mardi 27 mai 2008

Les raisonnements sur le droit de grève: travail sur les idées reçues.

Comme tu as pu le découvrir dans l'actualité depuis que Sarkozy est président, cher lecteur, les mouvements sociaux ne cessent de se développer un peu partout. Il y a certes les traditionnels comme les transports et l'Education nationale, mais aussi les pêcheurs, les taxis, les internes, les caissiers de supermarché. Ce développement général du mouvement social n'a pour le moment pas vraiment de succès, il faut bien le dire, quelles que soient ses demandes. Pourtant, on voit les médias de droite, mais aussi les bloggers, hurler contre ces grévistes qui nous assènent les considérations habituelles: "la France est vraiment à la traîne, notre pays est encore bloqué dans ses corporatismes, le service minimum est une obligation qu'il faut mettre en place rapidement, les enseignants qui laissent les enfants à la rue, les pêcheurs qui bloquent les ports, les transports qui nous empêchent d'aller travailler..."
Finalement, cher lecteur, le libéral moyen tente de te démontrer que le capitalisme ne peut réellement créer de richesses que s'il est le plus libre possible. Un gréviste, qu'il soit du privé ou du public, gêne le marché qui produit à cause de cela moins de richesses: de là à accuser les grévistes d'être responsables des retards de la croissance française, il n'y a qu'un pas que de nombreux bloggers n'hésiteraient pas à franchir, associant ceux-ci avec les 35 heures, les fonctionnaires et la fainéantise des chômeurs...
Pourtant, cher lecteur, il faut te rassurer, le libéral moyen ne tient pas du tout un discours nouveau. Dès 1791, la loi le Chapelier a interdit la grève, considérant que cela pouvait être un moyen pour les groupes de bloquer la liberté de l'entrepreneur. Le droit de grève n'a été légalisée qu'en 1864, et cela pouvait justifier à ce moment-là un licenciement. Ce n'est qu'en 1946 que la grève a été reconnue dans le préambule de la constitution, mais avec de sérieuses limites car il ne s'exerce que dans "le cadre des lois qui le réglemente". De nombreuses professions n'y ont pas droit, et il est régulièrement encadré. Toute une série de grèves sont interdites: grèves tournantes, occupations de locaux, grèves perlées... Finalement, contrairement à ce que disent les libéraux, on a presque l'impression que la grève est tellement révolutionnaire, tellement libérale au sens politique du terme, qu'il ne faut surtout pas la laisser se développer trop. Ils tiennent finalement un discours qui existait déjà en 1791, et ils apparaissent sous cette optique-là bien rétrogrades.
Pourquoi, vas-tu me dire, cher lecteur intrigué? Je te propose une analyse totalement personnel: les relations du travail, que ce soit dans la fonction publique ou dans les entreprises, sont totalement dictatoriales. Toi qui est salarié ou fonctionnaire, n'as-tu jamais remarqué que le patron détient l'ensemble des pouvoirs sur ses troupes? Que tu es, alors que c'est ta vie qui en dépend à cause du salaire qu'il te verse, en partie à sa merci? Que seul, tu ne peux pas obtenir grand-chose si tu es en désaccord, même si tu es le meilleur des salariés qui rapportent énormément à ton entreprise? Le raisonnement libéral considère que le salarié et l'employeur sont à égalité, ce qui est un mensonge énorme, et n'importe qui qui travaille le sait très bien. Ce n'est qu'en groupe, et si on menace l'activité, en créant un rapport de force, qu'il y a une chance de faire changer d'avis un employeur déterminé. Nul part en France, ni dans le public, ni dans le privé, les relations du travail ne sont équilibrés et pacifiés. C'est dommage, mais c'est comme cela aujourd'hui dans le capitalisme néolibéral.
Au total, je trouve déplorable qu'il soit impossible de marier démocratie et capitalisme. C'est triste et malheureux, et cela me confirme chaque jour que ce système doit être régulé, réglementé et encadré, et peut-être un jour abandonné, si on trouve mieux. Dans l'attente, il faut donc protéger le droit de grève absolument, car c'est très souvent dans le rapport de force que l'on trouve des solutions à des conflits sociaux. Ce n'est pas du tout un droit suranné, car si c'est le cas, alors, les autres droits de l'homme le sont tout autant.
Pourquoi un salarié ne pourrait-il pas cesser son travail pour protester? On me dira que cela menace le travail des autres et la survie de l'entreprise dans le privé, et la qualité du service public dans la fonction publique. Je riposte en vous disant que si les salariés se plaignent, c'est l'employeur qui en est responsable, car c'est lui qui détient le pouvoir. C'est fondamental et il ne faut pas l'oublier car on ne comprend pas sinon la plupart des mouvements. Or, pour les libéraux, le travailleur est un individu soumis, qui travaille et ne se plaint jamais, et, s'il n'est pas content, va vendre sa force de travail ailleurs. C'est une vision totalement réductrice de la démocratie, car le salarié peut aussi avoir sa vision de l'entreprise ou du service public qui devrait toujours pouvoir être pris en compte.
Alors, je veux tenter de te dire quelques petites choses sur le droit de grève:
  • Ce droit est constitutionnel et ne peut être limité, sauf si la sécurité des autres citoyens l'exige. Il doit être libre, et je suis personnellement contre les préavis, contre les déclarations avant la grève, contre les pressions des employeurs. Toutes ces obligations, sauf si la sécurité des autres citoyens l'exige, ne peuvent se justifier que par une volonté d'empêcher le salarié d'exercer son droit démocratique à la contestation, qu'il paie déjà par ailleurs par la perte de son salaire.
  • Évidemment, dans les services publics, tout cela doit être soumis à discussion. Je pense que ni une grève dans l'éducation, ni une grève dans les transports ne peuvent remettre en cause la sécurité des citoyens, comme cela serait le cas pour la police, l'armée ou les services de secours.

