vendredi 30 mai 2008

L'annulation du mariage au tribunal de Lille classe la sexualité de chacun comme un domaine contrôlable par les autorités.

Ce matin, comme l'ensemble des Français, je me suis réveillé en entendant cette histoire hallucinante à la radio: un mariage venait d'être annulé par le tribunal de Lille parce que la femme n'était pas vierge au moment de la nuit de noces. Immédiatement, les différents journalistes n'ont pas hésité à nous balancer la religion musulmane de ce couple, avançant de manière insidieuse deux choses: les musulmans sont vraiment des gens rétrogrades; les juges de Lille ont fait preuve de faiblesse face au fondamentalisme, en particulier musulman. Je dois dire que je suis toujours aussi outré d'entendre les médias se ruer dans ce genre de clichés sans se pencher un peu plus sur l'affaire. Pourtant, il est évident que ce cas soulève de réelles questions, et je vais, cher lecteur, tenter de les débroussailler.


Donc, cher lecteur, reprenons les faits que nous rapportent les journaux. En avril 2006, un homme musulman épouse une étudiante de la même religion. Le mariage semble être basé sur l'idée que la femme est vierge. Lors de la nuit de noces, il découvre que ce n'est pas le cas. Les festivités s'interrompent immédiatement, et l'homme demande la nullité du mariage en prétextant qu'il y a un mensonge. Le code civil prévoit ce cas s'il y a eu erreur sur une qualité essentielle de la personne. Après tout, j'en suis presque à me dire que, en effet, si le mari fondait cela comme étant quelque chose d'essentiel dans ce couple, la décision est justifiée car elle a annulé un mariage perdu d'avance. Cette femme a reconnu le mensonge, et s'est sans doute libérée ainsi d'un mariage qui lui avait été imposée, car sinon, pourquoi mentir? Une question de mentalité? Une pression familiale? On n'en sait rien, et finalement, ce n'est pas grave.


Le vrai problème est ailleurs, dans le jugement du tribunal, et n'a rien à voir avec la religion des parties, car le cas serait sans doute le même avec des catholiques, des juifs, des orthodoxes ou des protestants rigoristes. C'est la nullité qui me pose un vrai problème. En prenant cette décision, le tribunal a considéré que la femme était la seule responsable de cette situation. On aurait pu penser qu'il prendrait en compte les éventuelles pressions faites sur elle, qu'il essaierait de se montrer indulgent avec cette femme, qu'il questionnerait aussi la vision du mari sur le couple et ce que représente l'engagement dans une société comme la nôtre.


Et pourtant, le tribunal a considéré que le mensonge, dans ce cas fondateur du couple, était tellement important qu'il justifiait la nullité. C'est là que le bas blesse fondamentalement, et ce sur deux points:


  1. Le tribunal vient de nous apprendre que le mensonge est moralement inacceptable dans le mariage républicain. Je crois que cela est grave. Dans la réalité, et nous le savons tous, cher lecteur, un couple n'est jamais immaculé. Nous fonctionnons tous avec nos petits mensonges, nos petits secrets, et c'est ce qui fonde aussi un couple. Quel conjoint n'a jamais rien caché à l'autre? Tu vas peut-être me dire, cher lecteur, que la sexualité, ce n'est pas rien. J'en conviens, mais dans une société évoluée comme la nôtre, est-il normal qu'on réclame d'une femme qu'elle soit exhaustive sur sa sexualité passée auprès de son futur mari? Réclame-t-on d'ailleurs la même chose à l'homme? Je n'en crois rien: la sexualité fait partie de l'intime, et je pense qu'un conjoint n'y a pas un accès libre. C'est ensuite à chaque couple de s'en arranger, et de vivre comme il l'entend. Si on voulait émettre une doctrine, on pourrait imaginer que la nullité d'un mariage ne peut être obtenu que si le mensonge met en danger la sécurité de l'autre. Le mari aurait dû démontrer ce risque. S'il n'y en a pas , l'annulation n'a aucun sens.

