samedi 25 octobre 2008

Vive le Québec libre, mais attention, pour plaire aux Français quand même...

Les Rendez-Vous de l'Histoire de Blois se sont étalés cette année sur quatre jours. J'y suis arrivé le premier jour, et j'en suis reparti à la fin du troisième. En ce samedi après-midi, j'ai été rejoint à Blois par ma conjointe, et, après avoir salué un ami historien et mon ancien directeur de recherche, nous avons quitté le Blésois pour aller écumer les caves du Saumurois, à une heure de là en voiture.

Cependant, avant ce départ, je tenais à assister à une dernière conférence. Cette année, le Québec était invité de cette manifestation, alors que la thématique générale était "les Européens". Lorsque j'ai découvert le programme, je me suis étonné : les organisateurs considéraient-ils le Québec comme partie de l'Europe ? Certes, comme la majorité des habitants des Amériques, les Québécois descendent de populations européennes, mais pourquoi alors ne pas avoir invité les Étasuniens, les Canadiens anglophones, les Mexicains ou les Brésiliens ? A cette question, je n'ai pas de réponse très claire.

Malgré ce flou artistique, le thème m'intéressait. En effet, je suis très lié au Québec du fait de mon histoire familiale (que je n'étalerai pas ici, vu mon billet de la dernière fois) qui m'a permis d'y voyager très régulièrement. Surtout, j'ai fait mon mémoire de maîtrise sur la Nouvelle-France. J'ai appris énormément de choses sur une partie de notre histoire dont la grande majorité des Français ignore presque tout. Justement, la programmation de Blois nous offrait une conférence sur les causes de cette ignorance en France, et en particulier sur la quasi-absence de cet important aspect de notre histoire des programmes scolaires depuis la fondation de l'école républicaine. Elle était animée par trois historiens : Philippe Joutard, Jacques Mathieu et Didier Poton.

En soit, la conférence, je pense, n'aurait pas dû me permettre de faire un billet. Elle fut certes intéressante pour des spécialistes, mais cela s'arrêtait là. Pourtant, à un moment, un membre de l'assistance s'est permis une réflexion qui me questionne encore beaucoup aujourd'hui : "Merci, Messieurs, pour cette intéressante analyse historique. Cependant, vous oubliez les facteurs politiques : ne pensez-vous pas que les Français s'intéresseraient davantage à leurs cousins d'Amérique si ceux-ci n'avaient pas refusé par deux fois de se séparer du Canada ?"

Il est vrai, cher lecteur, que le Français moyen ne sait pas grand-chose du Québécois. C'est d'autant plus surprenant que le Québec est l'une des seules tentatives d'implantation d'une population d'origine française qui a subsisté hors du territoire national. Les Anglais ont eu beaucoup plus de succès dans ces entreprises-là. Les Français ne connaissent rien du Québec : à peine quelques noms de villes, un peu de condescendance pour un accent jugé prononcé, quelques bribes d'histoire (Champlain et la défaite française des plaines d'Abraham), des chanteurs qui ne reflètent rien de la vitalité de la chanson québécoise et l'émission Surprise sur Prise. A peine a-t-on parlé en France du quatrecentième anniversaire de la fondation de Québec, fêté en grande pompe tout au long de l'année, à part lorsque François Fillon a été dire quelques bêtises au Canada. Finalement, heureusement que le général de Gaulle est allé crier "Vive le Québec libre" en 1967 à Montréal, car sinon, personne ne saurait qu'il y a des Francophones en Amérique.

Bon, je caricature un peu, et je disgresse. Le participant référait à ceci : le gouvernement québécois a tenté par deux fois de se séparer du Canada par référendum. Le premier fut lancé en 1980 par le leader historique du Parti Québécois, René Lévesque, et fut un échec net : 60% des habitants de la province votèrent Non. Par contre, lors de la seconde tentative de 1995, les Francophones donnèrent la majorité au Oui, mais le Non l'emporta de justesse (50,58%) à cause des Anglophones, de la majorité des immigrés récents et du rejet de l'indépendance par les Amérindiens.

J'étais au Canada en 1995 durant un mois, et j'ai pu suivre à l'époque quelques semaines de la campagne électorale. Je me souviens de la tension politique et sociale très forte, de l'inquiétude pour l'avenir, de la crainte de violences éventuelles en cas de Oui mais aussi de l'effondrement possible de l'économie (le Québec est un moteur économique et produit 30% du PIB annuel du Canada), de ce qui arriverait aux provinces canadiennes situées à l'Est du Canada, sur la côte atlantique, du futur de la relation avec les États-Unis. A l'évidence, les Canadiens et les Québécois étaient inquiets pour leur avenir, et je ne pouvais que les comprendre. Faire un tel choix relevait du dilemme cornélien.