Alors, tu vas me dire, cher lecteur exaspéré: "Mais quand mon gosse me reste sur les bras, je peux pas aller travailler et je perd des jours de vacances! Quand mon train n'est pas là, c'est la même! Et là, tu me proposes de revenir là-dessus???" Eh oui, parce que c'est le seul moyen pour les services publics de faire passer leurs demandes, si tant est qu'ils y réussissent.

Alors, je te propose une vraie loi sociale. Si un service public est fermé et fait perdre une journée de travail à un salarié, et que c'est démontrable (par un courrier de l'administration en question par exemple ou du service public en question), je propose que l'Etat attribue les salaires retenus des fonctionnaires aux salariés lésés par des déductions sur les impôts, permettant ainsi aux fonctionnaires d'exercer leur droit de grève sans trop gêner les citoyens.

Par contre, que faire lorsque les pêcheurs ou les routiers bloquent les routes? Là, je pense qu'il faut maintenir l'interdiction dans la loi, mais que c'est toute l'habileté du politique de savoir quand il faut sévir et quand il ne faut pas, ce que le gouvernement actuel a apparemment beaucoup de mal à déterminer posément...

5 commentaires:

  1. Grande spécialité française que la grève...
    Moteur des libertés et de la démocratie..
    Je soutiens la grève des pêcherus et routiers, c'est une grève qui intervient au moment ou ils ont le couteau sous la gorge et que travailler ne rapporte plus de salaire.
    Globalement je suis biensuûr pour le droit de grève, pour les raisons que tu as citées, par contre son utilisation est presque toujours strictement égoiste. vous allez me dire que c'est le discour de l'UMP, mais c'est vrai.
    Dès que les syndicat ont trouvé un accord pour garder les acquis sociaux de leur branches (presque toujours dans la fonction publique, sncf, ratp et c...) ils arrêtent et tout le monde est content, sauf que pendant la "bataille" on entends des revendication qui concernent l'ensemble des travailleurs de ce pays (voir grève retraites en 2004)
    Alors les consommateurs en chient et les autres en tirent des bénéfices... sympa.
    Sinon, le rapport détestable entre l'empoyeur et l'employé n'est pas dû au libéralisme capitaliste, non. J'ai vécu en Allemagne et au Japon et j'observe en ce moment les relations de travail en Suisse.
    Et bien, il y a dans ces pays un équilibre entre les deux parties, un respect mutuel. Rien n'est parfait nulle part, mais jamais n'ai-je observé une détestable atmosphère professionnelle comme en France. Alors que faire, j'en sais rien, mais je redoute que nous soyions un peuple très chiant!

    RépondreSupprimer
  2. Je crains plutôt qu'il n'y ait en France un petit côté toujours très élitiste. Nous sommes dans une société où l'on admet pas que le chef soit discuté par la base. Cette tendance traverse l'ensemble de la société, et elle est déplorable.
    Cependant, je ne me leurre pas non plus sur les autres pays. Que l'ambiance soit moins dure ailleurs, c'est possible, mais que cela signifie que les relations du travail sont positives et respectueuses, il y a un pas que je ne franchirai pas.

    RépondreSupprimer
  3. Le respect mutuel au travail, pour ce qui est de la Suisse, bon nombre de mes clients m'en ont fait les éloges, pour l'Allemagne, j'ai vécu des relations avec mes patrons beaucoup plus saines et simples qu'ici.
    Au Japon c'est trop différent, incomparable, c'est une histoire de culture.

    RépondreSupprimer
  4. Que pensez-vous donc de ce petit billet que j'ai publié ce soir sur mon propre Bloc-Notes ?:

    "“ON” les emmerde tous les jours, mais les Français ne disent rien !


    Après les Marins-Pêcheurs qui ont provoqué des files d’attente aux pompes à essence, après les Routiers qui font de même, qui bloquent des routes, qui font des opérations “escargot”, je ne vois aucune protestation. Aucun courroux du genre “on nous prend en otage” ou encore “on restreint notre liberté de circuler” etc…..

    Vous savez bien, ces rengaines qu’on entend à chaque fois qu’il y a une grève à la RATP.

    D’ailleurs, dans ces cas-là, à la télé et sur un certain nombre de Bloc-Notes on INSULTE carrément les grévistes et les syndicalistes lorsqu’ils précisient qu’ils font grève pour l’amélioration du service aux usagers et contre le manque de moyens, les pannes du matériel roulant, etc, etc…

    Eh bien, çà m’étonne que personne ne veuille bien le reconnaître, ce doit bien être vrai puisque le Président de la République, en personne, vient d’annoncer récemment que l’Etat allait rajouter de deux cents à trois cents millions d’euros pour l’amélioration de la ligne A du RER, notamment de ses rames.

    Allez, que tous ceux qui s’en prennent bêtement aux grévistes fassent donc amende honorable !"

    Bien cordialement,

    jf.
    www.lamauragne.blog.lemonde.fr

    RépondreSupprimer
  5. Je pense qu'une grève est toujours justifiée. Le problème est plutôt la manière dont les médias la traitent. Ils ont tellement descendus les services publics et les entreprises publics qu'il leur est toujours facile de détruire les grèves de ce type. Par contre, camionneurs et pêcheurs sont réputés comme étant bien moins protégés que les fonctionnaires, et comme faisant un travail réellement dur. Mais, peut-être verra-t-on un jour les médias commencer à s'attaquer à tous les types de grévistes, même aux internes qui votent à droite...

    RépondreSupprimer

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.