  2. Le tribunal vient ainsi de reconnaître qu'une question de morale qui ne concerne en rien la société permet de rendre nul un mariage. Personnellement, j'avais déjà dit dans un ancien billet que les intrusions de l'Etat dans la morale me posaient de vrais problèmes intellectuels et m'inquiétaient. Le fait que cet homme considère la virginité de son épouse comme une chose fondamentale le concerne, mais, je le répète, cette condition ne menace pas sa sécurité. Le tribunal affirme donc que cette morale toute personnelle peut être considérée par les institutions comme quelque chose qui justifie une nullité, une qualité essentielle de la personne. Donc, les juges estiment que l'Etat reconnaît la virginité d'une épouse comme une condition possible du mariage républicain. Pour moi, c'est une ineptie totale et cela cache une volonté de contrôle de nos autorités sur la vie privée. Dans ce cas précis, le tribunal aurait pu accorder le divorce à l'époux, mais à égalité et sans torts pour l'épouse (il n'y a pas adultère ici), d'autant plus si elle avait été mise sous pression par sa famille.

Alors, évidemment, on peut déplorer que des citoyens voient encore le couple de cette façon, mais ce cas n'arrive pas que chez les musulmans, et les médias sont sur cette histoire nauséabonds. Cette décision de justice concerne toute notre société et la volonté toujours présente d'avoir un contrôle sur l'intimité du citoyen qui existe chez nos dirigeants: il faut surveiller ces évolutions, cher lecteur, et tout faire pour s'en protéger.

6 commentaires:

  1. Je ne suis pas d'accord pour déduire de ce cas que la société ou plutôt la loi française cherche à contrôler l'intimité des gens. Faut pas tomber dans la parano, surtout que j'ai entendu plusieurs réactions officielles regrettant que la loi ait permis ce jugement et qu'il faudrait la changer.
    Je pencherais donc plutot pour le fait que c'est une vieille loi, qui aujourd'hui fait débat et sera modifiée.
    Pour moi, c'est un jugement qui est extrêment discriminant pour la gente féminine, peut on contrôler la virgnité masculine? Non, mais féminine oui. Accepter un jugement, basé sur ce critère hautement discriminatoire est aux antipodes des valeurs de notre société.
    Sinon désarmorcer la tendance anti musulmane qui pourrait découler de cette affaire, c'est louable de ta part,mais bon.

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  2. Soit, mais une vieille loi peut très bien ne pas être appliquée. Il y en a des kilos qu'on n'imagine même pas respecter aujourd'hui. Par exemple, savais-tu qu'une femme fonctionnaire devait obligatoirement s'habiller en jupe? Ces lois-là, on les laisse de côté. Pourquoi pas celle-là? La question reste malheureusement posée, et, n'étant pas dans la tête des juges de Lille, je serai bien en peine d'y répondre...

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  3. C'est vrai que je ne comprends pas le manque de jugeotte des juges... Ils devaient bien se douter du vacarme que ça produirait.
    Virons cette loi (je pense que c'est en cours).

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  4. Et bien moi je ne suis pas pour qu'on la vire cette loi, l'annulation d'un mariage n'est pas un divorce, les conséquences sur la vie future des "annulés" et des "divorcés" sont bien différentes, ne serait-ce que sur le plan de la succession, la question de savoir ce que sont les "qualités essentielles" est à définir, et si possible d'une manière républicaine et laïque.

    Supprimer cette loi, c'est refuser de réaffirmer la primauté de la loi sur les dogmes moraux et religieux, et je n'ai pas envie qu'on commence à "bidouiller" pour défendre la laïcité de mon pays, ce principe mérite qu'on se batte pour lui, pas qu'on filoute. Et en plus, la définition de ce qu'est une "qualité essentielle", si cela est fait comme je le souhaite, aurait le grand avantage de faire hurler les ultras religieux de tous bords, et moi j'aime bien savoir qui sont les loups dans la bergerie....

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  5. Oui, Fabrice, tu as raison. Mon raisonnement était plutôt que le tribunal aurait dû prononcer le divorce et pas l'annulation.

    Merci de me permettre de faire la précision.

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  6. Je suis d'accord avec toi Fab, je disais "virer", mais je pensais l'aménager et définir les "qualités essentielles" et surtout tou faire pour éviter que des notions comme la virginité puissent aboutir à l'annulation d'un mariage.

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