à cela comme à un dogme.

Régulièrement, les journalistes, les politiciens et les élites intellectuelles et économiques nous infligent l'idée suivante: "Notre démocratie est apaisée. Aujourd'hui, il y a un consensus général sur le sens du progrès. L'époque où s'affrontait le capitalisme et le communisme est révolue. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette évolution salutaire pour la démocratie". Y a pas à dire, cher lecteur, je suis d'accord avec eux. Nous sommes débarrassés, pour le moment, des idéologies qui nous ont menées à plusieurs reprises dans le mur, et il semble bien que nous soyons prêts à expérimenter d'autres manières de penser le politique, peut-être plus pragmatiques, mais avec lesquelles les convictions pourront s'affirmer en cherchant des solutions à des problèmes. Des solutions majoritaires devraient pouvoir l'emporter, et on saura quelles sont les opinions qui dominent grâce à l'orientation générale de ces résultats.

Pourtant, là où je suis gêné, c'est que le discours ambiant ne dit pas vraiment cela. Il se félicite au contraire du triomphe d'une idéologie, le libéralisme économique, et de son application générale à l'ensemble de la société mondiale. Il considère que les autres théories générales sont inefficaces, ce qui est parfois vrai, sans doute, mais il affirme que nous ne pouvons plus trouver autre chose maintenant. Loin d'ouvrir des possibilités d'expression démocratique du peuple, il semble réduire le débat démocratique à la seule vision des médias, du patronat, des politiciens, de la bourgeoisie, parce que le communisme a disparu. Au moins, lorsque le communisme était là, menaçant pour les élites, il existait une volonté de progrès pour les faibles, à cause de la crainte que ceux-ci ne se révoltent et choisissent le totalitarisme opposé. Maintenant, on est plutôt dans la revanche que dans le progressisme...

Au total, de plus en plus, j'ai l'impression que c'est bel et bien une nouvelle forme de dictature qui s'installe. Une dictature bien plus efficace que les précédentes, car elle se satisfait de l'existence des droits de l'homme et du citoyen. Nous pouvons dire tout ce que nous voulons, voter, nous engager en politique ou dans l'associatif, protester, manifester, nous battre, faire grève, faire des chansons, écrire des livres, voire même entretenir des blogs: tout cela ne sert à rien car il n'y a pas ou plus d'impact sur les décisions prises à la tête des États. Nous avons donc inventé la démocratie dictatoriale, une nouvelle forme de régime politique, qu'il va nous falloir tenter de transformer et de faire évoluer.

Je n'ai pas de solution à ce problème, cher lecteur, à part de continuer à m'engager personnellement. Je ne crois pas en tout cas pas à la nécessité de faire renaître des idéologies du passé pour combattre le libéralisme: les totalitarismes ont échoué, ils sont dangereux et, de plus, ils sont moins bons que la démocratie libérale. Il va donc falloir chercher à faire mieux, dans une ambiance pesante et où l'expression d'idées alternatives est complexe voire impossible dans de nombreux cas. Au travail, citoyens...

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