jeudi 18 juin 2009

Le voile à l’école : récit de cette époque (partie 2).

Alors que je me lance dans la seconde partie de ce récit, je découvre que l'initiative d'un groupe de parlementaires sur la burqa a déclenché une belle série de billets sur la question, autant chez les pro-interdictions que chez les contres. Je signale que ces deux billets ne visaient pas cette question mais ont été provoqués par le discours d'Obama au Caire.

Fin 2003, le pouvoir politique a décidé de se saisir enfin de la question du voile. Il faut revenir sur le contexte de l'époque. Le président réélu, Jacques Chirac, gouverne mais manque de légitimité. Il doit affronter l'inquiétude soulevée par le score important du Front National en 2002. De plus, il est doublé par Nicolas Sarkozy, bouillonnant ministre de l'intérieur, qui a commencé à travailler sur le Conseil Français du Culte Musulman. Taper sur les musulmans radicaux ne pouvait donc que servir ce président et ce gouvernement en position difficile à ce moment-là.

Cette situation politique a pesé sur les enseignants durant la préparation de la loi. J'ai pu assister à quelques AG sur ces questions à l'époque, et il était évident que nous étions gênés. En effet, nous ne voulions pas que nos gamines soient les victimes d'un conflit opposant divers acteurs : l'extrême-droite, les islamistes toujours actifs et quelques politiciens espérant profiter de la situation. Par contre, nous voulions tous une décision, quelle qu'elle soit. Nous n'en pouvions plus de ces conflits permanents qui revenaient chaque année. La majorité espérait l'interdiction, pour libérer ces jeunes filles de l'oppression et leur permettre de s'émanciper. Les autres souhaitaient que la liberté de choix des enfants l'emporte. Aucun de nous ne voulait d'une nouvelle vague de racisme touchant les musulmans de notre pays.

La loi trancha. Elle modifia l'article L141-5-1 du code de l'éducation pour aboutir aux termes suivants :

"Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève."


Ce texte fut âprement discuté entre nous, en particulier sur la nature du mot « ostensible ». On aboutit à l'idée qu'il s'agissait d'un signe réellement visible : on excluait les petits signes portés en collier par exemple, facilement cachés, mais tout ce qui était visible (voile, kippa, turban…) quittait l'école. Personne n'était dupe et c'était bien le voile qui était visé, mais la loi avait l'avantage de ne rien citer de précis, ce qui évitait les problèmes de discrimination. Les règlements intérieurs ne changèrent pas : on maintint l'interdiction des couvre-chefs.

A la rentrée 2004, il y eu bien quelques tentatives, et les négociations prévues par la loi eurent lieu. Dans la plupart des cas, les parents cédèrent : il n'y avait pas (et il n'y a toujours pas) de lycée musulman en Seine-Saint-Denis et ces familles rechignaient à envoyer leurs gamins dans l'enseignement catholique plus tolérant avec les voiles ; la menace de l'envoi au bled ne fut pas appliquée ; les gamines restèrent très majoritairement scolarisées. Je n'ai pas connaissance directe d'élèves ayant quitté le système éducatif suite à cela, mais peut-être y a-t-il eu des cas…

Le problème a-t-il été résolu ? Certes, nous avons gagné la paix en 2004. Aujourd'hui, on ne parle plus de cette question avec nos élèves, les gamines sont en classe, et tout le monde est content…

Quoique… Lorsqu'on regarde par la fenêtre de la salle des profs au moment de l'arrivée des élèves, on voit que les voiles sont toujours là. Ils disparaissent simplement lors du passage de la grille de l'établissement. A l'extérieur, les filles qui étaient voilées avant le restent. La différence flagrante est qu'elles n'en parlent plus jamais avec nous maintenant, et qu'elles vivent cela hors du cadre de l'école. La remise en question a disparu. On pourrait me dire qu'elles ont au moins la possibilité d'être tête nue dans l'enceinte de l'école. C'est juste, mais le retrait du voile physique empêche-t-il le retrait du voile symbolique ?