Il faut bien te dire, cher lecteur, que je n'ai jamais, durant ce mois, entendu parler de la France, sauf lorsque Jacques Chirac déclarât que la France ne dirait rien avant le résultat du vote. Logiquement prudent, le président français ne voulait pas souffler sur le feu. Je pense qu'il a eu raison. La France a abandonné le Canada en 1763. Elle n'a pour moi pas de raison de donner maintenant des leçons à une nation qui s'est posée la question de son avenir. Qu'aurions-nous fait si le Québec avait voté Oui ? Rien ! Cette zone est le terrain des États-Unis, et ils auraient sans doute seuls géré la crise.

Pour moi qui aime beaucoup ce pays, entendre cette question à Blois m'a dégoûté. Les Québécois sont bien loin de considération de ce type. Certes, ils cherchent la France et c'est normal : ils en viennent. Je suis persuadé que la France n'est plus grand-chose pour eux dans le présent politique, même s'ils parlent souvent de nous. Par contre, la question de ce spectateur me fait me dire que les Français continuent à se voir comme les habitants d'une grande puissance, qu'ils espèrent encore que notre pays se comporte de manière irresponsable et sème partout les graines de la haine et de la violence, tout en étant prêt à ne jamais rien assumer, et qu'ils sont persuadés que toute la planète ne rêve que d'une chose : que la France s'intéresse à elle !

Je vous encourage grandement, cher lecteur, à vous intéresser au Québec. Nos cousins ont une culture originale et très vivace, un mode de vie unique, nous confrontent à nous-mêmes et à nos propres contradictions. Par contre, n'oublions pas que nos ancêtres les ont abandonnés, et ne leur donnons pas de leçon. Si, un jour, ils décident de tenter l'aventure de l'indépendance, nous devrons alors nous demander, en citoyens responsables, ce que nous devons faire pour eux, et ce que nous pourrons faire, en fonction de nos petits moyens...

15 commentaires:

  1. Intéressant pour moi, qui fais partie de ces Français qui ne connaissent pas grand-chose du Québec... Je ne fais que rêver le visiter un jour. Je pense que tu as raison de souligner notre indécrottable francocentrisme !

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  2. Il me semble aussi que, pour beaucoup de nos compatriotes, les Québécois sont des Français vivant en Amérique. Alors que ce sont des Américains de langue française (pour le dire vite). Ce qui génère un certain nombre de malentendus, notamment dans le cas de Français désireux d'émigrer là-bas.

    (Je précise que ma femme a vécu 20 ans à Québec et que, de ce fait, j'ai trois beaux-enfants canadiens...)

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  3. @ MGP : le francocentrisme a parfois un certain charme, mais seulement dans un discussion de bistro un soir. En politique, il faut être sérieux...

    Pour le Canada, je me répète, mais je t'encourage vivement à faire un peu d'épargne et à aller y passer quelques jours, d'abord pour découvrir les charmes de Montréal, et ensuite pour se lancer dans les campagnes et rencontrer le Québec dans ses immensités et dans sa culture.

    @ Didier Goux : totalement d'accord, mais il faut y aller pour le savoir. Les Français ne peuvent s'en rendre compte avec les quelques touristes québécois croisés à Paris.

    Cependant, je tiens à préciser que, si les Québécois ne sont pas des Européens culturellement parlant (d'où la bizarrerie de l'invitation à Blois vu le thème), ils n'ont pas non plus le mode de vie des Canadiens anglophones, et encore moins des Américains. Cependant, je sais qu'une Ontarienne m'a un jour affirmé que les Québécois étaient bien plus fascinés par le mode de vie américain que par l'Europe en réalité, alors que les Canadiens anglo. devaient se différencier pour maintenir leurs spécificités. Cela demande bien sûr à être vérifié...

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  4. Il me semble (mais je m'avance sans doute) que les Québécois sont moins différents (tout en l'étant bien entendu) des Canadiens anglophones qu'ils ne le pensent eux-mêmes, où plutôt voudraient l'être eux-mêmes. Ce, pour des raisons historiques assez facilement compréhensibles.

    D'autre part, nous ne tenons pas compte, ici des Québécois anglophones, qui sont de plus en plus nombreux, notamment en raison de la mauvaise volonté patente des nouveaux migrants à s'embarrasser du français.

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  5. @ Didier Goux : c'est vrai, mais c'est un choix économiquement cohérent. Pour travailler, parler anglais est indispensable en Amérique du Nord. Il est déjà suffisamment difficile d'appréhender une langue, alors deux...

