vendredi 23 mai 2008

Comment l'Etat traite ses salariés et se débarrasse de ses responsabilités.

Enfin une véritable évolution dans l'Education Nationale! Le Parisien l'a annoncé cette semaine: une enseignante de 62 ans, qui enseigne au lycée professionnel Arthur Rimbaud de La Courneuve (93), devrait être licenciée. Le motif en est le suivant: insuffisance professionnelle. La collègue est passée la semaine dernière devant le conseil de discipline du rectorat, qui lui a notifié qu'elle avait contre elle quatre rapports d'inspection défavorables. Voilà donc un prof mauvais qui devrait quitter le système. A priori, cher lecteur, tu pourrais t'en réjouir: "on prend enfin en compte le fait qu'il existe de mauvais enseignants, et on va s'en débarrasser!"
Cher lecteur, sans faire d'empathie mal placée, je vais admettre que je te comprends. En effet, nous avons tous eu, par le passé, des profs mauvais. Certes, ils étaient très minoritaires, mais on s'en souvient. Ils étaient tellement mauvais qu'ils nous ont profondément marqués, presque autant que les bons enseignants qu'on a pu rencontrer. Alors, après tout, tant mieux. Mais non! Je vais me permettre, cher lecteur, de revenir sur le parcours de cette femme. Elle travaille depuis 21 ans dans l'Education Nationale et... hein? Comment cela? Mais oui, 21 ans, je ne me trompe pas, tu peux consulter l'article sur le Figaro (en lien sur la page). Je sais ce que tu penses, cher lecteur, car j'ai pensé la même chose: "Cette mauvaise prof a pu écumer les salles de classe pendant 21 ans et on a mis autant de temps pour la virer???" Mais oui, et je vais en rajouter. Cette collègue, qui n'était pas professeur titulaire au départ mais maître-auxiliaire (prof non-titulaire engagé dans les années 1980 et 1990 par l'Education Nationale pour pallier aux remplacements exceptionnels), a obtenu le concours interne nécessaire pour devenir prof en 1999. Donc, elle a encore pu exercer 8 ans sans que rien ne soit fait.
Cerise sur le gâteau, cher lecteur scandalisé, la collègue reconnaît ses faiblesses. A 62 ans, elle admet ne pas réussir à gérer les secondes professionnelles de Rimbaud, un des lycées les plus durs de France, et aurait bien voulu qu'on lui attribue un poste administratif quelque part pour pouvoir compléter les deux annuités qui lui manquent pour partir en retraite à taux plein.
Alors, je vais tenter de t'expliquer ce qui se passe, et te faire découvrir quelque chose qui ne cesse de m'étonner depuis que je suis dans cette grande maison. L'Education Nationale ne prévoit pas ses recrutements à l'avance. Mais oui, tu as bien lu: l'Etat n'est pas capable de prévoir de combien on aura besoin d'enseignants dans les 5 à 10 ans, temps nécessaire pour former correctement des profs. Pourtant, on pourrait supposer que les élèves aujourd'hui en maternelle seront au collège et au lycée dans quelques années, mais cela semble impossible. Chaque année, le ministère change le nombre de postes au concours, en fonction de considérations politiques diverses. Depuis 2002 et la grande théorie de suppressions des profs qui coûte cher, il y a très peu de postes ouverts, mais les besoins restent les mêmes, car l'Education Nationale ne perd que très peu d'élèves, et leur nombre remonte dans le primaire, ce qui veut dire qu'on aura besoin de profs dans le secondaire dans 5 à 6 ans.
Alors que fait l'Education Nationale pour compenser? Elle embauche des jeunes peu diplômés ou des gens qui n'ont jamais réussi à avoir le concours, qu'elle sous-paie et qui sont corvéables à merci. Au total, aujourd'hui, toi ô lecteur libéral, sache que l'Education embauche bien plus qu'elle ne supprime de postes, mais des gens incompétents et inexpérimentés, qui font baisser la qualité de l'enseignement. En plus, ces gens craquent souvent devant la dureté d'élèves qui pratiquent le bizutage des profs comme un art.
Alors, l'Education ne peut que peu virer. Un contractuel peut ainsi rester des années dans le système, même s'il est nul, et se faire finalement titulariser, car sinon, le système craque. Pourquoi l'Education Nationale rejetterait-elle des gens qu'elle a estimé bons pendant des années? C'est incohérent, et elle ne le fait pas, je te rassure (ou je t'inquiète...). En refusant de prévoir et en refusant de former correctement les enseignants, qu'ils soient titulaires ou contractuels, elle laisse travailler des collègues mal formés, parfois incompétents, et qui ont de gros problèmes dans leurs vies professionnelles.
Ce qui arrive à cette femme est sans doute une préparation à l'idée qu'on va pouvoir licencier des fonctionnaires, et c'est un acte politique. Elle est victime d'avoir été satisfaisante pendant 21 ans pour son employeur, qui s'est brusquement rendu compte de son existence. En plus, la mesquinerie est forte, car on sait très bien qu'à son âge, cette collègue ne retrouvera pas d'emploi et n'aura pas sa retraite à taux plein. Pour moi, le seul responsable d'embauche de profs incompétents est l'Etat. Cette femme a travaillé pendant 12 ans tout en étant incompétente apparemment, et elle a été titularisée. Si elle était incompétente, il n'avait qu'à pas la prendre. Un salarié ne peut devenir totalement nul au fur et à mesure, c'est impossible. Garder 12 ans quelqu'un en précaire, puis le titulariser, pour le virer 9 ans plus tard comme un malpropre, c'est inhumain. Si quelqu'un ne correspond pas à l'emploi, on ne le garde pas 21 ans pour le mettre dehors ensuite.
Ah, si, avant de donner des leçons aux entreprises, l'Etat se comportait lui aussi correctement...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.