De plus, il y avait un aspect qu'on n'a plus maintenant : on ne sait plus ce qui motive ces gosses. Certaines nous disaient se voiler librement et affirmer ainsi une identité. D'autres obéissaient à la famille. Quelques-unes étaient de vraies islamistes convaincues, d'autres de simples musulmanes pratiquantes, et les dernières étaient tout simplement de pauvres adolescentes paumées. Certaines vivaient tout cela très mal et d'autres semblaient être tout à fait au clair avec elles-mêmes et bien dans leur peau. J'en ai même entendu présenter le voile comme un acte féministe (Olympe va hurler) qui permettrait aux jeunes filles de se libérer du machisme très fort des hommes (on ne touche pas à une femme voilée, on la respecte). Qu'en est-il aujourd'hui ? Comment le phénomène évolue-t-il ? On n'en sait rien, et ces élèves sont livrées à elle-même.

Au final, on a gagné la paix dans l'école, ce qui est indéniablement positif, et la République a affirmé ses valeurs laïques, mais on a perdu le contact avec ces gamines, ce que je ne peux que regretter malgré tout. L'école a-t-elle un effet ? Dans la situation actuelle, impossible de le savoir …

9 commentaires:

  1. En quoi as-tu perdu le contact "avec ces gamines" ? L'école a-t-elle un effet ? Je ne comprends pas cette question. Peux-tu expliquer ?

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  2. Mathieu: même question. "perdre contact = la loi a parlé, la discussion est close, circulez?"

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  3. Est-ce que la loi de 2004 s'applique aussi aux établissements scolaires sous contrat d'association ? (écoles privées où les enseignants sont payés par l'Etat)

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  4. @ Rosselin : les gamines sont toujours là. Ce que je veux dire, c'est que le sujet n'est plus abordé du tout, puisqu'on ne voit plus physiquement la présence des voiles, et qu'on n'a plus de raison de l'évoquer avec les gamines sans entrer dans le domaine privé.

    @ Suzanne : d'une certaine manière, la discussion est close, en tout cas pour le moment. Les voiles ne sont plus visibles chez nous, les gamines sont voilées dehors mais on ne le sait que ponctuellement. Et, comme je le disais à Jacques, on ne traite plus la question. En tout cas, pour le moment...

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  5. @ Mathieu : Je ne vois pas très bien quoi l'absence du voile dans l'école vous empêche d'aborder le sujet avec elle ?

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  6. "Personne n'était dupe et c'était bien le voile qui était visé, mais la loi avait l'avantage de ne rien citer de précis, ce qui évitait les problèmes de discrimination."

    Vois-tu le contresens ?

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  7. @ Polluxe : on n'a pas à aborder avec les élèves les questions qui concernent leurs croyances personnelles. Nous sommes laïcs... Le voile en classe ouvrait la possibilité de le faire. Son absence clôt la discussion, car le symbole religieux n'est plus là. On peut maintenant parler du voile dans le cadre de l'histoire religieuse ou de l'éducation civique, mais sans attaquer les élèves sur leurs choix personnels, qui restent libres à priori.

    @ Rubin : oh que oui ! Mais ma phrase n'a rien d'innocent...

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  8. Je ne suis pas d'accord. La laïcité c'est une mise à distance de la religion en terme de pouvoir. Ce n'est pas ne pas parler de religion ou de croyances à l'école. De même que l'on peut y parler de sexualité. Ce sont des sujets fondamentaux qui intéressent généralement les jeunes.

    Par ailleurs discuter avec les élèves sur leurs choix personnels ce n'est pas les attaquer.
    Le choix du mot trahirait-il tes intentions ?

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  9. @ Polluxe : je n'ai pas dit que l'on ne pouvait pas parler du voile avec les élèves. Je disais juste que cela venait dans le cadre de leçons en général. Par contre, l'idée d'attaque vient du fait que, suite à tous cela, les gamines considèrent que les enseignants qui parlent du thème en prenant position les attaquent. C'est ce qui se passait avant l'interdiction.

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