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  6. le blésois et vous partez dans le saumurois ?!

    la touraine c'etait juste à côté pourtant....

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  7. Oui, je sais, mais j'ai aussi des attaches dans le Saumurois. Je suis un peu cosmopolite quand même...

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  8. Comme tu le sais Mathieu, j'ai passé un an dans la Belle-Province, y suis retourné, et ai conservé des amis là-bas. Je trouve que tu passes un peu vite dans ton billet, que j'approuve pour l'essentiel, sur la francophonie : si le Québec a besoin de la France (et il en a besoin), c'est moins en tant qu'ancienne colonie française qu'en tant que peuple francophone. Six millions de francophones isolés au milieu de trois cents et quelque millions d'anglophones, ça fait un peu village d'Astérix. La potion magique, en l'occurence, c'est la langue française, et il serait illusoire de penser que celle-ci pourrait survivre sans le principal pays francophone par la population.

    Encore faut-il que ce dernier ait envie de défendre sa propre langue.

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  9. @ Roman : tiens, tu ne t'appelles plus Criticus ?

    En fait, je suis parfaitement conscient de l'attachement à la Francophonie des Québécois. C'était une des questions centrales des deux référendums. Évidemment, pour ce point-là, les Québécois ont sans doute besoin de nous. Mais il est à mon avis possible de défendre la francophonie sans l'indépendance du Québec. En clair, autant la question de la francophonie est fondamentale pour l'identité québécoise, autant je ne suis pas certain que l'indépendance soit la seule voie possible pour le Québec pour sauver la francophonie. Les 300 millions d'anglophones seront toujours là.

    Quand au désir de la France de s'investir dans la Francophonie, pour une fois, je vais être d'accord avec toi, il est faible. Je crois que cela est aussi lié à la croyance des Français en leur puissance qui suffit à sauver les meubles. Il serait bon qu'on sorte de cette forfanterie pénible.

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  10. J'utilise mon autre compte Gmail.

    Je ne sais pas si le désintérêt des Français pour la francophonie est lié à leur illusion de puissance. Je suis moins optimiste et y vois plutôt une forme de haine de soi, que n'ont pas les Québécois.

    Quant à l'indépendance, je ne pense pas non plus qu'elle soit indispensable à la préservation de la francophonie au Québec. Mais la menace d'indépendance doit exister pour que les Québécois obtiennent des garanties du pouvoir fédéral.

    C'est pour cela que je parlais de la « trahison » de Nicolas Sarkozy lors de sa visite à Québec.

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  11. @ Roman : haine de soi ? Je ne vois pas vraiment de quoi tu parles. Il va falloir que tu étayes.

    Ok sur la menace d'indépendance, même si la menace n'a pas grand impact si on sait qu'il n'y a aucun risque qu'elle soit mise en œuvre.

    Je n'ai pas retrouvé le terme de "trahison" dans ton commentaire.

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  12. Sur la « trahison » de Sarkozy: c'était le titre de mon billet qui y était consacré.

    Quant à la haine de soi : comment étayer davantage qu'en disant que si les Français ne défendent pas leur langue et leur culture contre les assaut du globish, c'est qu'ils ne les aiment pas, et, partant, qu'ils se haïssent eux-mêmes ? Je ne vois pas en quoi cela peut être farfelu.

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  13. @ Roman : je ne pensais pas que c'était farfelu, je voulais juste comprendre de quoi tu parlais.

    Je vais aller lire ton billet.

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  14. C'est une honte ! Au québec certains disent qu'il 'est le Roi de la France. Je dirais plutôt un tyran tirant tout ce qu'il est possible vers lui. J'ai honte de ses propos. Mais même s'il est le repésentant politique de la France ne croyez pas que les Français partagent ses opinions. Ça côte de popularité baisse. Il le W. Bush à la française. Bref un drame. Je connais cette province, ce pays, et je soutiens leurs désir d'indépendance. Certains français dis d'eux qu'ils sont "nos cousins"d'Amérique. Mais ils ont la mémoire courte, du moins, cela fait parti de ce qui ne nous est pas enseigné à l'école. Pour les québécois, nous sommes ceux qui les avons abandonnée aux anglais. Et j'ai la triste impression que l'histoire ce répète. N'oubliez pas qu'il n'est là que pour un quinquennat (enfin j'espère). Cet imbécile à oublié que la phrase du Québec est "Je me souviens"... Pour ma part. Vive le Québec libre !

    Et si vous désirez découvrir un peu de poésie québécoise (entre autre) passez visiter mon blog.

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  15. @ Antoine : merci pour le commentaire, même si je n'ai pas bien vu de qui tu parlais. Je suppose que c'est Sarkozy...

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